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EAN : 9782738132352
184 pages
Odile Jacob (04/03/2015)
3.38/5   8 notes
Résumé :
Animaux « dominants » ou « dominés » ? Chez le Fou à pieds bleus, un oiseau marin, on repère des oisillons soumis à leur aîné dès la couvée. Mais chez le Maylandia zebra, un poisson africain, les rapports de subordination peuvent changer du tout au tout à quelques jours d intervalle Pourquoi y a-t-il donc dans le monde animal des hiérarchies ? Est-ce pour limiter la violence dans les groupes, comme on le dit parfois ? Les animaux se dominentils seulement par la forc... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (2) Ajouter une critique
Parmi les chercheurs en sciences, les éthologistes sont certainement les plus à plaindre : une foule d'idéologues de tout poil sont dans les starting-blocks, prêts à sauter sur la moindre étude sur un poisson d'eau douce ou les bouquetins d'Italie pour s'insurger contre la monogamie qui détruit le potentiel génétique humain en castrant nos mâles alpha, ou pour proposer l'instauration d'une dictature généralisée qui apportera paix, bonheur et prospérité pour toutes les sociétés humaines.

Les pauvres n'avaient pas besoin de ça, leur discipline étant déjà assez périlleuse comme ça : risques d'anthropomorphisme (plaquer des caractéristiques humaines sur les animaux), ou au contraire faire de quelques caractéristiques humaines des domaines sacrés inaccessibles aux autres animaux, difficultés à se dégager des idées dominantes au sein de sa culture d'origine et de ses propres opinions sur l'organisation idéale de la société.

Ajoutons comme cerise sur le gâteau l'emploi d'un vocabulaire issu de la vie courante, habitude commune à toutes les sciences : ça facilite les intuitions, ça permet de compresser des idées complexes en un mot et d'éviter que les revues scientifiques ne ressemblent à des bottins téléphoniques, mais dans ce domaine précis, les termes employés (hiérarchie, domination, soumission, …) charrient aussi beaucoup de connotations politiques. Et difficile de s'en débarrasser complètement en écrivant, même quand on est de bonne foi au départ.

Cet essai tente d'apporter les bons réflexes à avoir chaque fois que l'on lit une étude sur le comportement des animaux : s'intéresser au sens exact des mots employés et ne pas s'arrêter à la signification de la vie courante, lire l'entièreté des études et ne pas se contenter des résumés boiteux de deuxième ou troisième main qui se sont débarrassés de toutes les nuances, et éviter les généralisations abusives : les conclusions d'une étude ne s'appliquent pas forcément à d'autres espèces, et ne sont même pas généralisables à une espèce entière, tant les conditions de l'expérience peuvent influencer les résultats. Les comportement d'animaux en cage ne sont pas forcément les mêmes que ceux qui vivent en liberté, et l'abondance de nourriture, les habitats exigus, la présence de prédateurs, etc. peuvent modifier radicalement les comportements.

Dernier point, ne pas oublier que les scientifiques sont des humains avant tout, sensible aux mêmes biais que tout un chacun. L'auteur cite notamment le cas des études sur les harems : lorsque le monde scientifique était majoritairement masculin, la vision du mâle dominant qui s'appropriait toutes les femelles de la tribu après ses victoires faisait l'unanimité. Il a fallu attendre le milieu du siècle dernier pour que des chercheuses s'intéressent (enfin) d'un peu plus près aux comportements des femelles et découvrir qu'elles étaient bien autre chose qu'un butin de guerre passif et qu'elles avaient également leur mot à dire dans l'histoire.

Un essai à conseiller à la fois comme mise en garde pour qui veut aborder plus sérieusement le sujet, et comme piqûre de rappel pour les connaisseurs.
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Fuir ou combattre, voilà l'alternative. Or comme le dit l'auteur : "dans les espèces dont les membres vivent à proximité les uns des autres, la véritable fuite est rare et l'évitement n'a qu'un intérêt provisoire". Il faut donc se battre pour les ressources, au sein de cette arène sociale aprêment disputée. Tout commence par une interaction entre deux animaux. Les éthologues peuvent observer des coups portés, surtout lors d'une première rencontre. Mais le problème de ces combats c'est qu'on risque d'y laisser des plumes ! Alors on s'observe, on se mesure, on négocie, on forme des alliances même. L'objectif étant de distinguer le gagnant du perdant. Ce sont souvent les même à cause d'une logique d'autorenforcement, mais parfois le statut du dominant est remis en cause. En dehors de ces périodes de crise et d'affrontements, les relations de dominance (concerne deux individus) et surtout les hiérarchies (concerne un groupe entier) sont relativement stable. C'est tout l'intérêt de cet ordre hiérarchique : la diminution de la violence intra-espèce, celle-ci n'ayant pas vraiment les faveurs de l'évolution.


La thèse de l'auteur va plus loin que ces explications sommaires lues dans les deux premiers chapitres. La voici clairement résumée dans sa conclusion : "la hiérarchie est une construction sociale [...] fruit de relations complexes entre des héritages phylogénétiques, des contraintes environnementales, des pratiques locales et des facteurs conjoncturels". J'aurais aimé que l'auteur creuse le sujet plus en profondeur, en parlant des différents types de dominants et de dominés. Ou pourquoi pas en imaginant une hiérarchie entre espèces ! Probablement pas le style d'Alexis Rosenbaum, car nous sommes ici sur quelque chose de très politiquement correct, je dirais même progressiste. Il faut reconnaître que les connaissances dans le domaine ont beaucoup évolué. On pensait les hiérarchies sociales comme instinctives, elles sont complexes ; on les croyait limitées, elles sont variées ; on les voyait rigides, elles sont flexibles. C'est sans doute pour cette raison que l'auteur reste très prudent, cherchant sans cesse à trouver un juste milieu entre compétition et coopération, conduites agressives et affiliatives, facteurs physiques et psychosociaux, réductionnisme génétique et déterminisme environnemental, mais aussi anthropomorphisme et anthropodéni. Car in fine c'est la place de l'Homme qui est questionnée ici. Nos amis les bêtes nous ressemblent bien plus que nous ne l'imaginions, on peut donc beaucoup apprendre sur nous même grâce à l'éthologie. Mais en aucun cas ne faudrait-il les prendre comme modèle. Ce qui est naturel n'est pas forcément normal.
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Citations et extraits (13) Voir plus Ajouter une citation
Dans les eaux du lac Malawi, qui borde le Mozambique et la Tanzanie, vit le Maylandia zebra, un poisson de la famille des cichlidés. Comme nombre d’espèces de la riche faune aquatique du lac africain, les Maylandia forment des hiérarchies de dominance lorsqu’ils vivent en collectivité. Une fois réunis, ils se mordent et se pourchassent jusqu’à ce que chacun sache qui il peut agresser sans représailles et devant qui il vaut mieux s’écarter. En fait, il ne faut guère plus d’une journée à un groupe de Maylandia pour former un ordre stable de préséance permettant à
l’observateur d’identifier les rapports de force. Mais ce petit poisson, avouons-le, n’a pas très bonne mémoire. À peine a-t-il perdu de vue son groupe quelques jours qu’il ne semble plus se souvenir des relations de dominance qu’il y avait contractées, voire des autres poissons eux-mêmes...

Une amnésie qui s’avère une aubaine pour les chercheurs, en leur offrant une piste d’expérimentation fructueuse. Que se passerait-il, en effet, si on réunissait exactement les mêmes individus après les avoir séparés ? Reconstitueraient-ils leur hiérarchie initiale de façon identique ? Une équipe américaine dirigée par le sociobiologiste Ivan Chase réalisa l’expérience. Les chercheurs formèrent des groupes de quatre femelles en aquarium et les laissèrent s’organiser hiérarchiquement comme à leur habitude. Une fois la hiérarchie stabilisée, les poissons furent séparés, puis isolés pendant quinze jours, le temps de laisser l’ardoise magique de leur mémoire s’effacer. Enfin, les Maylandia furent replacés dans les mêmes conditions, en compagnie de leurs anciens compagnons. Que constatèrent les biologistes ? D’abord, que les interactions agressives reprirent comme si de rien n’était, conformément à leurs attentes. Les dominants d’hier avaient perdu leur statut et l’ordre des groupes devait être refondé. Mais, fait plus surprenant, les hiérarchies obtenues après altercations n’étaient plus les mêmes. À quinze jours d’intervalle, elles ne furent identiques que dans un quart des groupes. Étrange résultat. De quelle manière le palmarès des trois quarts des groupes fut-il chamboulé ? On trouve à peu près de tous les cas de figure : dans certains groupes ce sont les deux poissons les plus gradés qui échangent leur rang entre la première réunion et la seconde ; dans d’autres groupes, ce sont les deux poissons de plus bas rang ; dans d’autres encore, ceux du milieu. Mais il arrive aussi que tous les poissons changent de statut à quinze jours d’intervalle ! Au sein de l’un des groupes, les chercheurs s’aperçurent même que le poisson le plus subalterne avait accédé au pinacle, tandis que l’ancien leader avait chu à la dernière place.
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Par ailleurs, la hiérarchie est profondément sociale dans la mesure où elle met en jeu une multitude dynamique d’individus. Il est certes possible pour l’observateur, on l’a vu, de construire une relation de dominance comme le résultat d’une série d’altercations entre deux animaux. Mais s’en tenir là risque d’incliner à croire que les relations de dominance sont des atomes relationnels hors de tout contexte social. Or, dans de nombreuses espèces, la façon dont un individu se comporte face à un autre – même s’il le rencontre pour la première fois – ne dépend pas seulement de leurs qualités respectives, mais aussi de leur histoire personnelle, et en particulier de leurs rencontres avec d’autres congénères, ainsi que des liens sociaux qu’ils ont pu tisser. Ces autres individus, ces autres rencontres, ces autres expériences, ces autres liens, pèsent plus ou moins secrètement sur l’interaction présente. Ce que l’observateur risque de rater en se contentant de noter des priorités à la mangeoire, c’est cette histoire sociale : qui a vécu à proximité de qui, qui a joué avec qui, qui a été pris dans des altercations collectives avec qui, qui s’est nourri auprès de qui, qui a contracté alliances ou antagonismes avec qui – toutes choses susceptibles d’influencer les relations présentes. Il n’y a donc pas à s’étonner que les comportements en question diffèrent selon les individus eux-mêmes. Les zoologues ont maintes fois constaté qu’un animal peut se montrer relativement tolérant vis-à-vis d’un certain subordonné, et beaucoup moins vis-à-vis d’un autre, à en juger par la façon dont il réagit à sa présence, ses interventions, ses actes de toilettage, etc. L’histoire de chaque relation de dominance est inévitablement singulière, car elle relève du réseau des individus présents et passés dans lequel chacun s’inscrit, ainsi que des contextes dans lesquels leurs rencontres se sont réalisées.
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Les hiérarchies animales, finalement, n'ont pas eu beaucoup de chance. Pendant plusieurs décennies ont gravité autour d'elles des penseurs peu recommandables - voire carrément dangereux -, des spéculations inquiétantes et des expériences plus ou moins pathétiques, dans lesquelles les relations agressives éclipsaient toute autre dimension de l'existence collective. À l'arrière-plan persistait à se déployer le spectre de théories où les rapports entre animaux se trouvaient plus ou moins associés à des doctrines racistes, des éloges de la force brute ou la promotion d'ordres collectifs pour lesquels l'individu devait, d'une manière ou d'une autre, se sacrifier. Tout cela contribua sans doute à entretenir autour des travaux sur la dominance un halo politiquement suspect.

Espérons que ces temps sont révolus. Les hiérarchies animales n'ont plus, nous semble-t-il, à être réduites à de tristes projections anthropomorphiques. On peut estimer aujourd'hui que la majorité des vertébrés qui vivent en groupes sociaux (notamment chez les mammifères, poissons ou oiseaux) établissent des rapports de dominance. Les recherches contemporaines ont dévoilé la variété, la complexité et, dans certains cas, la flexibilité des sociabilités hiérarchiques. Certains des premiers travaux d'éthologie suggéraient certes que les conduites impliquées étaient essentiellement instinctives, limitées, rigides, et il était tentant d'y voir l'effet d'une détermination stricte par les gènes. Une conclusion qui pouvait s'accorder avec l'opposition un peu simpliste entre sciences sociales - supposées proprement humaines - et sciences biologiques, confirmant même la distinction durkheimienne classique selon laquelle les animaux seraient gouvernés « du dedans », par leurs instincts, et les hommes avant tout « du dehors », par leurs institutions. Mais les leçons de la biologie n'ont cessé de contrarier cette dichotomie, en révélant à quel point les sociétés animales sont porteuses de dynamiques complexes et capables d'adapter leurs structures à leur environnement dans ce qu'il a de singulier. En montrant aussi que les schémas géométriques spontanément plaqués sur ces configurations sociales sont souvent réducteurs, puisque les collectivités animales forment des réseaux souvent très riches où deux membres n'ont jamais exactement les mêmes liens. En exhibant enfin la dimension historique de ces collectivités, dont les structures sont tributaires d'événements contingents et ponctuels, impliquant des individus déterminés et leurs relations singulières.

Impossible d'envisager les hiérarchies de dominance, désormais, sans prendre en compte les comportements de coopération et d'apprentissage qu'elles encadrent, ou les dimensions d'affiliation et de parenté qu'elles possèdent.
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L'espèce humaine n'est pas seulement celle qui a élaboré des institutions qui limitent les effets de la compétition entre individus et des utopies égalitaristes sans équivalent dans le monde animal. C'est aussi celle qui a été à certains égards le plus loin dans la direction de l'inégalité parmi les primates. À mesure que les sociétés ont adopté des structures politiques plus hiérarchisées, la polygamie a souvent pris un tour plus systématique, au point que certaines sociétés hyperhiérarchiques ont fini par constituer des formes d'organisation « pathologiques », en offrant à une fraction de leurs membres des opportunités disproportionnées par rapport aux éventuelles qualités dont ils pouvaient se prévaloir, et en reposant sur des formes de coercition qui s'exerçaient presque systématiquement aux dépens des femmes.

Dans l'histoire de l'humanité, ce n'est pas un hasard, l'élimination des harems est parallèle à celle du despotisme politique. Ni l'une ni l'autre ne sont achevées.
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L’opposition entre conduites agressives et conduites affiliatives est en partie trompeuse, car la hiérarchie est justement au confluent de deux logiques : celle de la compétition et celle de la coopération. Comme le suggère Frank Salter, elle constitue une structure tampon entre les effets dispersifs de la concurrence individuelle et la proximité que requiert la vie en groupe. Autrement dit, elle amortit les effets destructeurs de la compétition en substituant au risque de dispersion spatiale des règles de distance sociale.
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