Fascinée à l'adolescence par l'univers oppressant de Manderley, enthousiasmée plus récemment par d'autres romans et nouvelles de Daphné du Maurier (le Général du roi, les Oiseaux, la Maison sur le rivage, le Bouc emissaire), je pouvais difficilement manquer cette biographie que lui a consacrée, l'an dernier,
Tatiana de Rosnay.
Biographie romancée mais très solidement documentée, où l'imagination de l'écrivain sert surtout à insuffler vie au personnage qu'il a longuement étudié. Et quel personnage ! Indubitablement aussi complexe et intéressant que ceux de ses romans.
Elle n'est pas née de nulle-part, Daphné, et une part importante du récit est consacrée à cette famille si présente dans son imaginaire et son inspiration. le père Gérald, comédien célèbre en son temps qui donna corps et voix au sinistre capitaine Crochet et à l'aimable Mr. Darlington ; père fantasque, capricieux, possessif, adoré et exaspérant. Les cousins Llewelyn Davies, qui inspirèrent Peter Pan à M.J. Barrie, grand ami de la famile. le grand-père George, illustrateur et écrivain fameux qui donna naîssance au personnage de Svengali, hypnotiseur maléfique dont Daphné se souvint longtemps. L'arrière-grand-mère courtisane, les ancêtres français, aristocrates souffleurs de verre à l'histoire aventureuse, que l'on retrouve d'ailleurs dans le Bouc émissaire.
Comment manquer d'imagination, avec une telle parenté ?!
Imaginative, Daphné fut aussi indépendante, rebelle et solitaire, amoureuse de la mer et de la lande, de l'âme secrète des très vieilles maisons. Egoïste, sans doute, comme le sont tant de grands artistes, dont la vie créative finit par dévorer tout le reste.
C'est un bonheur de la suivre jeune fille, oscillant entre la vie facile, légère, insouciante, d'un milieu artiste fortuné, et le besoin croissant de consacrer son existence à l'écriture, cette maîtresse de plus en plus exigeante, de plus en plus capricieuse aussi, qui la tiendra toute sa vie. Un bonheur de la suivre de demeure en demeure, de Regent's Park à Hapstead, puis en Cornouaille où elle passa, hormis quelques voyages, l'essentiel de sa vie adulte. Plus triste, déjà, de voir son mariage s'effriter, fatalement, dans l'incompréhension, la distance, la maladresse, malgré la tendresse persistante. Et poignant de voir la vieillesse et la dépression s'installer, emporter cette formidable vitalité, les souvenirs, l'imagination, jusqu'à ne laisser qu'un fantôme sans substance.
Tatiana de Rosnay a réussi ici un très beau portrait, passionnant de bout en bout et très complet. Particulièrement bien adapté, je trouve, à son sujet : quoi de mieux qu'une biographie subtilement romancée pour un auteur qui, de l'histoire, sut faire naître de subtils romans, dont le romantisme noir ne se diluait pas d'un doigt d'eau de
rose mais savait au contraire, avec beaucoup de réalisme, saisir les aspérités ambiguës de l'âme humaine.
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