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Critiques filtrées sur 5 étoiles  
Joseph Roth est un être charmant, passionnant à tout point de vue et son oeuvre est remarquable. Juste avant de lire ce livre, j'étais attablée avec lui, dans quelque café pour boire un Pernod en bonne et due forme selon « La légende du Saint buveur » et ce fut savoureux et fantastique.
Ici, dans la Crypte des capucins, j'ai noté cette noble envolée situant l'immensité d'un empire et la capacité de vivre ensemble de toutes ces âmes en tous ces horizons.
« ― Rien n'est bizarre dans cette monarchie, répliqua le comte Chojnicki, notre doyen. Sans nos imbéciles de gouvernants (il aimait les expressions fortes), il n'y aurait là rien de bizarre, pas même en apparence. Je veux dire que cette prétendue bizarrerie est tout ce qu'il y a de plus naturel en Autriche-Hongrie. Je veux dire en même temps que les choses naturelles ne paraissent étranges qu'à cause de l'état de notre Europe détraquée par les États nationaux et les nationalismes. Évidemment, ce sont les Slovènes, les Galiciens et les Ruthènes de Pologne, les Juifs à caftan de Boryslaw, les maquignons de la Bacska, les musulmans de Sarajevo, les marchands de marrons de Mostar qui chantent l'hymne de l'empereur. Mais les étudiants de Brno et d'Eger, les dentistes, pharmaciens, garçons-coiffeurs, artistes photographes de Linz, Graz, Knittelfeld, les goitreux de nos vallées alpines, eux, chantent tous la Wacht am Rhein. Messieurs, l'Autriche crèvera de cette fidélité de Nibelungen teutons. La quintessence de l'Autriche, on ne la découvre pas au centre de l'empire mais à la périphérie. Ce n'est pas dans les Alpes qu'on trouve l'Autriche : on n'y trouve que des chamois, des edelweiss, des gentianes, mais on n'y devine qu'à peine la présence de l'aigle bicéphale. La substance autrichienne est sans cesse nourrie, refaite par les pays de la Couronne. »
Le narrateur François-Ferdinand, à cause du désordre du monde, s'enrôle pour la guerre au côté de son ami et cousin Joseph Branco le Slovène et du cocher juif Manès Reisiger originaire lui de Galicie. C'est au travers de ces trois personnages que je découvre après une première immersion dans la Marche de Radetzky le devenir et la chute de l'Empire Austro-Hongrois.
Ainsi, le dernier Trotta de Vienne va demander au vieux François-Joseph, qui fut paternel à ses jeunes années, quelques raisons d'espérer.
Il se dirige vers la Crypte des capucins, là où repose la dynastie des Habsbourg en corrélation avec la basilique Saint-Denis pour les rois de France.
« Mais la Crypte est fermée. le capucin qu'il rencontre à la porte impose silence au trop fidèle sujet dont le loyalisme peut passer pour séditieux, dans une ville où, cette nuit, l'étendard à croix gammée flotte partout : « Où aller maintenant ? Où aller ! Moi, un Trotta ? Roth le savait. C'est réfugié définitivement à Paris, dans la patrie des droits de l'individu et de la tolérance que, jusqu'à la veille de sa mort, il a travaillé de toutes ses forces au-delà de ses forces, à secourir ceux de chez lui et à tenter d'unir les Autrichiens de toutes les opinions en vue de la libération de l'Autriche, dont « l'empereur », pour lui, n'était que le symbole. »
Joseph Roth, grand homme, grand auteur.
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Joseph Roth est né sous le règne de François-Joseph et décède à Paris en 1939 après avoir fui son pays suite à la prise de pouvoir par les nazis. Sa formation journalistique influence celle d'écrivain parce qu'il souhaite s'appuyer sur des témoignages dans ses ouvrages pour faire preuve d'authenticité. Son oeuvre est marquée par un fil conducteur : l'Histoire entremêlée avec sa propre vie. Pacifiste avant et au début de la Première Guerre mondiale, il finit par se présenter au service militaire. La chute de l'Empire austro-hongrois qui découle de la défaite dans le conflit est très mal vécue par l'auteur. Il aimait cet Empire notamment en raison de sa diversité. Cette dernière était pour lui source de richesses tant dans les régions que dans les cultures. Il émet des regrets au sujet de ce monde révolu dans un ouvrage tel que La Crypte des Capucins.

Le titre est, en lui-même, évocateur. La crypte des capucins est l'endroit où sont enterrés tous les dirigeants des Habsbourgs à Vienne. Par conséquent, le titre est la métaphore du déclin de l'Empire des Habsbourgs et de la perte de la patrie. Roth évoque constamment ce monde révolu à travers son narrateur qui parle à la première personne conférant un air de confidence à l'oeuvre. Des parallèles peuvent être faits entre l'expérience du narrateur et la vie de Roth – le rapport au père par exemple. Son oeuvre est donc marquée à la fois par sa vie personnelle et les événements internationaux. Il est nécessaire de mentionner que quand Roth écrit son livre, l'Empire n'existe plus. Même s'il n'oublie pas les manques et les incohérences de ce monde, il recompose ce dernier a posteriori et l'idéalise.

La Crypte des capucins est la suite de la Marche des Radetzky, oeuvre qui raconte la désintégration de la société autrichienne dans la seconde moitié du XIXe siècle à travers la famille Trotta. Dans La Crypte des capucins, le narrateur est un membre d'une autre branche des Trotta. Francois-Ferdinand, le narrateur, porte le nom de l'archiduc François-Ferdinand dont l'assassinat a conduit à la Première Guerre mondiale et à la chute de l'Empire austro-hongrois. Il symbolise le parcours d'un citoyen ordinaire de l'Empire austro-hongrois et le déclin de la monarchie. L'oeuvre peut être analysée en trois temps distincts qui influencent la vie du narrateur : la situation juste avant la Première Guerre mondiale, la situation pendant le conflit et celle d'après le conflit.

Le contexte qui précède la Grande Guerre est caractérisé par plusieurs éléments.

Tout d'abord les idées de décadence et de mort sont omniprésentes. Dans les actes de la vie quotidienne comme les repas ou les nuits, la mort « croisait déjà ses mains décharnées. Nous ne la pressentions pas encore ». Mais, pour le narrateur, la situation était gaie malgré la présence de la mort. le constat qu'effectue le narrateur est le suivant : les contemporains n'ont pas pressenti la guerre longue qui arrivait. La majorité d'entre eux était enthousiaste à l'idée de prendre les armes pour défendre la patrie au cours d'une guerre qu'elle imaginait courte et victorieuse.

La deuxième caractéristique mise en avant par le narrateur est la richesse humaine. L'identité austro-hongroise, qu'il faut défendre au sein de cette guerre, possède différentes facettes. le narrateur souligne, en particulier, la question des nationalités. Ces dernières sont à la fois le terreau de conflits futurs et un atout. Elles sont un des éléments clés de compréhension du monde austro-hongrois. Pour le narrateur, l'Empire trouve sa richesse dans ses « marges » qui nourrissent l'identité autrichienne. Les personnages sont des épitomés de ces régions et de leurs richesses : Joseph Branco, un cousin de la famille Trotta, vient de Slovénie et Manès Reisiger est originaire de Galicie. L'amitié entre Branco, Magnès et François-Ferdinand se renforce au cours du temps : cela montre à quel point cette diversité est chère et importante au narrateur. Les peuples constituent la véritable identité de l'Empire austro-hongrois même si, à l'extérieur de l'Empire, l'illusion d'une Vienne rayonnante domine.

Pour le narrateur, les concitoyens sont les représentations concrètes de la patrie. La défense de cette dernière passe donc par la fraternité, la protection de ces concitoyens. L'annonce même de la Première Guerre mondiale est marquée par la diversité des peuples : l'empereur François-Joseph appelait « à [ses] peuples! ». le narrateur raconte son mal-être vis-à-vis de la guerre dans la mesure où il sait qu'a posteriori la fin de cette diversité approche.

Suite à cette annonce, le narrateur fait le constat de la non préparation du peuple d'Autriche-Hongrie à la guerre. En effet, l'environnement de l'Autriche-Hongrie est encore marqué par la tradition et le quotidien éloigné du monde belliciste. Avant de partir à la guerre, le narrateur essaye de répondre à toutes les obligations sociales des contemporains malgré leur chamboulement imminent. Il se marie avec Elisabeth. le mariage est déjà ancré dans la rhétorique guerrière car il est d'une « simplicité militaire ». François-Ferdinand ressent d'autant plus la différence de situation dans la mesure où il passe de l'amour à la guerre. Il se sert du mariage et de l'amour comme une arme au cours du conflit. Par ailleurs, son mariage lui permet de rencontrer son beau-père qui n'est pas mobilisé et qui va se reconvertir dans l'industrie de guerre. Son beau-père est l'exemple typique des personnes à qui la guerre a profité malgré sa présentation morose de sa condition.

La tradition s'exprime également dans les relations que le narrateur entretient avec sa mère : elles sont plates, caractérisées par la retenue et fondées sur l'amour pour le fils de son mari. Seule la nécessité de partir au combat a permis à la mère de parler plus sérieusement à son fils. Les adieux entre le narrateur et sa mère se font dans la rue peuplée que de très peu d'individus qui sont éméchés. François-Ferdinand fait un parallèle avec la situation à son retour quand les rues sont encore désertes. le paysage est donc un marqueur de la situation.

Le narrateur inclut, dans son récit de la guerre, ses pensées de l'après-guerre et commente son état d'esprit de l'époque. Il tente d'illustrer son ignorance, son manque de clairvoyance ou, au contraire, sa lucidité. Par exemple, il met en lumière son explication de l'expression « guerre mondiale » en ces termes : « non parce qu'elle a été faite par le monde entier mais parce qu'elle nous a tous frustrés d'un monde, du monde qui précisément était le nôtre ». Il exprime ensuite son sentiment de familiarité où qu'il soit en Autriche-Hongrie. Il énumère à la fois des lieux, des villes qu'il connaît, les caractéristiques de ces lieux ou des pratiques qui sont pour lui constitutifs de son « pays » quelque chose plus fort et plus vaste qu'une patrie.

Quand le narrateur se rend sur le front, il est directement confronté au quotidien de la guerre : la vue des blessés et des morts. Il retrouve Manès et Branco : Manès lui saute au cou sans se soucier du règlement, preuve que la guerre a détruit les codes. François-Ferdinand se rend compte qu'il est plus proche d'eux que de ses compagnons d'avant hormis du Comte Chojnicki. La guerre est un facteur de proximité tant les soldats partagent des épreuves dures. L'épreuve qui les amène en Sibérie met en exergue la difficulté des soldats à se situer dans le temps. En effet, ils ne peuvent dire avec certitude le temps du voyage – six mois environ – parce qu'ils ont perdu la notion du temps. La solitude de Sibérie rend fou Manès et Branco. Les trois amis sont contraints de partir pour aller dans un camp duquel Branco et Manès s'enfuiront.

Les trois amis se retrouvent à Vienne quatre ans plus tard. La lassitude des quatre années de guerre est visible chez tous les individus. Pour exprimer cette lassitude, le narrateur utilise le symbole des armes : « les armes avaient envie de s'étendre pour dormir, fatiguées ». À cette lassitude se joint l'angoisse du retour. le narrateur décrit l'incertitude dans laquelle il est. Il a envoyé deux lettres à sa mère qui n'a pas répondu. Lors de son retour à la maison, sa mère se comporte d'une manière inhabituelle : elle se courbe. Très vite reviennent les habitudes « cérémonieuses » et le quotidien comme si ni la guerre ni la destruction de la monarchie n'avaient eues lieu.

Le narrateur n'arrive pas à imaginer sa vie future. Il retrouve une épouse distante et va manger avec elle en compagnie de son beau père et de Yolande – une femme proche de son épouse. Ils vont dans un restaurant que François-Ferdinand avait l'habitude de fréquenter avant la guerre : tout a changé pour lui mais, pour son beau père, il s'agit du quotidien. Il y a donc un changement de référentiel. Il a le sentiment d'être étranger à un monde qui lui était autrefois habituel. Il n'est toutefois pas le seul dans cette situation. En effet, le directeur du restaurant, Léopold arrive et dit « Oh! quel bonheur de vous revoir ! D'en revoir au moins un ! […] Un client ! Enfin ! ». Ces deux personnes voient la monarchie d'antan comme le référentiel naturel. Il y a donc une fracture entre deux mondes : celui de la monarchie, passé, et celui de l'après-guerre.

Ce retour est d'autant plus dur que le narrateur doit retrouver une place dans un monde qui s'est reconstruit sans la présence des combattants. Il a perdu son rang et n'a plus de revenus comme le souligne son beau père. Il n'a plus d'argent car ce dernier était placé en emprunts de guerre. Malgré cela, il met en exergue sa réadaptation à la situation actuelle. Il recommence à penser les événements qu'il a vécu par rapport à Elisabeth. Il déplore le fait qu'il donne de l'importance à Elisabeth alors qu'elle est peu signifiante en comparaison à la perte de ses amis. « Nous nous habituons tous à l'inhabituel » nous dit le narrateur.

La visite de Branco et Manès rend compte de la modification de leur environnement. La ville de Manès, Zlotogrod, pris comme marqueur de la stabilité de la monarchie au début de l'ouvrage a été détruite par les bombardements. Sa femme y a péri et son fils, Ephraim, est devenu communiste. Par ailleurs, Branco souligne le fait qu'il y a besoin d'un visa spécial pour voyager entre chaque pays et s'exclame de la sorte : « quel monde! ». Les symboles de la monarchie s'effondrent. Les citoyens de l'ancienne monarchie, ses défenseurs, s'effacent aussi peu à peu : « nous étions vivants, présents physiquement, mais en réalité, nous étions déjà morts ». le narrateur n'a plus d'inquiétude pour la destinée de ce monde. Il a envoyé son fils à Paris ; il est seul et prêt à aller dans la crypte des capucins.

L'épilogue souligne l'arrivée des nazis dans la ville. Les séparations avec le patron du bar sont définitives. le narrateur est las, il ne peut plus continuer, il a déjà affronté trop d'épreuves. La crypte des capucins est fermée, le narrateur demande à voir le cercueil de l'ancien empereur et crie « Dieu protège l'empereur ». le moine lui ordonne de se taire. Il se demande que faire, où aller, lui, un Trotta, si ce n'est dans la crypte des capucins signifiant l'enterrement définitif de la monarchie.

« Je ne me sentais pas d'aise, j'étais rentré dans mes foyers. Nous avions tous perdu notre position, notre rang, notre maison notre argent, notre valeur, notre passé, notre présent, notre avenir. Chaque matin en nous levant, chaque nuit en nous couchant, nous maudissions la mort qui nous avait invités en vain à son énorme fête. Et chacun de nous enviait ceux qui étaient tombés au champ d'honneur. Ils reposaient sous la terre. Au printemps prochain, leurs dépouilles donneraient naissance aux violettes. Mais nous, c'est à jamais inféconds que nous étions revenus de la guerre, les reins paralysés, race vouée à la mort, que la mort avait dédaignée. La décision irrévocable de son conseil de révision macabre se formulait ainsi : impropre à la mort ».

Ce passage met en avant l'analyse et la capacité de transmission de Roth qui font de lui un auteur incontournable. Dans son ouvrage à la fois accessible et en même temps ponctué de références historiques, il a réussi à montrer les conséquences sociales de la chute de l'Empire austro-hongrois. Il a démontré combien le peuple est perturbé, dans sa vie privée, par les affaires publiques. Sa clairvoyance permet de faire une histoire sociale de la chute de l'Empire austro-hongrois, certes influencée par sa vie, mais qui demeure pertinente. Malgré les imperfections de l'Empire, certains concitoyens adhéraient aux pratiques et s'étaient fondés une identité en lien avec cet Empire. Sa chute a, certes, conduit à la remise en cause d'une instance politique mais également à celle de la construction des individus. Ces individus sont, également, très interdépendants. Les références à autrui et d'autrui forgent les histoires individuelles et collectives. Cette interdépendance est primordiale dans la mesure où l'histoire ne peut se faire que par la globalité des individus. En outre, Roth se concentre, de manière prégnante, sur les prémisses de problèmes futurs : le nazisme, la question des nationalités, du nationalisme, des frontières, des libertés. Ses oeuvres détiennent donc un véritable pouvoir explicatif. La contextualisation permet aux personnages d'incarner des parcours symptomatiques d'une époque tout en restant dans le domaine du possible.

Une fois n'est pas coutume (tâchons de ne pas trop remédier à ce genre de facilité. Mais cette chronique est en tout point excellente et très complète) : le texte qui précède est le fait de Carole Cocault sur le site "Classe Internationale". C'est ici : https://classe-internationale.com/2016/01/27/joseph-roth-la-crypte-des-capucins-1938/
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Ce livre parle de la guerre 14-18 et de la fin de l'empire jusqu'a l'Ancluss. La guerre 14-18 est seulement évoquée. La ruine de la famille Trotta éclipse l'histoire. On n'évoque la fin de l'empire, Roth ne parle pas de l'histoire collective, mais celle d'une famille. Celui qui tue sera tue. C'est un ordre déjà défait. Ses bons bergers sont morts ou en exil. Misère et amoralite. Plus de Gott erhalte.
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La crypte des Capucins à Vienne  renferme les sépultures des Habsbourg  depuis 1633.

François-Ferdinand Trotta, le narrateur, parent du héros de la Marche de Radetzky, est un jeune viennois d'origine slovène. A la veille de la grande Guerre, étudiant en droit, il passe sa vie dans les cafés de Vienne en compagnie joyeuse de jeunes aristocrates plutôt décadents. Un cousin provincial, Joseph Branco,  paysan slovène dévoué à sa terre à la belle saison  et marchand de marrons ambulant l'hiver,  vient lui rendre visite. la simplicité et la cordialité de ce cousin le touche. Par son intermédiaire il fait connaissance avec Manès Reisiger, un cocher juif de Galicie. 

"La quintessence de l'Autriche, on ne la découvre pas au centre de l'empire, mais à la périphérie."

"La substance autrichienne est sans cesse nourrie, refaite par les pays de la Couronne."

La Déclaration de Guerre met fin à l'insouciance viennoise. Trotta décide de se marier à la veille de son départ pour la guerre et choisit de se faire affecter au même régiment que Branco et Manès Reisiger près de la frontière russe dont il préfère l'amitié à celle de ses relations viennoises. Les trois amis seront prisonniers en Sibérie...

A la fin de la Guerre, Trotta retourne à Vienne chez sa mère et sa femme. Sa mère est inchangée. Elizabeth,  sa femme s'est émancipée, elle mène une affaire d'Arts décoratifs (j'ai un  peu pensé au Bauhaus) avec son amante Hongroise. Trotta est associé à l'entreprise d'Elizabeth qui le ruine.  La maison aristocratique est transformée en une pension où s'installent les amis d'autrefois, tout aussi ruinés. Décadence.

Joseph Roth montre l'effondrement de l'Autriche mais il n'écrit pas un roman historique.  Les fusillades de février 1934 et l'assassinat de Dollfuss ne sont qu'à peine évoqués : enterrement du fils révolutionnaire de Manès Reisiger . En revanche, l'Anschluss met le point final au roman viennois.

J'ai beaucoup aimé ce roman cosmopolite comme la Vienne de l'Empire, qui nous conduit jusqu'en Sibérie. Richesse des personnages et finesse de l'analyse.



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Suite de "la marche de Radetzky" sur le déclin de l'Empire austro-hongrois. Ici le ton se veut plus tragique. Il s'agit toujours de la fin d'un monde, plus largement d'une civilisation européenne.
François-Ferdinand, membre de la vieille famille des von Totta vit à Vienne une jeunesse insouciante. La Première guerre mondiale le bouleverse à jamais et anéantit son monde et la Vienne d'antan.
Description de la décomposition d'un monde, d'une classe sociale, d'une ville. L'auteur désabusé assiste à l'Anschluss qui supprime la nouvelle Autriche.
Magnifique !
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« Toutefois, nous devions avoir bientôt la preuve que ces péchés, que mes amis et moi accumulions sur nos têtes, n'avaient rien de personnel, mais n'étaient que de légers symptômes, précurseurs d'un anéantissement déjà en voie de réalisation ».

Superbe préface d'un auteur que j'adore, Dominique Fernandez, intitulée « le beau Danube noir », qui donne une résonnance toute particulière au texte exceptionnel de Roth.

« Au-dessus des verres où nous buvions ensemble, la mort croisait déjà ses mains décharnées » : cette petite phrase revient comme un lancinant et sinistre refrain rythmant la dégénérescence de l'empire. François Ferdinand vit la jeunesse dorée et insouciante des aristocrates viennois, alors que la Grande guerre approche. « Je partageais leur frivolité sceptique, leur mélancolie impertinente, leur laisser-aller coupable, leur air de distraction hautaine, enfin tous les symptômes d'une décadence dont nous ne percevions pas encore la venue ».

Le récit conduit le lecteur de 1914 jusqu'à l'Anschluss, avec une accélération vers l'étape ultime de la désagrégation de la fabuleuse mosaïque culturelle qu'a pu constituer aux temps de ses fastes la double monarchie austro-hongroise. « La quintessence de l'Autriche, on ne la découvre pas au centre de l'empire mais à la périphérie. ». Et la mort de l'empire, c'est le naufrage de Vienne. « Ainsi que mon père le disait souvent, la gaieté de Vienne, en sa diversité, se repaissait nettement de l'amour tragique voué à l'Autriche par les terres de la Couronne. Amour tragique, parce que sans réciprocité ».

C'est la fin, l'engloutissement d'un monde qui est dite là, et Fernandez établit un judicieux parallèle avec le Guépard de Lampedusa, quoique cette oeuvre de Roth, dans son esprit et sa délicatesse, soit bien différente.

Splendeur et misère de l'empire austro-hongrois. Une écriture lumineuse et élégante, des accents de Magris, une mélancolie somptueuse, une sublime élégie. Tout simplement magistral ! Bref, un bijou !
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François Ferdinand Trotta est un enfant gâté de Vienne, tout lui semble offert et acquis, lui qui est né riche dans la puissante capitale d'un immense empire. le colosse cependant se fissure, et déjà le narrateur semble avoir la conscience que ce qu'il connaît est destiné à finir, que sa génération est destinée à être sacrifiée, ceux qui mourront à la guerre mais les autres tout autant. L'intime se mêle ici à l'histoire des empires: finalement, on parle bien peu dans ce roman du vieil Empereur qui incarnait une certaine idée de l'Autriche dans sa personne et de la chute des Habsbourg mais de la façon dont tout un monde, avec ses codes, ses règles, s'éteint avec eux. C'était une Europe différente, cosmopolite, que l'auteur oppose à l'Europe des nations, tellement plus divisée. Ce que le narrateur et les autres ont connu, et jusqu'au plus petit d'entre eux, le pauvre marchand de marron, devient méconnaissable. Leur monde est mort et ne reviendra pas: la Vienne retrouvée en revenant de Sibérie n'est qu'une mauvaise copie où les hommes semblent devenus fous.
On pense irrésistiblement au roman de Giuseppe Tomasi di Lampedusa, le Guépard, pour le thème du déclin, mais le ton est ici bien plus intimiste.

Un excellent roman qui m'a donné envie de relire " La Marche de Radetzky" que je n'ai pas ouvert depuis des années, un crime!
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Tout comme pour La marche, le titre de cet ouvrage est symbolique puisqu'il s'agit d'un caveau à Vienne où sont inhumés les Habsbourg.
C'est toujours le récit de la fin, de la chute d'un monde qui avait bien des défauts, mais qui était malgré tout chéri.
Si La marche est teinté d'une certaine ironie, La crypte des capucins est davantage vu comme un texte sombre et sans espoir. En effet, Roth, qui s'est exilé à Paris lors de la montée du nazisme en 1933 (et jusqu'à sa mort en -39) a passé un dernier séjour dans sa Vienne adorée, en 1938, soit la même année que la publication de ce livre, la même année que l'annexion de l'Autriche par l'Allemagne à laquelle l'auteur a assisté avant de revenir en France.

Si c'est un roman plus sombre, c'est bel et bien parce qu'il a été écrit à une période plus sombre. L'auteur parlait d'un monde révolu, celui de l'Empire Austro-Hongrois, désormais, le monde est mort, sans possibilité de régénération.

Notre héros est bien loin des Trotta, il se prénomme François-Ferdinand Trotta est vit la grande vie à Vienne. Il ne sait pas grand chose, ne fait pas grand chose non plus, si ce n'est vivre de manière légère comme seul un bourgeois sans souci peut le faire.
Et puis fatalement, c'est la chute. Après s'être engagé dans la Première Guerre mondiale, il reviendra sans honneur, sans rien en fait. le monde a changé, il lui va falloir changer également.

François-Ferdinand est incapable, il est paralysé par une vie trop douce, si bien que quand la dure réalité le rattrape, il ne peut rien faire, il est impuissant et on comprend à quel point cet homme est la représentation de l'Empire perdu. Antihéros sans ambition, il est à l'image de ce monde dans lequel il a toujours évolué, mais dont il n'a pas compris la chute. Les illusions se bousculent et explosent.

Pourtant, il y a la base d'un beau message de tolérance dans ce roman, celle d'une amitié entre trois hommes que tout opposent, ils sont de religions et classes sociales différentes, la seule chose qu'ils ont en commun : l'Empire.
Le message de l'auteur, c'est aussi que l'Empire, ce n'était pas seulement Vienne et Budapest (capitale de l'empire d'Autriche, du royaume d'Hongrie), l'Empire, c'était aussi tous ces lieux reculés, c'était la Galicie par exemple (lieu de naissance de l'auteur) tout autant que la Moravie ou la Bohême.



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Sans s'attarder sur la description d'un paradis perdu, Joseph Roth rédige le roman pudique de la chute, de la dislocation, au-delà de l'empire habsbourgeois, du mode de vie raffiné de l'élite viennoise d'avant-guerre.

Il ressort de ces lignes que l'Empire n'était certes pas parfait, mais y régnait un sentiment d'unité, souligné par l'uniformité de certains bâtiments (dans le roman, les gares, les cafés). Ainsi l'anniversaire de l'empereur célébré dans les zones les plus reculées... Et soudain, tout disparaît : il faut un passeport et une dizaine de visas pour circuler. Choc phénoménal.

J'ajouterai que la préface et la traduction contemporaines (1940 pour un ouvrage paru en 1938) par Blanche Gidon, proche de l'auteur, ajoutent un supplément d'âme à ce classique.
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Postérieur à La Marche de Radetsky, le roman-testament de Joseph Roth décrit de manière incandescente le crépuscule autrichien. Après la chute de l'Empire, Vienne toute entière se désagrège. Pour Franz Ferdinand Trotta, la vie sans ce père qu'était l'Empereur n'a plus ni sens ni intérêt. La crise s'infiltre dans la vie quotidienne. Les idéaux se dissolvent dans la guerre civile, jusqu'à l'annexion par l'Allemagne nazie. Dans sa langue fine, acerbe et noire, Roth ausculte le désespoir d'un pays mort.
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