Enfin, je rencontrai Daniel. Ses yeux n’étaient ni gais ni tristes. Il avait même un visage sans expression. Cela venait, je l’appris plus tard, des longues heures qu’il passait à méditer, le dos bien droit, les jambes croisées. Je me sentais attirée par lui d’une manière étrange. En tremblant un peu, je lui confiai un jour qu’il m’arrivait de me sentir petite, toute petite comme une noix. Il écoutait gravement :
-Comme une noix, comment ?
En repliant mon index sur mon pouce, je dessinai un petit cercle :
Comme ça.
-Mais ce n’est même pas une noix cela, c’est une noisette.
-Oui, si on veut, dis-je toute émue, une noix ou une noisette c’est pareil. Je me sens si petite que j’ai l’impression de n’avoir ni bras, ni jambes et j’ai très peur.
Je n’en avais jamais autant dit.
-Et vous avez peur de quoi ?
-De quoi ? Je ne sais pas, c’est comme si tout autour de cette noix il n’y avait que du noir, un noir très triste et qui donne envie de pleurer.
Il m’écoutait tellement que je me suis mis à dire des choses auxquelles je n’avais jamais pensé auparavant.
-Ainsi, me dit-il, vous êtes une petite noix.
Il me parlait si gentiment que je me sentais fondre complètement à l’intérieur.
-Non, pas toujours, il y a au contraire des jours où je me sens très solide, d’ailleurs, je fais plein de choses. J’adore même faire plusieurs choses à la fois.
…
Le lendemain, quand je le vis arriver, je le trouvai tout changé. Il me sembla moins raide, plus souriant.
-Je vous ai rapporté quelque chose, me dit-il et il ouvrit sa main. Dedans, il y avait trois noisettes.
-Voilà, vous allez les garder dans votre poche et chaque fois que vous serez triste, vous regarderez ces noisettes et vous pourrez vous dire ceci : « Même si je deviens aussi petite que la plus petite de ces trois noisettes, eh bien Daniel m’aime. »
J’ai peur du trou noir, du torrent de larmes qui me secoue furieusement. J’ai peur de me noyer dedans. Heureusement l’homme sage est devant moi. Il sourit. Ce torrent ne l’effraie pas. Il sait le début et la fin de l’histoire, il sait le pourquoi et le comment. Je sens qu’il accueille ce torrent de tristesse à l’intérieur de lui. Pourtant il ne devient pas triste. Je ferme les yeux. Je me laisse glisser. Si je me noie, il me rattrapera. Je pleure, je pleure. Il me semble qu’il y a à l’intérieur de lui, un lac, un lac immense et infini. Le torrent de mes larmes en le traversant ne fait pas une ride.
Dans le cadre de la programmation spéciale consacrée à la maladie d'Halzheimer ce mercredi 21 septembre sur France 2, Colette Roumanoff et son entourage expliquent à Frédéric Lopez leur combat pour apporter un autre regard sur la maladie.