Matteo est à la charnière des lentes mutations qui vont s'opérer au fil des ans. Son fils Antoine, dans la courte et sèche biographie qu'il livre de son géniteur, nous le fait suivre de campagne en campagne et reprendre ici la chronologie d'une adolescence sans éclat n'offre aucun intérêt. Bien sûr, à l'instar d'A. Casanova pour Napoléon Bonaparte on aurait aimé pouvoir analyser des Ecrits de jeunesse ou, à tout le moins, des notes de lectures, des réflexions, susceptibles de nous éclairer sur la formation de notre biographé. Rien ne nous est livré par aucun de nos témoins. Soulignons pourtant une chose : l'armée française, fût-elle d'Ancien Régime, a contribué à "fabriquer" des élites, des hommes de vaste culture nourris des idées de leur temps. Car, comme le futur empereur, mais aussi les frères Marengo, en particulier Jean François, et tant d'autres, Matteo "entretien un dialogue avec les Lumières" d'autant que depuis le XVIIIe siècle la noblesse d'épée a renoncé à l'ignorance et s'est engouffrée dans la révolution scolaire..
(...) au titre accompagné de quelques distinctions comme le droit de porter les armes s'ajoutent les hautes charges de l'appareil d'Etat. En même temps, et cela n'est nullement négligeable, quel que soit leur nombre les nobles corses ne coûtent rien à la Monarchie puisqu'ils ne jouissent d'aucun privilège fiscal : ils doivent payer, comme tous les autres habitants, l'impôt nouveau, la subvention territoriale assise sur les deux vingtièmes des productions animales et végétales. Sous cet angle la Corse expérimentait une des orientations des ministres réformateurs visant à supprimer un des aspects les plus rétrogrades de l'Ancien Régime finissant.
Matteo Buttafoco naît le 1er novembre 1731 à Vescovato, gros bourg de la riche Casinca. Cette piève (unité territoriale écclésiastique qui deviendra en 1790 le canton), située à une trentaine de kilomètres au sud de Bastia est une des plus opulentes de Corse. Entre mer et montagne elle a développé une économie agro-pastorale associant la châtaigneraie sur ses hauteurs, l'élevage, mais aussi la vigne, l'olivier et la céréaliculture sur les coteaux et la plaine littorale. Son ouverture sur l'Italie et surtout sur la ville-capitale a dynamisé les activités, et les principali, les riches familles qui dominent la société, n'ont rien à envier aux sgio du sud.
Lorsqu'en cette fin 1764 et au début de l'année 1765 prend forme le projet de scinder le Régiment Royal Italien et de redonner son individualité au Royal Corse, Paoli consulté par Choiseul sur la nomination du colonel répond sans ambages "Je veux espérer que le choix se portera sur le dit Monsieur Buttafoco... Je peux vous assurer que l'expérience vous démontrera que cet officier est le meilleur de tous pour le service du Roi et qu'il est le plus apprécié par la Nation." Les années de compagnonnage avaient permis aux deux hommes de partager la même vision du destin de leur île placée désormais sous le regard de l'opinion publique européenne.
En clair plus que de "constitution" au sens moderne de Loi fondamentale, à Corte on ne fait que mettre en place un "sistema di governo" en devenir : de 1755 à 1763 la composition du Conseil d'Etat ne cessera d'être modifiée sans que les changements soient sanctionnés par les consultes alors que celles-ci, "expression de la volonté populaire", sont présentées comme le socle de la démocratie paoline! Il est vrai que le mérite de Paoli, et ce n'est pas rien, a été de vouloir institutionnaliser ce qui jusqu'ici n'était qu'un rassemblement tumultueux de partisans de tel ou tel "capo". Ce faisant non seulement il consolidait sa légitimité mais en outre il élargissait l'Unione tant recherchée pour faire progresser la conscience nationale.