2ème partie de mon triptyque personnel de l'été 2018 ;
après le ciel, et avant de parler de la mer, voici le soleil :
Le soleil dont le livre de
Jean-Christophe Rufin nous propose la découverte est celui de l'Ispahan du XVIIIème siècle. Cette ville perse, qui est toujours un centre important en Iran, était la capitale et la perle de l'empire Safaride à cette époque. Cette dynastie née du soufisme avait connu son apogée au XVIIIème siècle, profitant de la situation géographique remarquable de sa capitale pour maintenir son indépendance et un équilibre diplomatique entre les empires moghol et turc.
Quand se déroule notre histoire, Ispahan est en déclin, mais elle est encore une oasis culturelle et artistique, perdue au milieu du désert, que sauvegarde le Zayandeh rud, une des rares grandes rivières permanentes du plateau iranien, sans lequel la ville n'existerait sans doute pas. Bien que toute l'histoire ne s'y déroule pas, tous les personnages vont et viennent autour de ce pot de confiture, et Ispahan est donc pour moi sans aucun doute le personnage principal du roman.
Cette situation particulière du héros Ispahan explique aussi sans doute que son faire-valoir, l'apothicaire Jean-Baptiste
Poncet, s'y soit installé. J'avais déjà fait connaissance avec ce personnage et sa femme Alix, dans leur jeunesse (ils ont la quarantaine dans
Sauver Ispahan) aventureuse relatée das
l'Abyssin. Je recommande cette lecture dont le titre complet, qui le résume bien est "relation des extraordinaires voyages de Jean-Baptiste
Poncet, ambassadeur du Négus auprès de sa majesté
Louis XIV".
Jean-Baptiste, qui, par sa personnalité curieuse et optimiste, m'évoque Tintin le reporter, commence à s'ennuyer dans la réussite bien établie de son couple et de ses affaires. Aussi, quand il apprend que l'un de ses vieux amis est prisonnier au fin-fond de la Sibérie, il sautera sur l'occasion pour répondre à l'appel du voyage et de l'aventure, à travers le Caucase, l'Afghanistan, et jusque dans les steppes de l'Oural. Je laisse le soin au prochain lecteur d'identifier qui me fait penser au Capitaine Haddock et à Dupond et Dupont dans on entourage...
Mais la grande Histoire n'attend pas Jean-Baptiste, et celle-ci va se faire par les héroïnes. En cela sauver
Jean-Christophe Rufin s'éloigne du monde viril d'
Hergé. Là où l'amitié et beaucoup de chance vont sauver Jean-Baptiste du pétrin qu'il est allé chercher au bout du monde, les femmes restées au bercail à Ispahan -Alix, mais pas que...-, se trouvent confrontées à la vraie mission :
sauver Ispahan, dont le destin sembler se sceller aux quatre coins du monde d'alors, depuis Paris, Rome, Istanbul, jusque dans les montagnes d'Afghanistan. A force d'intelligence et d'amour, ces femmes parviendront-elles à rapatrier leurs hommes égarés et à sauver la perle d'Ispahan ? C'est ce qu'il restera au lecteur à découvrir au long de ces 620 pages d'aventures, inspiration au voyage.
Bien que
l'Abyssin ait semble-il connu plus de succès que
Sauver Ispahan (qui en est donc la suite, mais les deux peuvent tout à fait se lire indépendamment), j'ai personnellement autant apprécié cette suite. L'une des différences importantes est que
l'Abyssin est inspiré du récit réel de la mission de Jacques-Charles
Poncet en Abyssinie, alors que
Sauver Ispahan est romancé plus librement. L'environnement historique mondial est cependant justement resitué.
Le parcours de l'écrivain s'exprime de manière évidente dans ces deux romans : médecin, ancien président d'Action contre la faim et pionnier de Médecins sans Frontières,
Jean-Christophe Rufin est aussi diplômé de Sciences Politiques et a fait une carrière diplomatique, notamment en Afrique, en Bosnie, en Amérique du sud.
Le succès de
l'Abyssin en 1997 l'a amené à accélérer sa production littéraire depuis les années 2000. Pour moi, Rufin perpétue la tradition des
Kessel,
Hemingway,
Cendrars, London que j'affectionne particulièrement, écrivains humanistes qui appuient leurs romans sur la richesse d'un vrai vécu. C'est aussi visiblement un être parfois éruptif -c'est lui qui le dit dans les medias !- , resté libre au-delà de ses différentes fonctions, qu'il semble avoir traversées comme un caméléon. Cela se ressent dans ses personnages et dans la vision de la vie fraîche, optimiste, solaire, qu'il propose dans ses romans. Promis, j'irai aussi voir les Mémoires de
Lorenzo Da Ponte, qu'il nous recommande à ce titre.
On l'aura compris, j'ai beaucoup d'admiration pour cet homme, proche de
Sylvain Tesson et amoureux de nature et de montagne. Je l'avoue, si une de mes randos m'amenait un jour, discret comme une marmotte, à l'apercevoir écrivant sous somnifères de bon matin dans son chalet de Saint-Gervais, je serais sûrement ému comme un jeune fan : ) . Pour finir, quelques coups de gueule de JC Rufin pris sur le net dans le Parisien, dont je me fais l'écho avec plaisir :
"J'aime , J'aime pas…
Les quads
C'est un instrument militaire qui a été détourné par les civils pour rendre invivables les coins de nature les plus inaccessibles. Je me trompe certainement, mais j'ai l'impression que ces engins sont généralement pilotés par des nostalgiques de
Rommel qui se croient à El-Alamein. Quand on a marché cinq heures au calme, sué sur un sentier, atteint un sommet et que l'on y trouve ces machines infernales, on sent monter en soi des instincts de chasseur préhistorique...
Ceux qui écoutent de la musique dans la nature
En allant grimper dans la montagne Sainte-Victoire, j'ai croisé des promeneurs. Ils portaient une sono débitant du rock. J'aime le rock, j'aime la montagne... mais le mélange des deux est aussi immangeable que des huîtres avec du chocolat."
Fin de la 2ème partie de mon triptyque personnel de l'été "il y a le ciel, le soleil et la mer"... je terminerai prochainement par un commentaire d'
Océan Mer, d'
Alessandro Barrico.
Bel été 2018 !