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sur 707 notes

Critiques filtrées sur 4 étoiles  
J'ai relu Justine, mais c'est pas ma faute, M'dame, c'est la faute à Arte.
Blague dans le coin, Arte diffuse ces temps-ci une série de documentaires remarquables sur les livres et écrivains "chauds", des Liaisons dangereuses à Lolita, les réactions et les incompréhensions qu'ils ont suscitées. Jetez-vous sur les replay tant qu'ils sont disponibles.
Concernant Sade, outre les thuriféraires habituels, Michel Onfray détonne en disant en gros que c'est juste une ordure qui écrit des horreurs. Alors j'ai voulu me rendre compte.

Mais parlons de la forme d'abord : c'est un bonheur. Sade écrit dans un très beau français classique, peuplé de jolies formules délicieusement surannées (par exemple, "ayez pour agréable de me donner votre dernier mot" à quelqu'un dont on attend une réponse, c'est joliment dit, non ?). Avec parfois des phrases un peu longues, que ce soit dans l'exaltation des ébats pornographiques ou celle des débats philosophiques.

L'histoire, racontée par la protagoniste éponyme lors d'une longue nuit à l'auberge, est en fait risible. Pourvu que l'on ne soit pas rebuté par la crudité des descriptions sur les horreurs infligées, c'est même à se tordre. Soit Justine est une gourdasse intégrale, soit elle finit par aimer ça (ce que Sade nous suggère subtilement vers la fin, en fait). Sa constance à se jeter dans les antres les plus infâmes en suivant aveuglement ses tortionnaires nous laisse pantois. L'expérience venant, elle se dit souvent que c'est un peu louche, mais pas certain, alors qu'a-t-elle à y perdre... et pan! ça rate pas, ça recommence. La fin est un grand moment de n'importe quoi, Sade se moque ouvertement du monde, sans parler de la pseudo-justification de l'ouvrage en introduction et conclusion : cette litanie des malheurs de Justine serait écrite pour nous convaincre d'épouser la vertu !

Venons-en au sujet de ma critique : les échanges contradictoires entre Justine (la vertu outragée) et ses tortionnaires (la justification de leurs actes), dans lesquels Sade expose des idées formidables, mais aussi d'autres quand même bien moisies.

La principale défense des libertins, c'est que s'ils aiment violenter, c'est que la Nature (avec sa majuscule systématique) les a faits comme ça. Et ce serait donc vain de lutter. La civilisation ou la religion et les interdits qu'elle génèrent, les bonnes moeurs et les comportements acceptables... ne sont que des erreurs, leur relativité à travers les lieux et les temps en atteste. Il y a dans cette part des dénonciations audacieuses. Il y a une formidable liberté vis à vis des conventions, jusque dans la liberté de ton. le sort fait à la religion est violent. En gros : vu l'état du monde, soit Dieu n'existe pas, soit c'est une ordure ; le paradis et l'obligation de comportement vertueux qui en découle ne sont donc que des fables pour les faibles.

C'est là que ça devient douteux : le droit inaliénable des forts à exercer leur force sur les faibles est une constante justification. Quand on rapproche cela de la naissance de Sade et de ses agissements, on peut quand même penser que ça craint. Parce que ce n'est pas pour ses idées qu'il a fait de la prison : ses fredaines devenaient plus que gênantes, il était grand temps que sa belle-mère le fasse enfermer. Et sa reprise des idées du siècle des Lumières est très orientée.

Reste que c'est un bouquin formidable, parfois désopilant (la "carrière" de Juliette, celle qui a choisi le vice, brossée en deux-trois pages, est un moment fort), parfois émoustillant, et souvent fascinant. Qui mérite bien de ne pas être jeté en quelque enfer, quoiqu'en pense Onfray.
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Justine est orpheline à 12 ans. Elle fait le choix de la vertu. Sa soeur Juliette, 15 ans, suit la route du vice et ses petits arrangements.

Dans le monde de Justine, les ogres sont bien intégrés. Ils portent des beaux costumes, ils ont une belle situation et beaucoup de relations. Bon, en fait, c'est comme dans la vraie vie...

Sauf que chez Justine, le soleil brille peu sur la vertu : son chemin ne passe qu'au milieu de prêtres ignobles, de bandits sanguinaires , de notables sodomites ou de nobles parricides qui n'ont d'autre but que de jouir des effets de leur cruauté sur notre héroïne et ses soeurs de malheurs.

Sur son chemin de croix, Justine se voit proposer le choix du bien ou du mal. Elle choisit toujours le bien et le respect de l'autre et s'en trouve invariablement punie tandis que le mal prospère.

L'histoire de Justine a accompagné Sade durant toute sa carrière littéraire. Il en délivra trois versions. Celle présentée ici est la seconde. Elle est moins crue que sa troisième édition parce qu'elle bénéficie du vocabulaire châtié de Justine.

Sade n'a pas donné par hasard son nom à plusieurs langues pour décrire cette perversion sexuelle qui pousse quelqu'un à prendre du plaisir dans la souffrance de l'autre : il a lui même pratiqué un peu tout ce qu'il décrit. Notre pardon ne va à lui que grâce au temps, avec lequel on sait maintenant que va, tout s'en va : strangulations, saignées, pédophilie, morsures de chiens, que notre petite Justine subit, de même que tout ce qui a pu germer dans la longue vie du crâne puant du divin marquis.

Les contre-valeurs développées par Sade sont tranchées : égocentrisme et athéisme. Individualisme forcené. Epoque oblige, le parti de l'auteur n'est pas clairement énoncé, et Justine les traite sans cesse en sophismes, visant le bonheur dans un autre monde.

La qualité de l'écriture de Sade réduit à rien les 200 ans qui nous séparent de la conception du roman. Il envoie Bram Stoker et de quelques auteurs du début du 20ème dans des oubliettes poussiéreuses pleines d'un style désuet. Sade écrit bien. Son matérialisme exacerbé est parfaitement présenté et son traitement suscite toujours la controverse (voir critiques des babelionautes).

Justine ou les malheurs de la vertu est donc une très grande oeuvre immorale, d'une lecture très agréable. Quand au marquis, il a sans mérite échappé à la mort et fini chez les fous. Son âme ne connaît pas de paix : on l'a exhumé. Son crâne a illustré des conférences dans plusieurs pays. On lui prête des pouvoirs magiques. Il circule peut être -sûrement- encore quelque part, et il fait toujours l'actualité (Le Dernier Crâne de M. de Sade ; Histoires Chûchotées à Justine, etc)
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En tant que lubrique notoire, auto-proclamé, et assumé, qui a pour maîtres à penser Ellroy et Bukowski depuis de bien longues années, tous mes amis éclataient de rire et démolissaient ma crédibilité quand je leur disais que je n'avais encore jamais lu les écrits du Divin Marquis... Il FALLAIT que je comble cet... impératif. Voila qui est chose faite, et je m'en vais gloser à propos de Justine.

Je ne savais pas du tout que j'allais lire un truc pareil, je pensais à quelque chose de proche des Liaisons dangereuses, à un roman confiné dans les boudoirs luxueux... Que nenni! Imaginez un roman philosophique à la Voltaire, mais version trash. L'héroïne Justine n'a de cesse (et vraiment... c'est TRÈS répétitif, un des seuls reproches qu'on puisse faire à l'oeuvre) de tomber de Charybde en Scylla sur 360 pages. Partout où elle va, elle sera violée, torturée, victime de chantage, accusée de meurtre, etc. Avec à la clé, des joutes verbales incroyables, car chez Sade, les voleurs, criminels, pervers les plus dérangés, toute la lie de la société, sont de formidables raisonneurs et philosophes, qui défendent dans des argumentaires magistraux leurs pratiques et vues morales. le roman est ainsi structuré : Justine arrive quelque part, chez quelqu'un, elle se fait duper et se retrouve prisonnière des plaisirs et des infâmies de son hôte, mais avant ou après la scène orgiaque, nous avons droit à la justification par le forban de ses "affreux systèmes" comme Justine les appelle, avec même à la clé arguments d'autorité. Je dois dire que les premiers sont assez extraordinaires, on dirait presque du pré-Hugo, encore une fois version trash, car le grand Victor ne saurait voir cela : Sade justifie le crime, la légitimité à exercer le mal, à cause de la pauvreté terrible, des inégalités qui s'abattent sur ceux qui sont devenus des malfrats. Les tirades en faveur de l'athéïsme, qui montrent à la pauvre et vertueuse Thérèse (identité factice de Justine durant toutes ses aventures dégradantes) que Dieu est forcément absent ou mauvais vu ce qu'il arrive à sa plus fidèle disciple et à quel point les brigands triomphent toujours d'elle, sont également assez jouissives. J'ai pensé à La Fontaine aussi, lorsque la pyramide de la Création est remise à plat, que toute vie, jusqu'à la plus misérable, est défendue, justifiant ainsi le meurtre, puisqu'il nourrit les vers!

Mais au fur et à mesure que le roman se répète et que les délires des tortionnaires empirent, on se lasse et on adhère moins, particulièrement quand il s'agit évidemment de défendre l'infanticide, le sadisme à proprement parler, le plaisir du meurtre, etc. Mais l'exercice rhétorique, de la part de Sade, est tout de même louable. La fin est plutôt inattendue, et j'ai bien ri.

Par le caractère systématique des pièges et horreurs dans lesquels tombe Justine/Thérèse, et l'omniprésence du Mal, cela peut être une lecture difficile et rebutante pour beaucoup de lecteurs, âmes sensibles s'abstenir... Malgré l'humour gras à certains passages, le côté parodie des romans de l'époque et la naïveté incorrigible de Justine qui prêtent parfois à rire.

Sade est en effet souvent apparenté au roman noir, ou perçu comme un précurseur... Je ne suis pas vraiment convaincu par cette étiquette. Certes, il donne à voir une société ENTIÈREMENT gangrénée par le vice et la corruption, où Justine, et seulement deux ou trois véritables bienfaiteurs, sont des exceptions... Mais on reste tout de même dans une ambiance, une écriture (magnifique, soit dit en passant, bien qu'elle aussi répétitive) et une construction romanesque caractéristiques du XVIIIe siècle.

Ce qui est drôle, c'est qu'il existe trois versions de ce roman, de la plus soft à la plus hard. Celle-ci est l'intermédiaire. Je n'ose imaginer la troisième (La Nouvelle Justine)...

Me voila convaincu, malgré évidemment le petit lot de réserves! J'en lirai certainement d'autres plus tard, j'en ai quelques-uns... En attendant, je pense revenir à une de mes idoles de toujours...

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l'expo inspirée de Sade au grand palais me fait ressortir ce livre lu depuis longtemps;j'avais bien aimé découvrir cet esprit si particulier en parallèle avec ma découverte de la philosophie...quelque part de quel principe de base partons nous pour envisager nos relations aux autres
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Après la lecture de Les Infortunes de la vertu, je me suis plongée, longuement et lentement, dans celle de Justine: connaissant déjà une grande partie des épisodes, j'ai surtout apprécié les nouveaux ajoutés ultérieurement. Les épisodes antérieurs ont été amplifiés et davantage décrits. J'ai un peu regretté l'art de la litote dont avait fait preuve Sade dans la première version de cette oeuvre, mais ai néanmoins apprécié de retrouver son écriture sadienne telle que je la connaissais : à la fois pornographique et essayiste, des réflexions philosophiques fortes émaillées d'épisodes cruels en illustration de ses propos. Fascinée par les discours des libertins mis en scène, je reste d'ailleurs toujours aussi peu convaincue par la conversion finale de Juliette: elle est incompréhensible et trop artificielle selon moi.
J'ai hâte de pouvoir lire la suite: l'Histoire de Juliette (une fois que j'aurais enfin réussi à me procurer cette oeuvre introuvable en poche...)
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Je n'avais encore jamais lu Sade. J'ai souhaité (enfin) découvrir cet auteur « classique déluré » du XVIIIème siècle.

J'ai donc pioché au hasard, c'est tombé sur Justine ou Les Malheurs de la vertu. Il faut savoir que Donatien-Alphonse-François de Sade, né en 1740 et mort en 1814, a écrit plusieurs versions de ce récit malheureux dans lequel le vice triomphe constamment sur la vertu. La première, intitulée Les Infortunes de la vertu, a été écrite en 1787 alors qu'il était emprisonné à la Bastille (pour empoisonnement et sodomie). Ce manuscrit fut exhumé par Apollinaire au début du XXème siècle et publié par Maurice Heine en 1930. La seconde version est celle de cette chronique et a été publiée en 1791. Enfin, la dernière s'intitule La nouvelle Justine, ou les Malheurs de la vertu (Suivie de l'Histoire de Juliette, sa soeur) et se présente comme publiée en Hollande en 1797, mais fabriquée et diffusée à Paris en 1799.

D'un conte philosophique à son origine, il devient davantage un roman au souffle romanesque noir dans cette deuxième version. Justine, que la Vertu ne peut quitter, enchaîne les déboires pervers et tombe dans tous les panneaux. Chacune de ses rencontres, lors de chacun de ses périples malheureux, la fait se confronter à des libertins qui incarnent véritablement le Mal. La première moitié de cette deuxième version de Justine serait assez similaire à celle de la première version, donc davantage dans l'esprit du conte. Et effectivement j'ai pu constater une montée en puissance de la violence sexuelle et de la perversité en deuxième partie. L'ange Justine est alors la victime de multiples bourreaux sodomites et cruels. Les actes incestueux, sanglants, déchirants s'enchaînent au rythme de l'imagination de plus en plus folle et débridée de l'auteur.

Par ailleurs, le « Divin Marquis » transpose son enfermement dans son récit. Ainsi l'héroïne va-t-elle de prison en prison même si elle est représentée tantôt par un château tantôt par un couvent. le récit est noir, tant par les lieux sombres des débauches que par les agissements des personnages. Justine, qui se renomme rapidement en Thérèse pour cacher sa réelle identité, paraît alors bien naïve et très malchanceuse. La vertu est alors présentée comme une souffrance face au vice des libertins qui s'en sortent toujours haut la main. Cet apologie répétitive du Mal est parfois bien ennuyeuse à lire. On aimerait « secouer » l'héroïne et crier à l'auteur qu'il peut cesser ses redites puisque nous avons compris son message.

Mais comme l'explique très bien Béatrice Didier, qui préface et commente cette édition : « L'univers sadien est un monde de la réitération sans fin, certes. Mais cette inlassable redite se situe à des niveaux différents et multiples. le personnage libertin cherche désespérément, par la répétition de ses actes, à atteindre un absolu qui toujours lui échappe. le romancier ramène son personnage dans des situations identiques, symétriques, par une technique propre au roman baroque, mais que Sade semble avoir poussée à ses conséquences extrêmes. »

À travers Justine / Thérèse, Sade dénonce également toute forme de religion et ses institutions. L'épisode de l'héroïne pieuse enfermée, violée et violentée dans un couvent parmi bon nombre de compagnes d'infortune en témoigne.

Il est aussi beaucoup question d'argent. Quant les personnages issus de la noblesse ne sont qu'âmes perverties et réchappent de tout, l'héroïne tombée dans la pauvreté ne fait que vivre dans le malheur malgré une grande vertu. Il élève alors la haute sphère dans ce qu'elle a de plus vicieux tout en exprimant l'opinion de celles et ceux qui la composent à coup d'aplats philosophiques de ses personnages libertins. Ainsi apprenons-nous la maigre considération de ces hommes à propos des femmes. Poils dressés assurés !

On pourrait encore analyser ce roman de Sade et c'est ce qui le rend intéressant. Mais sans nul doute, il n'est pas à remettre entre toutes les mains. On comprend aisément que le Marquis fut l'objet de controverse et que ses écrits furent longtemps censurés. le néologisme « sadisme » prend alors tout son sens.
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Les scènes violentes ou sexuelles sont parfois difficiles, âmes sensibles s'abstenir. Mais la langue est formidable, et la philosophie est très intéressante.
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J'apprécie beaucoup Le Marquis de Sade par son originalité, sa manière de penser et son audace. Il incarne bien le 18e siècle.
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« Martine chez les curés » ou  « Sade est-il encore scandaleux aujourd'hui ? »

La vertu n'est que comédie.
D'abord le roman  « Les infortunes de la vertu » : ne vous attendez pas à une suite de scènes immorales (vous seriez déçus) c'est avant tout un roman tout ce qu'il y a de plus classique, avec une histoire qui suit son fil, une héroïne certes exagérément naïve (Sade s'amuse à surcharger le trait d'une fille qui ne se raccroche qu'à sa vertu, sous le double regard de la société et surtout d'une « justice céleste « ) jusqu'à un dénouement oh combien ! Théâtral ; Sade ne va rien lui épargner : après être passée entre les mains de sadiques en tous genres, mais toujours vierge d'un point de vue animal, elle débarque au milieu du roman dans un couvent dissimulé derrière d'immenses murailles. Fatalement, comme un enfant qui entre en orphelinat, un prisonnier en prison, un vieux ou un fou dans un asile (bref tout huis clos qui permet la mise en oeuvre des fantasmes les plus inavouables) elle y devient le jouet de la perversion d'hommes omnipuissants.

A propos de cette « vertu » si mal définie
C'est sans doute ce qu'il y a de plus vieilli dans ce roman, cette chimérique vertu défendue bec et ongle, à cette époque encore imprégnée (badigeonnée) de religion (aujourd'hui on parlerait « d'orgueil »)
Ce n'est pas juste le mot « vertu » qui a perdu sa vitalité, sa  contemporanéité , c'est le sens même de cette vertu qui a disparu. Il en reste tout au plus une image ridicule dans les vieux romans ou peintures, façon Virginie (Paul et Virginie) qui refuse d'enlever sa robe dans la tempête, ce qui lui aurait permis de sauter à la mer et rejoindre à la nage la côte toute proche… La vertu est un mot disparu, ou plutôt le monde où la vertu avait un sens a disparu.
Et il faut l'avouer (le confesser) cette oie blanche exagérément naïve, qui en prend plein la tête, ça a quelque chose de drôle, comme toute exagération ; on en vient secrètement à espérer que la misérable « apprenne la vie »...
C'est drôle aussi par ce que les mots se parent de la même pudibonderie que la malheureuse quand il s'agit d'être précis dans les pratiques sexuelles. Par exemple, « Raphaël (…) se satisfait outrageusement, sans me faire cesser d'être vierge », tout ça pour dire qu'elle se fait enculer. Et tout de suite après pour un deuxième assaillant « (…) l'endroit où son hommage va s'offrir laissera de même ma vertu sans péril. Il me fait mettre à genoux, et se collant à moi dans cette posture, ses perfides passions s'exercent dans un lieu qui m'interdit pendant le sacrifice le pouvoir de me plaindre (…)» Personne ne me fera croire que Sade ne s'amuse pas ici à dire cette femme qui ne peut plus parler parce que la bouche pleine…
(A noter que pour « l'héroïne », sa vertu se limite ici à la fine membrane dans son vagin)

Mais même à l'époque de ces écrits, est-ce ces quelques scènes de torture et de sexe qui ont choqué ? A une époque proche où, en guise de cinéma, on allait sur la place publique voir un écartèlement ? Ou quand il s'en prend à cette obscénité parmi les obscénités qu'est la religion (même si son final voudrait dire toute la dévotion d' un livre bon chrétien, très certainement que Sade pensait ainsi s'éviter quelques foudres non divines, mais sans se rallier une seconde à cette fin couillonne) Cette époque n'était-elle pas déjà en partie nettoyée de cette crasse religieuse ?
Ou encore quand il choisit finalement des « hommes de dieu » pour prendre à son héroïne cette vertu jusqu'alors si difficilement défendue, dont l'un d'eux est parent du pape ! Aujourd'hui pour chercher pareils provoc', il faudrait se rendre au Kremlin pour traiter Poutine de couille molle.

Alors, est-ce plutôt les discours politique que l'on trouve dans le roman, comme celui par exemple de la Dubois à la jeune naïve « Sophie » qui ont suscité tant de réactions hostiles ? Dire par exemple qu'il ne peut y avoir de sens à la vertu sans justice (sociale), quel scandale ! Que dans une société inégalitaire, le vol, le meurtre, rien n'est immorale, quelle provocation !
« Cette classe qui nous méprise à pour elle toutes les faveurs de la fortune ».
Mais personne en vérité, pas plus hier qu'aujourd'hui, ne découvre ici que toute société humaine est basée sur l'inégalité, que sans inégalité il ne peut y avoir société. L'auteur fait dire à un de ses personnages à qui il donne un caractère exagéré dans le cynisme, que le riche a droit de tuer le faible, le pauvre, c'est une loi de la nature. Est-ce les délires d'un seul « hors norme » ou la réalité observée de la civilisation ?
L'obscénité, c'est la société humaine (les hommes de pouvoirs, de religion, tout un chacun)
Tu m'étonne que Sade ait passé la moitié de sa vie en prison avec pareil discours socialiste avant l'heure !
Ou alors, autre discours difficile à entendre certainement, montrer qu'en ces époques où le jeune homme de bonne famille n'avait pour choix que le Rouge ou le Noir, le choix de la femme non marié lui était encore plus circonscrit  (autour de sa culotte)
En fait, ce n'est rien de tout ce que je viens d'énumérer qui fait scandale, mais le fait qu'il le dise : des humains éprouvent du plaisir à en torturer d'autres : la belle affaire ! Personne ne découvre rien, mais cela ne se dit pas, cela ne peut se dire.
A la lecture de nos jours, on se dit juste que Sade est un habile observateur. C'est parce qu'il tend un miroir à l'humanité qu'il paraît scandaleux, profanateur à son époque. C'est ce miroir qui a pu rendre insupportable ses écrits. Il n'y a rien d'immorale chez Sade, pas plus que chez un journaliste à notre époque qui filme la guerre.

Mais resterait-il ici alors quelque chose de scandaleux pour notre époque ? quelques rares scènes de sexe ? L'immoralité de certains (un fils veut tuer sa mère ?) ? le goût pour la torture  (des religieux séquestrent et supplicient un groupe de femmes ?) ? le pouvoir qui permet tout…
Bon, premièrement pour ce qui est du sexe, on trouve à présent bien pire dans tout bon roman pour mémère.
Pour ce qui est de l'immoralité, la torture… La belle affaire ! Il n'y a qu'à allumer la télé pour trouver plus pervers : une assistante pas très maternelle fait boire du Destop à un bébé qui a eu le malheur de pleurer, une maman jette sa fillette nue dans une baignoire bouillante, un papa éventre et tue sa petite fille de un an en la pénétrant, un homme séquestre dans sa cave une enfant durant des années… Notre époque n'a rien à envier au XVIIIe siècle ni même au Moyen-Age. C'est juste que le spectacle qui jadis se regardait avec gourmandise sur la place publique à présent se déroule en premier lieu au sein plus pudique de la famille. La torture est devenue avant tout une histoire de famille, et plus accessoirement tout autre huis-clos institutionnel (à la seule différence là, c'est que c'est l'État qui régale, qui offre les proies) Sade n'est qu'un petit joueur face à la constance de la réalité de l'humanité, des papas qui chaque soirs font preuve de bien plus de créativité que dans les pires passages de ce roman. Depuis ses écrits, bien du sang a coulé sous les ponts et dans la culture sous toutes ses formes.
Par exemple, pour ce qui est du côté perversité, le règlement sadique basé sur la dénonciation dans le monastère ressemble furieusement au règlement dans « l'école en bateau », célèbre cas ou des enfants durant un an étaient livrés corps et âmes, sur un bateau qui parcourait le monde, à une équipe de pédophiles expérimentés (« emprise psychologique pour assouvir des pulsions sexuelles » selon la cour lors du rendu du procès)
Quand aux idées politiques du roman sur la réalité de nos sociétés plus que malades, qui à part un petit enfant croit encore en des « égalité », « fraternité » et autres contes de fées pour attardés ?

Alors ? Qu'est-ce qui pourrait choquer un public aujourd'hui  chez Sade ? Bin, rien...
En nous affligeant de cette fin d'une morale obligée affligeante (la malheureuse, enfin débarrassée de son infortune, se lamente et meurt tué par Vous Savez Qui (l'un des deux dont on ne peut prononcer le nom, et, petit indice, ce n'est pas l'adversaire de Harry Potter) d'un coup d'éclair dans le coeur ! ) Sade condamne son roman à la désuétude.
L'immoralité qui gagne à la fin (on y a presque eu droit, après tout c'est le discours tout au long du roman), des méchants non puni, le cynisme qui triomphe ... voilà qui aurait donné ici une oeuvre entière, intemporelle, à minima au dessus de la quasi totalité de la production actuelle. Mais déjà à l'époque les écrivains n'étaient pas foutus d'aller au bout de leurs idées…
A moins de voir ici un point de vue caché, conspirateur (chez l'auteur ou le lecteur fêlé?) L'immoralité est sauve, puisque finalement, celui qui gagne à la fin, c'est dieu (oops ; j'ai dit son nom!) exemple divin d'injustice, de narcissisme et de haine. L'immoralité est alors sauve.
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Au-delà de la torture et de la pornographie c'est une oeuvre qui a du sens philosophique car elle pousse le questionnement - elle questionne plus qu'elle ne répond, c'est une oeuvre littéraire qui n'est pas un essai classique quoiqu'on y trouve des dissertations - à un niveau qu'aucun philosophe n'eut atteint à l'époque. Alors, on peut évidemment éviter de prendre le récit comme une sorte de modèle comportemental. Mais c'est tout de même beaucoup plus subtil que de la simple torture ou de la simple pornographie. Pour Sade, la nature est mauvaise, et s'y affranchir, c'est l'imiter : elle est finie et doit, pour renouveler ses productions, user de la destruction. Sade pousse les hypothèses philosophiques à leur maximum, et c'est tout l'intérêt. Par là, Sade donne de l'enjeu à l'existence même de la morale.
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