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Nous sommes en 1960 (ou 1961?), quelque part en Argentine, et ce matin d'octobre (ou était-ce en novembre...) le jeune Leto descend du bus qui est censé le mener au travail : il a envie de marcher. En chemin, il rencontre un ami, le Mathématicien, et durant leur promenade ils essaient de reconstituer la soirée d'anniversaire de Noriega, un poète de leur connaissance. Ni l'un ni l'autre n'a assisté à cette fête mais ce n'est pas la question. Il y a tant de façons de la raconter. Et puis en vérité, qui se soucie rééllement de cette soirée, sûrement pas le lecteur qui suit avec une fascination grandissante les déambulations matinales des protagonistes et les pensées vagabondes qui accompagnent leurs pas.
Le génie de Saer repose sur une histoire qui n'en est pas une, une "glose" du souvenir par différents personnages, un texte-illusion qui se construit pour élucider les évènements de cette soirée d'anniversaire, tout en s'en éloignant constamment. Dans le présent suspendu d'une balade de deux kilomètres et quelques, chacun des deux personnages se perd à loisir dans des évènements marquants du passé ou apparait dans des moments à venir, sans aucune linéarité chronologique ou volonté d'unité.
Dans une langue impressionnante et aussi sinueuse que leur trajet, Saer nous invite à contempler une réalité fragmentée qu'aucun discours ne parvient à englober. de fulgurances poétiques en répliques désopilantes, le narrateur nous interpelle constamment, compose un jeu littéraire de haut vol, contrariant constamment nos attentes, dans une construction absolument parfaite.
Peut-être pourrait-on croire qu'il ne se passe rien dans ce texte, mais dans le temps de ce rien, c'est tout l'avenir individuel et collectif de l'Argentine qui se dessine, la dictature, la répression, l'exil.

Un immense roman en somme, un écrivain non moins immense, qui après "L'ancêtre" qui m'avait beaucoup marquée, m'a complètement subjuguée.

Mention spéciale pour le cauchemar du Mathématicien qui déplie a l'infini l'accordéon de papier qui dévoile les différents visages d'un moi qui se dérobe, et pour les dernières oranges de l'hiver qui rappelle à Leto un touchant souvenir d'enfance.

Coup de coeur!
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Glose est assurément un grand livre, un livre presque aussi important que Ulysse de Joyce, version argentine. La déambulation dans la rue San Martin des deux personnages principaux, Léto et le Mathématicien, accessoirement rejoints par Tomatis, ne dure que quelques heures. Ils sont comme filmés de l'intérieur, au ralenti, par le narrateur, alors qu'ils tentent de reconstituer une soirée d'anniversaire à laquelle ils n'ont pas assisté. Glissé dans les arcanes de leurs consciences respectives, le narrateur étudie leurs supputations, leurs sentiments, leurs hypothèses à propos des convives rassemblés autour d'un certain Washington. Personne ne peut savoir exactement ce qui s'est dit ni ce qui s'est passé ce soir–là, mais cela n'a pas la moindre importance, le texte se déroule comme si le lecteur l'écrivait avec ses propres interrogations, ou lisait ce qu'il aurait pu écrire. En sondant alternativement les méandres des consciences de Leto et du Mathématicien, Saer construit deux personnages qui se réfléchissent l'un dans l'autre et installe une amitié provisoire qui parvient à suspendre le temps et à créer une sorte d'éternité dans l'instant. Absolument éblouissant.
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GLOSE de JUAN JOSÉ SAER
On est le 23 octobre 1961, ou pas, octobre ou novembre, 60 ou 61,le 23 ou le 25, quelle importance? Angel Leto est descendu de l'autobus avec l'envie de marcher dans la rue St Martin ensoleillée, pas envie de retrouver son entresol obscur où il pratique la comptabilité. Pourquoi flâne t il au lieu d'aller travailler, peut-être parce que sa mère, ce matin en prenant le café lui a dit »lui qui a tant souffert ». Il n'a pas voulu investiguer en voyant Isabel, sa mère, il s'est dit »me sonde t elle ». Il lui donnerait volontiers la réponse s'il la connaissait, Leto hésite puis s'enferme dans le silence, oui, c'est sûrement pour cela qu'il est en train de marcher dans la rue St Martin, ou pas, comme sa mère poussée à prononcer des phrases mystérieuses. En chemin il croise le Mathématicien, tout bronzé, qui revient d'un voyage en Europe, il est à bicyclette, il lui égrène toutes les capitales qu'il a visitées, c'est un penseur, il a été de tous les groupes trotskistes vers 55, famille d'avocats. Quand Tomatis parle d'un auteur qu'il ne connaît pas, il achète ses oeuvres complètes et à la prochaine rencontre il est prêt à discuter.
On va suivre sur quelques kilomètres, un ou deux, la discussion de ces deux « amis »aussi dissemblables que possible mais qui ont en commun un problème, ils ont raté la fête d'une de leur connaissance, Washington Noriega et en avançant dans la rue ils vont « gloser ». Ils vont tenter de reconstituer ce moment raté au milieu de leurs propres pensées et de leurs préoccupations pratiques qui les feront dériver loin de cette soirée.
On retrouve dans ce livre les personnages favoris de Saer, Tomatis, Soldi, Pigeon ou Washington, tous artistes ou intellectuels, c'est un livre brillant, intelligent, Saer a une plume d'une grande finesse.
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Ce roman de Juan José Saer (1986) est une expérience littéraire à nulle autre pareille. le Temps et la mémoire sont les thèmes du livre. Ce qu'il reste d'un événement et qui est sujet à caution. Ce qu'il reste c'est la glose, des commentaires, des interprétations qui ont pour la mémoire l'apparence d'une vérité.

Ce jour-là, cela devait être le 23 octobre 1961 mais rien n'est moins sûr, ce jour là dis-je Angel Léto sans trop savoir pourquoi, descend du bus au coin du boulevard, assez loin de son travail d'aide comptable et continue son chemin à pied dans l'avenue San Martin. Puis toujours par hasard, il rencontre le Mathématicien, bronzé et tout de blanc vêtu,y compris ses mocassins. Les deux jeunes gens n'ont pas grand-chose à se dire, a priori, n'est-ce pas ? Et pourtant ils se mettent à discuter pendant cinquante cinq minutes sur deux mille cent mètres, beaucoup moins longtemps soit dit en passant qu'il nous en faut pour parcourir le roman. Ils discutent au sujet d'un événement anecdotique. Ils glosent à propos de la fête d' anniversaire du poète avant-gardiste Washington Noriega à laquelle aucun des deux n'a assisté. le Mathématicien était en Europe pour des conférences et Léto n'avait pas été invité. Encore sous le coup de l'émotion provoquée par une phrase mystérieuse prononcée par sa mère le matin même, Léto écoute poliment mais d'une oreille distraite le Mathématicien frustré lui raconter ce que lui a rapporté le dénommé Bouton qui était à la fête. Au premier tiers du livre, à la fin des sept cents premiers mètres, un autre personnage apparaît. Tomatis le journaliste accompagne les deux autres pour un temps. Il était à la fête et il raconte sa version. Mais peut-on s'y fier ?

Ce livre a une construction complexe mais pourtant très claire, grâce aussi à la traduction épatante de Laure Bataillon. Il est composé en trois parties (Les 700 premiers mètres, les 700 mètres suivants, les 700 derniers mètres) . A chaque fois des blocs de récits alternent : les propos des protagonistes ; ce qu'ils pensent mais qu'ils ne disent pas : les conjectures savantes du Mathématicien à propos de la fiesta d''anniversaire, celles de Léto au sujet des paroles funestes de sa mère, les interprétations des gestes et des propos des uns sur les autres, les souvenirs récents ou anciens de chacun d'eux ; le récit du narrateur omniscient : récits et commentaires sur les personnages principaux et secondaires, résumés toujours différents de la situation, sauts dans le futur tôt dans le roman qui nous permettent d'appréhender le contexte politique du livre, de rendre le récit tragique et les personnages touchants.

Cette construction savante et géométrique du récit épouse le plan en damier, entre ombre et lumière du boulevard. L'écriture est sinueuse comme notre mémoire, pleine de digressions drôles ou dramatiques, d'interrogatives malicieuses, d'évocations lyriques d'instants avec de gros plans sur des détails ou des gestes que le temps a engloutis.

Merci beaucoup Eduardo (Creisifiction) de m'avoir fait connaître ce grand écrivain argentin.
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Après cinq livres lus de cet auteur, celui-ci me semble le plus abouti. Il nous fait rentrer dans un récit à étages et à points de vue différents, points de vue qui posent la question de la critique et de la remise en question. Narration directe et narration indirecte, subjectivité, objectivité, narration du quotidien, questionnements existentiels dans un récit qui tourne autour d'une action quotidienne... On se croirait dans un livre que Claude Sautet aurait lu avant de réaliser "Vincent, François, Paul et les autres". Mais Sautet n'en aurait perçu qu'une portion assez fine et superficielle (et pourtant j'adore ce film).
Saer construit un récit qui déconstruit une réalité, pour tenter de nous en présenter le coeur et l'essence. Ou alors se ficherait-il de nous? Non, Glose fait partie de l'ensemble de cette oeuvre-vie qu'il a composé autour d'une panoplie de personnages dont l'apparente banalité masque le profondeur de la réflexion autour du combat pour l'existence et de l'exil face à, il faut bien le dire, l'oppression.
J'ai lu par ailleurs que Barco, Tomatis et Soldi étaient des personnages banaux. En réalité, tout comme Saer, ils sont en exil du monde qu'ils souhaitent, du pays qu'ils souhaitent, de la réalité qu'ils souhaitent. Alors, Saer tente de nous en faire apprécier la réalité entr'aperçue par les lorgnettes subjectives de ces personnages dont les intérêts, les ambitions, les réalités sont différentes -et qui pourtant vivent dans le même monde...
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Glose ? Gnose peut-être (ou plutôt ?)
Oui, le livre est habile, mais la quatrième de couverture (oui, bon, je sais...) et la préface nous le, à mon avis, n'est ce pas ? sur-vendent, dans le sens qu'ils promettent une lecture décisive sur le tout, l'avant l'après, ou alors je n'ai pas bien compris, n'est ce pas ?
Donner une note est encore plus difficile que pour d'autres ouvrages. Ce 3/5 est modérateur, je trouve...
Et sinon, cette histoire de moustique ? C'est l'hiver, n'en parlons plus.
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Ceci est un ouvrage de littérature, certes, mais s'agit-il d'un roman ? Sans doute si on pense au roman parfait auquel rêvait Flaubert, celui où il ne se passe rien ; toutefois, la plupart des lecteurs jugeront cette oeuvre inclassable.

L'histoire ? Rien, presque rien : quelque part dans une ville d'Amérique du Sud, en 1961, deux hommes parcourent à pied une longue rue (2 100 m précisément) en évoquant une fête à laquelle ils n'ont participé ni l'un ni l'autre, mais dont ils comparent le souvenir qu'ils en ont, souvenir créé par les récits que leur ont rapportés des personnes de leur connaissance, soit peu de temps après la célébration de l'anniversaire en question, soit dix-huit ans plus tard.

La forme du récit me fait penser à une spirale d'axe principal horizontal : prise dans son ensemble, elle progresse, mais à l'échelle de quelques pages, elle procède à des redites, comme si elle devait régulièrement prendre son élan pour se lancer de nouveau vers l'avant. Ajoutez à cela quelques digressions et libertés avec le calendrier ─le tout servi par des phrases souvent fort longues, mais judicieusement rythmées par un usage remarquable de la virgule─ et vous pourrez entrer dans l'univers mental des deux principaux protagonistes : Angel Leto et le Mathématicien.

Le fond porte sur la mémoire et les souvenirs. On sait que nous avons une mémoire sélective qui se manifeste entre autre par la propension à effacer inconsciemment les événements qui ne nous ont procuré que peu d'émotions et qu'en revanche les émotions fortes marquent durablement notre hippocampe.

Mais dans son ouvrage, Juan José Saer va plus loin : il prétend que l'on peut se souvenir d'avoir participé à des événements qui nous ont été rapportés par d'autres, autrement dit fabriquer ou recevoir des souvenirs à partir de récits. N'est-ce pas parfois le cas pour le spectateur d'un film ? le lecteur d'un roman ?

Je ne sais si vous avez déjà ressenti physiquement la décharge que vous transmet une canne à pêche quand un poisson plus gros que celui auquel vous vous attendez vient attaquer votre ligne. Un jour, cela m'est arrivé. Mon frère était à mes côtés. Alors qu'il avait les mains dans les poches, il m'a affirmé avoir lui aussi "senti" le poisson mordre. Quand J.J. Saer fait gloser ses personnages sur des événements auxquels ils n'ont pas participé, il s'appuie sur un mécanisme de transmission comparable.

J'admets que des lecteurs puissent considérer cette conversation comme de la bouillie presque sans queue ni tête, mais on peut aussi considérer avec intérêt le mélange permanent des souvenirs personnels avec ceux qui nous sont "offerts". Il faut également admettre que dans nos monologues intérieurs tout comme, souvent, dans nos conversations, le fil de notre pensée ne suit pas une ligne droite, ce qui justifie en quelque sorte l'adéquation du style dérangeant de l'auteur au sujet qu'il traite.

On pourrait vite refermer ce livre en se disant "tout ça, ce sont des causeurs !", mais si, comme ce fut mon cas, on est très rapidement intrigué par la relative simplicité avec laquelle est rendu le cheminement complexe de notre pensée, de notre perception de la réalité et du maelstrom de nos souvenirs, on ne peut suspendre sa lecture avant d'être arrivé, sain et sauf, au terme de deux kilomètres de trottoir parcourus au prix de nombreuses rues traversées.
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Roman de nos représentations adverses de la réalité, Glose se présente d'abord comme un dialogue captivant sur notre capacité à reconstituer un événement et à intégrer une parole rapportée. le génie de Juan José Saer ne consiste pas seulement, en de longues phrases vertigineuses aux incises indécises, à questionner la réalité de notre vécu derrière ses maladroites mises en mots. Par ses réserves et retours, Gloses s'avère susceptible de nous faire partager l'itinéraire, passé et présent, de ses personnages et offrir, au passage, un portrait déchirant de l'Argentine et de ses luttes politiques.
Lien : https://viduite.wordpress.co..
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Impossible de ne pas souligner la prouesse littéraire de l'auteur. Quelle plume! De celles qui vous pénètrent jusqu'aux tréfonds. Vous avancez dans le livre au rythme des pas des protagonistes sans même vous rendre compte que vous atteignez, simultanément, leurs âmes et la vôtre. Votre conscience est altérée. Vous traversez les rues sans plus regarder...

Mais, je dois avouer aussi, que cette lecture m'a profondément ennuyée... Je n'en voyais pas le bout. Ce furent les 2km les plus long de ma vie.
Mon dieu! Comme je suis contente d'avoir enfin tourné la dernière page.
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Oeuvre magistrale. Une recherche rigoureuse sur les mécanismes de la mémoire : comment les souvenirs se modifient, se déforment, se créent parfois, par glissement, par transposition. Comment ils se perdent aussi, puis réapparaissent au gré des flux psychiques qui répondent aux stimuli internes ou externes, affectifs ou rationnels, imaginaires ou concrets.

Mêmes observations appliquées aux relations entre les êtres, écoute flottante, petits malentendus nés du décalage des réactions verbales et physiques tels que froncements de sourcils , direction du regard, sourires à contre-temps. Apparence d'attention soutenue de celui qui ne vous écoute pas, ou air délibérément distrait de qui vous écoute passionnément et croit vous cacher une faille depuis longtemps -depuis toujours- décelée. Evocation de la fragilité de l'amour-propre blessé durablement par l'oubli d'un ami qui ne vous a pas invité à une fête; par un regard dirigé sur vous et qui vous a paru sarcastique alors qu'il était destiné à un autre, voire à un démon intérieur. L'amour-propre toujours, trompeusement rassuré par une fausse cordialité, née, qui sait, d'une petite trahison, d'une légère indélicatesse dont on se croit coupable envers vous et que vous n'avez pas même prise en considération.

Ce livre est une clé de compréhension de la vie sociale et affective, en même temps qu'une oeuvre littéraire aboutie, au style efficace avec effets de répétitions hypnotiques. On pense à Proust bien sûr, quoique le style soit différent. Deux oeuvres à coup sûr complémentaires qui enseignent, à partir de faits minuscules de la vie quotidienne, ce qui est, ce qui pourrait être, ce qui est peut-être... et, puisque décidément tout est si hypothétique, les bienfaits de l'indulgence sans laquelle le pauvre animal humain ne trouverait pas grâce à ses propres yeux.
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