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EAN : 9782845737242
149 pages
Parole Et Silence (25/08/2008)
4/5   2 notes
Résumé :

À l'occasion des 80 ans d'Elie Wiesel, sont publiés cinq grands entretiens qu'il a eus avec Michaël de Saint-Cheron entre 1984 et 2000. Suivent quelques études sur Wiesel, ce méconnu, qui forment ainsi une introduction à sa pensée habitée par les questions clefs de son œuvre : quel pardon pour les bourreaux ? Israël est-il le fruit d'Auschwitz ? Le mal est-il seulement la responsabilité de l'homme ? D... >Voir plus
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Citations et extraits (1) Ajouter une citation
Monsieur Wiesel, bonjour. Ecrivain mondialement reconnu, prix Nobel de la Paix depuis 1986, vous avez défendu tout autant la cause des Juifs soviétiques, des Indiens du Nicaragua, des réfugiés cambodgiens que celle des Kurdes, des victimes de la famine en Afrique, de l’apartheid en Afrique du Sud et de la guerre en Ex-Yougoslavie. En marge de la commémoration du 60e anniversaire du camp d’Auschwitz, me revient à l’esprit un passage du discours que vous avez prononcé en 1986 à l’occasion de la remise de votre prix Nobel. Vous y évoquiez un enfant juif du ghetto, se tournant incrédule vers son père en l’implorant de le réveiller de ce cauchemar. Car cet enfant ne peut croire que l’Europe du XXe siècle, héritière du cosmopolitisme des Lumières, phare de la culture, pourra laisser faire et consentir au pire. Etiez-vous cet enfant Monsieur Wiesel ? Et par-delà cette première question, comment aujourd’hui croire encore aux Lumières, à la vertu pacificatrice de la culture, en un mot, croire encore à la Paix ? Quelles leçons devons-nous tirer des tragédies du XXe siècle ?

3Elie Wiesel : Pour la première partie de votre question, oui c’était moi. Et ce n’était pas dans le ghetto, c’était déjà dans le camp. Durant ma première nuit à Auschwitz, alors que la sélection venait d’être faite, j’étais donc seul avec mon père, mais seul comme tant d’autres centaines d’hommes, marchant vers des flammes – on ne savait pas encore à quoi cela correspondait. C’est alors que de vieux déportés – enfin vieux de trente ans – se sont approchés de nous pour nous dire : « vous allez mourir là ». Je me suis tourné vers mon père et lui ai dit : « je ne crois pas que ce soit vrai ! C’est impossible. Au milieu de l’Europe, au cœur du Christianisme, après les siècles de culture – je n’ai pas employé le mot de « Lumières », c’est un mot que j’ai appris plus tard – que cela se passe aujourd’hui et que le monde se taise ! ». Or le monde se taisait. Je pensais que le silence du monde d’alors le rendait coupable. Bien sûr il y avait la Guerre mondiale, bien sûr qu’il y avait les Alliés d’un côté et les Allemands, les fascistes et les nazis, les tueurs de l’autre, mais le monde n’a pas fait la guerre pour nous, pour les victimes. Certes, je pense que nous devons être reconnaissants envers ceux qui ont combattu le mal, que ce soit en France avec la Résistance, ou la France libre, les Américains, les Canadiens, les Britanniques… Je leur suis reconnaissant. Mais si on étudie les sources, les documents, on ne trouve nulle part, littéralement, un ordre du jour disant : « puisque l’on avance, allons libérer tel camp, tel camp! » Ce n’était pas la préoccupation de Roosevelt, de Churchill – et surtout pas de Staline.

Pour la deuxième partie de votre question, est-ce que je crois encore ? Bien sûr je crois. Je crois en Dieu, contre Dieu. Et je crois en l’homme, malgré l’homme. C’est vrai que l’humanité s’est trahie elle-même, en permettant, si l’on peut dire, à ce crime de se développer, de se produire. Et je dis même que l’humanité s’est punie elle-même, parce que parmi le million et demi d’enfants juifs qui ont été assassinés à l’âge de six mois ou de trois ans, combien de prix Nobel auraient été parmi eux ? L’un aurait pu guérir le monde du cancer, l’autre aurait pu écrire un poème si bouleversant de beauté, de vérité et de sincérité qu’il aurait motivé l’humanité tout entière à dénoncer la guerre, le racisme, la haine.

En 45, j’avais toutes les raisons du monde pour dire « ça suffit, j’ai payé mon dû. Maintenant je ne veux vivre que pour l’amour, boire le vin, écouter la musique, et jouir de la vie ! » Mais c’est le contraire qui s’est produit. Beaucoup de mes amis, eux, ont choisi la médecine, l’éducation, la philanthropie… Ce sont les exemples qui devraient être invoqués, quand on parle du mal et de sa force, ou plutôt du refus du mal après le mal. Je pense que c’est la démarche à entreprendre, c’est en tout cas une démarche noble.

Le Ph. : Du Testament du poète juif assassiné au Cinquième fils, sans oublier le témoignage effrayant que vous livrez dans La nuit en 1958, votre œuvre est habitée, hantée par l’horreur de la guerre, de la déportation et la découverte, car vous avez 15 ans en 1944, de la barbarie nazie. Si bien que vous semblez, dans vos livres, non seulement revenir inlassablement à la question de l’homme, mais y revenir à partir d’une interrogation plus précise : faut-il, pour penser l’homme, penser Dieu à Auschwitz, ou au contraire, penser Auschwitz sans Dieu ? Est-ce que Dieu doit être pensé, comme nous y invite la tradition de la Kabbale, comme Tsimtsoum, le « retrait », « la disparition » en hébreu ? Ou bien doit-il être pensé comme le « seigneur de l’histoire », ce qui, selon Hans Jonas, permettrait de comprendre pourquoi la conscience juive éprouve tant de difficultés à prendre acte de la Shoah 

Hans Jonas, Le concept de Dieu après Auschwitz, première… ?

W. : Une petite remarque concernant mon œuvre. J’ai publié plus de quarante ouvrages. Or, très peu traitent de cette tragédie-là. Intentionnellement, j’ai refusé d’y toucher trop souvent, pour ne pas en faire tout simplement une routine. Donc je ne l’enseigne pas non plus. J’ai une carrière universitaire de trente-cinq ans. Pendant les deux premières années on m’a supplié, voire forcé, de le faire, parce que très peu de gens à l’époque enseignaient Auschwitz. Je l’ai fait, et c’était dur ! Pas seulement parce que c’était trop personnel, mais aussi parce que j’en voyais l’effet sidérant sur de jeunes élèves. Ils n’arrivaient pas à se lever à la fin du cours, pour aller écouter un cours sur Descartes ou Hegel ou Shakespeare. Ils restaient comme soudés les uns aux autres. C’est un peu pareil pour mes écrits. J’ai beaucoup écrit sur la Bible: célébrations bibliques, prophétiques, talmudiques. Je prépare actuellement une sorte de « célébration mystique ». Donc, cela n’a rien à voir avec cette tragédie, du moins pas directement, peut-être par le biais de mes souvenirs d’une part, et de mon optique talmudique de l’autre. Tout cela pour se nourrir et se renforcer, pour aller de l’avant.
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