Dramatique mais aussi émouvante mise en scène de l'évolution des conceptions et des sentiments.
Pourquoi n'avais-je pas lu ce livre avant ? Peut-être parce que c'était un Goncourt et que je doute parfois de ce prix ou trouve qu'il ne reflète que rarement mes goûts de lecture. Mais les billets de certaines babélionautes - suivez mon regard vers Patoux66 - ont éveillé ma curiosité. Et me voilà refermant le prix
Goncourt De 2014 avec cette leçon ‘'ne pas rester sur des a priori, réviser toujours et encore son jugement littéraire ». Et comme tant de bons billets ont déjà été écrits et lus, je vais rester succincte et relever quelques citations que je tiens à conserver.
Lydie Salvayre, à travers les souvenirs fragmentaires recueillis auprès de sa mère, dresse en 2010 le portrait d'une époque peu connue ailleurs que par les habitants du pays même, à savoir l'histoire de l'Espagne autour des années 1936. Cette mère qui souffre pourtant de la maladie d'Alzheimer, arrive encore à transmettre le vécu des espagnols durant cette époque. En parallèle, l'autrice choisit de convoquer quelques excellents écrits de
Georges Bernanos.
L'ensemble apporte un éclairage que je qualifierais de « global » des horreurs de l'époque. Les livres d'histoire condensent en parlant d'un ‘'Conflit qui opposa de 1936 à 1939 le gouvernement républicain espagnol de Front populaire à une insurrection militaire et nationaliste dirigée par le général Franco''.
L'insurrection libertaire
contre le fascisme et l'enthousiasme de la classe populaire en 1936, eux-même suivis par le désarroi et la déconfiture politique de 1937 sont palpables dans ce roman.
De 2010 on se retrouve en 1936 dans un petit village où s'affrontent de trop nombreux courants : franquistes mais aussi libertaires, républicains et communistes. Aussi petit soit ce village, aussi fortes sont les convictions de chacun et donc l'acharnement à se détruire les uns les autres.
J'ai apprécié le ton vif et les traits d'humour dont use à bon escient l'autrice ; les faits étaient pourtant dramatiques.
Durant ma lecture j'ai davantage appris sur
Georges Bernanos qu'à travers les livres qu'on nous imposait durant notre scolarité. Son émotion et sa fougue sont habillement mélangées à ceux de la mère de l'autrice. Au début on est un peu déstabilisé par le parlé plein d'hispanismes de la mamie, mais on finit par plus ou moins décoder les locutions espagnoles. A ceci se superpose le style académique des écrits d'un
Bernanos monarchiste, catholique et traditionaliste. Sous la plume de cette grande écrivaine, l'effet est réussi.
Un tango de styles qui sied à merveille à une période de l'histoire qui fut lourde à vivre et à porter par l'Espagne mais qui, grâce la plume de
Lydie Salvayre, restera dans ma mémoire.
Citations :
« L'épiscopat espagnol n'a cessé au long des siècles de trahir, de dévoyer et de défigurer le message christique en se détournant des pauvres au profit d'une poignée de "canailles dorées". L'Eglise espagnole est devenue l'Eglise des nantis, l'Eglise des puissants, l'Eglise des titrés. Et ce dévoiement et cette trahison ont atteint un sommet en 1936 lorsque les prêtres espagnols, de mèches avec les meurtriers franquistes, ont tendu leur crucifix aux pauvres mal-pensants pour qu'ils le baisent une dernière fois avant d'être expédiés ad patres. Pour l'exemple. »
« Ils disent qu'ils savent à présent où mettre leur courage. Ils disent qu'ils ne supporteront plus de laisser leurs désirs à la porte d'eux-mêmes, como un paraguas en un pasillo. Que leur père se foute bien ça dans le crâne ! Finies les peurs et les abdications ! »
«
Bernanos découvrait, le coeur défait, que lorsque la peur gouverne, lorsque les mots sont épouvantés, lorsque les émotions sont sous surveillance, un calme, hurlant, immobile s'installe, dont les maîtres du moment se félicitent. »
Parlant de sa mère « Je l'écoute me dire ses souvenirs que la lecture parallèle de
Bernanos assombrit et complète. Et j'essaie de déchiffrer les raisons du trouble que ces deux récits lèvent en moi, un trouble dont je crains qu'il ne m'entraîne là où je n'avais nullement l'intention d'aller. Pour être plus précise, je sens, à leur évocation, se glisser en moi par des écluses ignorées des sentiments contradictoires et pour tout dire assez confus. »