L'Évangile selon Pilate/
Eric Emmanuel Schmitt
En guise de prologue à mon commentaire de ce livre marquant, je voudrais citer le grand poète bisontin :
« En ce temps-là, Jésus était dans la Judée ;
Il avait délivré la femme possédée,
Rendu l'ouïe aux sourds et guéri les lépreux ;
Les prêtres l'épiaient et parlaient bas entre eux.
Comme il s'en retournait vers la ville bénie,
Lazare, homme de bien, mourut à Béthanie.
Marthe et Marie étaient ses soeurs ; Marie, un jour,
Pour laver les pieds nus du maître plein d'amour,
Avait été chercher son parfum le plus rare.
Or, Jésus aimait Marthe et Marie et Lazare.
Quelqu'un lui dit : « Lazare est mort. »
Victor Hugo/
La Légende des Siècles II/ VIII
Ces quelques vers mémorables nous mettent de suite dans l'ambiance du roman.
Yéchoua (Jésus) est assis sous la ramée des oliviers dans les jardins de Gethsémani.
Et il raconte, il se confie. Il nous donne sa version des faits qui ont marqué sa vie en attendant les légionnaires qui ne sauraient tarder : il sait qu'il a été trahi, mais ce fut son choix.
Dans l'attente, il se remémore son enfance, sa jeunesse, ses rencontres notamment celle de Johanan le Baptiste sur rives du Jourdain. Il revit la transformation qui s'est opérée en lui par la suite et sa relation avec sa famille en a été affectée pour devenir déplorable.
Il nous fait part de sa grande amitié avec Yehoûdâh (Judas l'Iscariote) qui l'accompagne le plus souvent. Son disciple préféré selon l'auteur.
Yechoua a refusé sa messianité malgré les exhortations de ses disciples :
« Je n'étais pas un meneur d'hommes, mais un meneur d'âmes. »
Il se heurta aux pharisiens, protecteur de la Loi, car il ne respectait pas le repos du sabbat :
« Je guérissais le jour du sabbat, je mangeais le jour du sabbat, je travaillais le jour du sabbat. Quelle importance ? le sabbat est fait pour l'homme et non l'homme pour le sabbat. »
Il défendait la religion du coeur contre la religion des textes. Il est accusé de blasphème et d'impiété.
Son but à présent et de protéger ses disciples et pour éviter un châtiment collectif, il désigne Yehoûdâh son disciple préféré pour le dénoncer et dévoiler sa cache.
L'auteur a nommé cette première partie : « Confession d'un condamné à mort le soir de son arrestation. »
E E S accomplit ici un tour de force en proposant une version inédite, plus intimiste de la destinée de Jésus en lui donnant la parole. Ce texte tout simple est tout empreint de spiritualité et nous rend Jésus plus proche et plus humain.
En seconde partie, intitulé « L'Évangile selon Pilate », on peut lire la version des faits décrite par Pilate dans un courrier adressé à Titus son frère, un Pilate qui estime qu'il n'a pas pu rendre sa justice comme il l'aurait voulu ; il a exécuté celle des saducéens et des pharisiens, sous la pression, en les débarrassant de ce juif impie malgré les supplications de Claudia son épouse. Et il s'explique longuement quant à la décision qu'il a prise.
L'auteur nous présente un Pilate vêtu d'humanisme et d'incertitude. Il avoue après son unique rencontre avec Yéchoua :
« On ne voit jamais les autres tels qu'ils sont. On n'en a que des visions partielles, tronquée, à travers les intérêts du moment. Nous étions deux acteurs cette nuit-là. Yéchoua jouait la victime d'une erreur judiciaire. Et moi, Pilate, je jouais le préfet romain, juste et impartial. »
Le passage concernant la crucifixion est particulièrement intéressant car EES fait dire à Pilate que Jésus n'est pas mort sur la croix. Pour lui la résurrection est une mascarade savamment orchestrée par Jésus lui-même est Joseph d'Arimathie, un homme paradoxalement très influent au sein du sanhédrin. Cette idée rejoint celle de nombre d'historiens et écrivains dont
Gérald Messadié (
L'Homme qui devint Dieu).
Un crucifié ne décède pas de ses plaies, si douloureuses soient-elles. Une crucifixion n'est pas une exécution mais un supplice. le condamné meurt lentement. En moyenne, le crucifié met trois jours à mourir.
Et Jésus a été décloué au bout de cinq heures…et sans bris des tibias. le coup de lance du légionnaire n'ayant qu'effleuré le poumon droit…
Et Jésus repartit vers la
Galilée, suivi par une cohorte de disciples et de convaincus de sa messianité. Il annonce la
Bonne Nouvelle, n'impose rien ni ne raisonne ni ne convainc. Il sollicite une disponibilité intérieure de chacun.
Et Pilate lui-même part à pied vers Nazareth rejoindre Claudia qui depuis l'instant où elle fut au pied de la croix avec Marie de Nazareth,
Marie Madeleine et Salomé, suit les pas de Yéchoua.
Dans ce récit d'une grande beauté, EES nous emmène de façon vivante, imagée et plaisante dans l'histoire d'un homme qui pensait pouvoir changer le monde.
Pilate ne crut pas semble-t-il à l'avenir de cette secte qui se profilait et qui devait aboutir au christianisme.
EES nous livre sa réflexion sur la foi et sur la vérité ; quand on a la foi, on croit et c'est un choix du coeur avant tout. Et Jésus laissa à chacun ce choix.
Un très beau livre, brillant même d'un point de vue littéraire, à lire et relire pour un enrichissement spirituel indéniable.
En annexe, EES nous explique assez longuement le but qu'il a poursuivi en écrivant ce livre, le choix des noms araméens et non latins et ses déboires avec les voleurs et l'éditeur. Il nous confie aussi la nature de sa foi en toute simplicité.
On sent au terme de cette lecture que c'est un livre qui a compté dans la vie de
Eric Emmanuel Schmitt.
La seule question qui me reste en suspend c'est celle de la véracité du vol des ordinateurs, des sauvegardes et l'histoire de la disquette cachée dans le secrétaire, oubliée, retrouvée puis détruite !