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Pascale Molinier (Autre)Irma Velez (Traducteur)
EAN : 9782228927970
160 pages
Payot et Rivages (17/03/2021)
3.67/5   3 notes
Résumé :

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Critiques, Analyses et Avis (2) Ajouter une critique
Je découvre cette anthropologue argentine et féministe décoloniale avec ce court essai.

Ciudad Juarez, ville mexicaine à la frontière des USA, est un lieu de criminalité et de trafics (drogues, humain•e•s, armes...), avec une inaction constatée des politiques pour y remédier. Ont lieu des féminicides systémiques, concernant majoritairement des métisses indiennes et prolétaires : en tout 1441 victimes et + de 600 disparues entre 1993 et 2013 (viols, torture, abandon de corps mutilés...)

Il y a plusieurs types de crimes sexistes : pour l'autrice, le féminicide n'est pas un crime de l'intime (domestique), c'est un spectacle public de l'impunité patriarcale. C'est flagrant pour le cas des femmes assassinées de Ciudad Juarez.

Leurs meurtres sont plus proches du fémigénocide. Les femmes tuées sont exécutées sous un "mandat de masculinité" (concept phare permettant à l'autrice de désigner une masculinité collective et performative dans un ordre patriarcal et une généalogie coloniale). Ces féminicides sont la destruction répétée et organisée des corps de femmes avec une cruauté physique voire sexuelle (pour représenter leur mort morale) : c'est une façon de faire la guerre. Ce sont des messages que les hommes s'envoient (des ennemis, ou en guise d'intégration dans des groupes mafieux...) : ils s'inscrivent dans un langage, une communication. Ils sont aussi la manifestation d'un pouvoir souverain sur son territoire.
Ils jouissent d'une certaine impunité, avec une participation de l'État à un niveau local.
Le but de cet essai est de faire ressortir la dimension collective et organisée de ces féminicides.
L'autrice tient à la distinction crime domestique / féminicide, sinon les médias et autorités regroupent tout sous l'appellation "féminicide" et tendent à tout renvoyer à la sphère intime.

Autre concept, la "pédagogie de la cruauté" dénonce la banalisation de la cruauté dans les médias, la carence d'empathie remarquable dans la phase contemporaine du capitalisme.

Un excellent ouvrage d'anthropologie historique analysant les causes structurelles et les effets de la violence à l'encontre des femmes, en partant du cas de Ciudad Juarez.
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L'ouvrage Rita Laura Segato, se penche sur la terrifiante réalité des féminicides à Ciudad Juarez, une ville frontalière entre le Mexique et les États-Unis. Sa plume incisive explore la violence systémique perpétrée contre les femmes. Ce qui m'a le plus marquée, c'est la nuance (pourtant flagrante quand on y pense) qu'elle apporte à la notion de féminicide : elle souligne habilement la distinction entre la violence domestique, ancrée dans la sphère intime, et le féminicide, véritable mise en scène publique de l'atrocité. le "mandat de masculinité", concept introduit par l'auteure, m'a aussi profondément interpellée : foxinthesnow dans les commentaires ici l'explique très bien, je n'ai rien à y ajouter. "L'Écriture sur le corps des femmes assassinées" est une lecture assez éclairante, et d'une intégrité incontestable, grâce aussi très certainement à la traduction d'Irma Velez qui rend/restitue la lecture engageante et urgente.
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Citations et extraits (12) Voir plus Ajouter une citation
(…) entre 1993 et 1995, j’ai dirigé une recherche portant sur la mentalité des condamnés pour viols emprisonnés au pénitencier de Brasilia. Mon « écoute » des paroles de ces détenus, tous condamnés pour agressions sexuelles réalisées dans l’anonymat des rues sur des victimes inconnues, défend la thèse féministe fondamentale selon laquelle les crimes sexuels ne sont pas l’oeuvre d’individus déviants, de malades mentaux ou d’anomalies sociales, mais bien l’expression d’une structure symbolique profonde qui organise nos actes et nos fantasmes et leur confère intelligibilité. Dit autrement, l’agresseur et la collectivité partagent un imaginaire du genre, parlent une même langue et donc, peuvent s’entendre. Plus que jamais, il ressort de ces entretiens ce que Menacher Amir avait déjà découvert dans les données empiriques et dans son analyse quantitative, à savoir que, à l’encontre de nos attentes, la plupart du temps, les violeurs n’agissent pas seuls. Ce ne sont pas des animaux asociaux qui guettent leurs victimes tels des chasseurs solitaires. Ils commettent plutôt ces crimes en réunion. IL n’y a pas assez de mots pour souligner l’importance de cette découverte et ses conséquences pour comprendre les viols en tant que véritables actes qui se produisent in societate, à savoir : dans un espace circonscrit de communication qui peut être pénétré et compris. Le viol (…) a pour but d’anéantir la volonté de la victime, dont la soumission est justement signifiée par la perte de contrôle sur le comportement de son corps et l’annulation de sa capacité d’agir sous la volonté de l’agresseur. La victime est ainsi expropriée du contrôle de son espace-corps. (…) En ce sens, cet acte est également lié à la consommation de l’autre à un cannibalisme au travers duquel l’autre succombe en tant que volonté autonome. Ainsi, sa possibilité d’exister ne persiste que si elle est appropriée par celui qui l’a dévorée et incluse dans le corps de ce dernier. Ce qu’il lui reste d’existence ne persiste que dans le cadre du projet des dominants. Pourquoi le viol recouvre-t-il une telle signification ? Parce que étant donné la fonction de la sexualité dans le monde que nous connaissons, il conjugue en un seul acte la domination physique et morale de l’autre. Mais il n’existe aucun pouvoir souverain qui ne soit que physique. Sans la subordination psychologique et morale de l’autre, la seule chose qui existe c’est le pouvoir de mort, et ce pouvoir de mort, en lui-même, n’est pas souverain. (p. 57-59)
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Le patriarcat, comme tout système de pouvoir arbitraire, n’est jamais établi une fois pour toutes, il doit être réitéré à travers des pratiques qui ne mobilisent pas toute la violence, même si celle-ci forme un horizon de menaces toujours présentes. Pour reprendre l’opposition introduite par Nicole-Claude Mathieu entre céder et consentir, certaines femmes cèdent au patriarcat parce qu’elles ont peur de la violence des représailles, mais d’autres y consentent parce qu’elles en retirent des bénéfices secondaires en terme de prestige social et/ou d’affection. (…) En d’autres termes, le patriarcat ne peut pas persister sans des formes actives de collaboration de la part des femmes qui non seulement acceptent les normes de genre, mais participent de la répression des autres femmes. (p. 146, conversation avec Irma Velez)
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Bien entendu, car nommer met en péril l’ordre patriarcal. En parlant de tout cela, nous mettons le patriarcat échec et mat, nous mettons en mot quelque chose qui attaque et qui peut démanteler l’ordre patriarcal. Cet ordre n’est pas seulement celui de papa et maman. Ce n’est pas seulement un ordre des hommes contre les femmes. Dans mes textes, il n’existe pas comme tel et je ne le pense pas ainsi. Ce n’est pas un ordre du conflit entre les femmes et les hommes ou d’hommes contre les femmes. Non, l’ordre patriarcal est la première leçon d’inégalité, d’appropriation, d’expropriation, de valeur, de prestige, de pouvoir. C’est le premier ordre oppressif dans la longue histoire de l’humanité et aussi dans la vie des personnes. C’est le premier apprentissage de l’inégalité sur la scène sociale, et tant que scène de l’inégalité. On s’en rend compte quand on apprend le patriarcat. C’est pour cela que cet ordre oppressif est défendu et que les défenseurs du patriarcat sont descendus très vite dans la rue « contre l’idéologie du genre » (…) les propriétaires du monde se rendent compte qu’en retirant cette fondation oppressive des pouvoirs du patriarcat, l’édifice tombe. (p. 120-121, conversation avec Irma Velez)
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le débat sur la question de savoir quel droit prévaut, et sur la conflictualité des droits, est un débat toujours présent dans le domaine des droits humains. (…) dans ma vision des droits et des personnes (…) celui de l’éthique de l’insatisfaction et de la recherche d’une société plus heureuse, plus bienveillante pour plus de personnes, dans cette doctrine-ci, le droit a une mission égalisatrice ou de production de « l’égalité » : ce qui serait en plein accord avec l’une des trois devises de la Révolution française. La loi a donc cette perspective égalitariste, et il est ici essentiel de voir que les relations entre les sexes sont des relations d’inégalité. Par conséquent, les droits des femmes doivent être promus selon un critère de discrimination positive qui contredit la discrimination négative historique habituelle à l’égard des femmes, des Noirs, des Indiens et des populations LGBT+. Il y a toujours cette discrimination qui les pénalise historiquement. C’est pourquoi il est nécessaire d’utiliser le principe consacré par les Nations unies de la discrimination positive. (p. 115-116, conversation avec Irma Velez)
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La culture populaire signifie, dans un milieu totalitaire, une culture appropriée : le peuple est constitué par les habitants du territoire contrôlé ; et les autorités sont les maîtres du discours, de la culture traditionnelle, de la richesse produite par le peuple, et du territoire sous emprise. Comme dans le totalitarisme nationaliste, l’une des principales stratégies du totalitarisme régionaliste est de prémunir la collectivité contre tout discours qui puisse être accusé de ne pas être autochtone, de ne pas provenir de, ou de n‘être pas scellé par l’engagement de la loyauté intérieure. « Étranger » et « inconnu dans la région » deviennent des catégories du réquisitoire pour confisquer la possibilité de parler « de l’extérieur ». Ainsi la rhétorique est celle d’un patrimoine culturel qui doit être défendu par-dessus tout et celle d’une loyauté territoriale qui prédomine et exclue d’autres loyautés – telles que, par exemple, celles de l’application des lois, celles de la lutte pour l’expansion des droits et la demande d’activisme et d’arbitrage international pour la protection des droits humains. (p. 83)
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