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Critiques filtrées sur 5 étoiles  
"vous avez lu l'histoire de Jesse James,
comment il vécut, comment il est mort
ça vous a plu hein, vous en demandez encore,
eh bien, écoutez l'histoire de Linda et Harry.

Alors voilà, Harry a de nombreuses conquêtes
elles sont belles et leurs prénoms sont : Mary ; Louise ; Tyna ; Irma ; Cherry...
Femmes infidèles, il les choisit mariées
pour Harry, pas question de s'attacher.

Et puis il a rencontré Linda,
connu l'amour, le voilà dans d'beaux draps
car Harry a un mal à gérer,
le démon, dont il est habité.

Forniquer, c'est sa façon de tenir
ses pulsions, l'empêchent de s'abstenir,
ça l'rend malade, mais que peut-il y faire
si sa vie se transforme en enfer.

Par moment, il contient son poison,
avec Linda, se love dans leur maison,
mais dans les trois jours, voilà le Tac Tac Tac !
le démon et sa queue qui repartent à l'attaque.

Alors là, au Diable les femmes mariées,
dans les loques imbibées, il ira se soulager,
bien-sûr il regrettera juste après,
mais le Démon ne l'laissera pas en paix."

~~~
Harry est un jeune cadre New-Yorkais, brillant et promis à un bel avenir professionnel. C'est un homme amoureux de sa femme Linda, qui lui a donné un fils ; il a des parents aimants qu'il rend fier, une grand-mère qu'il adore et des beaux-parents aux p'tits soins.
Mais.....
Harry est en proie à un démon, un démon qui lui bouffe les tripes, dans sa gorge, une boule qui le pousse à vomir s'il essaye de le contenir. Harry est prisonnier, accro à l'adrénaline, malheureusement, pas la saine adrénaline du sportif de l'extrême, non, une adrénaline malsaine. du genre ? :

(p11) _"Harry n'enculait pas n'importe qui. Uniquement des femmes... des femmes mariées.
Avec elles, on avait moins d'emmerdements. Quand elles étaient avec Harry, elles savaient à quoi s'en tenir. Pas question d'aller dîner ou prendre un verre. Pas question de baratin. Si c'est ce qu'elles attendaient, elles se foutaient dedans ; et si elles commençaient à lui poser des questions sur sa vie, ou faire des allusions à une liaison possible, il se barrait vite fait...
... il trouvait que coucher avec une femme mariée était beaucoup plus jouissif.
Pas parce qu'il baisait la femme d'un autre, ça Harry s'en foutait, mais parce qu'il devait prendre certaines précautions pour ne pas être découvert. Il ignorait toujours ce qui pouvait se produire, et son appréhension augmentait son excitation ".

Nonobstant, quelques précisions s'imposent :
non ! Harry n'est pas l'obsédé ou le pervers que vous êtes en droit de vous imaginer. Il est malade, esclave de son obsession. Mais encore une fois, le cul pour le cul ne l'intéresse pas. Son vrai démon est bel et bien l'adrénaline que lui procure le fait de pratiquer l'adultère, le risque de se faire pincer par le cocufier, ou de faire l'amour à la va-vite dans une ruelle avec encore une fois, ce bon vieux risque qui le fait se sentir si vivant et lui pourrit la vie en même temps.
Roman de la dualité.
Les aventures de midi à 13, les 5 à 6, lui deviennent indispensables et mettent sa carrière en danger, puis viendront les découches sous divers prétextes, et cette culpabilité envers Linda qui le rend de plus en plus dépressif.
Le démon va aller crescendo, les femmes infidèles reléguées au second plan au profit des pochardes dégueulasses, d'épaves envinassées dans des piaules puantes de pisse.
Harry se perd dans le hors-norme, le crade, le viol (viol dans la mesure où certaines sont trop défoncées pour se souvenir de quoi que ce soit...il leur glissera un billet).
Le démon lui réclame toujours plus...la boule dans sa gorge grossit toujours plus...son couple s'effrite...sa culpabilité l'étouffe... plus, plus, plus...
"il va te falloir trouver d'autres moyens Harry pour alimenter ton putain de démon !"
"Push in the limits !!!"
Harry est un camé au fond de l'abîme.
Un camé en perdition qui jouit du danger.
Le démon, c'est le roman d'un homme bien envahi par un mal.
C'est un roman de la douleur.

~~~
Quel plaisir ça a été de retrouver ce bon vieux Selby.
Il vient une fois de plus de nous remettre une claque, à moi et ma moitié (qui est encore plus fan de l'auteur que moi).
Et quelle claque...SPLAFF !!!... Merci Hubert ! On a aimé ça...

On renoue tout de suite avec les tics d'écriture propres à Selby :
_les répétitions de mots et les jeux de majuscules/minuscules : (ex.p312) _"C'EST fait, une fois de plus, C'EST fait, une fois de plus... j'rentre chez moi, j'rentre chez moi... C'EST fait une fois de plus, UNE fois de plus, UNE fois de plus, ET encore une fois, ET encore une fois, ET encore une fois, ET encore..."
_ les phrases en apnée s'étalant sur une ou deux pages, puis celles de un, deux, ou trois mots .
_ l'écriture au caractère bi-polaire (comme je l'avais déjà souligné dans un autre billet sur Selby)... phase d'accalmie avant la tempête : le héros ou le non-héros, vrille, puis on se calme, on se parle à soi-même, on se résonne et BÂM !!! ça hurle ! ça chiale ! tout craque !... et on se resaisit, on redevient amour, on se caline, on chuchote, mais dans la foulée...PSHIIIT ! noirceur ; déprime ; douleur ; hurlement ; gerbe !
_ on retrouve aussi les allusions Christiques, chères à l'auteur, puis au passage, quelques insultes à Dieu... chères à l'auteur.
_ les potes, ici Steve et Vinnie, le bar qui fait office de QG, répondent présents eux aussi à l'appel.
_ les prénoms : Harry ; Vinnie qui sont souvent de la partie dans bon nombre de romans de Selby .
_ puis New-York évidemment, ici, Manhattan, après avoir eu le droit au Bronx avec le Saule, Brooklyn avec Last exit... Coney Island, Central Park, le Lower east side, Time Square, Grand Central... Selby écrit New-York, son Old New-York, dangereux et crasseux (celui-ci, le démon fait un peu figure d'exception)
_ et puis cette écriture qui sonne si vrai, qui sait sonder la face sombre de tous ces hommes et femmes, avec ce respect perceptible pour ces pauvres zouaves livrés à eux-mêmes, se débattant tant bien que mal dans cette foutue mélasse qu'est leur vie.
Tellement violent mais tellement réel !

~~~
C'est avec un p'tit pincement au coeur que j'ai refermé ce livre.
Car il ne me (nous) reste plus qu'un seul roman à lire de Selby : "Retour à Brooklyn" (Requiem for a Dream)
(Je ne compte pas "Psaumes" et "Song to myself" qui eux, ne sont pas des romans, mais que je ne manquerais pas de lire ;))
Et là... DILEMME !
J'ai adoré le film "Requiem for a Dream" tiré du roman. Je le classe d'ailleurs dans mon TOP 15 cinématographique. Mais voilà... quand j'ai aimé un film, je veux dire "vraiment aimé" , je n'arrive pas à aller vers le bouquin après. Je pense à : "37°2 le matin" ; "Le Diable tout le temps" ; "No country for old men" ; "Mystic River"... et quelques autres...
C'est idiot, mais c'est comme ça ! Je reste sur ma bonne impression ciné
Bon, je ferai peut-être une exception pour le Requiem de Selby, si le manque se fait sentir. (j'ai déjà fait une entorse à ma règle avec "Into the Wild", mais c'était un cadeau de ma fille, donc... Joker ! ; puis avec "Ma mère" de Bataille, mais le film ne m'avait pas frappé plus que ça, donc, deuxième chance avec le livre qui lui, était bien meilleur).
A contrario, quand un roman m'a plu, je ne boude pas la version cinoche, si l'occasion se présente.
Bref...
~~~
Allez, le démon rejoint mon île déserte, pas spécialement pour lui-même, mais aussi comme digne représentant de la biblio d'Hubert Selby Jr, pour le remercier de toutes ces chouettes lectures qu'il nous a offert ! :)

A+ Hubert ! je me chope Psaumes et on se refait un petit bout de route ensemble... cool !















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(contient des éléments clés du livre)
L'histoire d'un homme chez qui des sentiments relativement banals font germer un mal grandissant, un mal physique, presque matériel, niché au creux du ventre. le simple frisson d'adrénaline dans le jeu qu'il entretient avec un certain nombre de femmes mariées, la possibilité que n'importe quoi puisse arriver, mêlé à ce sentiment si humain qui se caractérise par le bien-être ressenti quand on vous regarde accompagné de gens importants, le sentiment de puissance quand vous devenez le centre de l'intention, que vous savez que tous ces gens, soit vous envient, soit ne pensent que du bien de vous. Voilà des sentiments qui vous remplissent pour un instant, mais qui laissent un grand vide quand il faut retourner à la vie. le vide a pris corps dans Harry.
La vie de Harry, c'est son travail, pour lequel il est dévoué et plein d'ambition lorsqu'il songe à la place importante qui l'attend au sein de l' entreprise. Monter les échelons, voilà pour le remplir un peu, et puis l'amour de ses parents, et quelques amis (de moindre importance).
Pourtant le vide a pris racine en lui et s'est formé une peau dans son ventre. Harry c'est deux peaux : l'enveloppe de sa chair, et celle de son vide. Et ce vide grandit petit à petit, comme les plantes qu'Harry achète compulsivement et qui pourrissent, comme l'intérieur de son corps pourrit de mois en mois, d'année en année, sous l'oeil désespéré de Linda, sa femme (sur laquelle je reviendrai).
C'est petit à petit que le démon prend forme. Une phrase dite à Harry par un de ses amis, au bar « un homme qui bande ne pense plus », car Harry les a laissé en plein match, rejoindre une femme fraîchement rencontrée. « un homme qui bande ne pense », en voilà une petite possession déjà, une anodine perte de soi, de la conscience du monde alentour, le corps qui fonce, bite en avant comme indiquant le nord, et la tête qui ne voit plus, pas même la partie de baseball entamée avec des amis.

Harry se doit de tenir une certaine attitude et de faire preuve d'un maximum de concentration dans son travail, il a des responsabilités. Jusqu'à la moitié du livre, seul son travail importe ; quand l'être vide qui s'est installé en lui réclame qu'on le remplisse, c'est la qualité de son travail qui en pâtit. Alors il le remplit, en la compagnie de femmes toutes différentes qu'il rencontre chaque jour, à l'heure du déjeuner. Et le bien-être qui s'ensuit. Ce bien-être, si intense qu'il soit ressenti par Harry, n'est-il pas en fait équivalent au sentiment général qui englobait Harry au quotidien avant que le démon ne le ronge ? Cette joie intense ne semble être qu'un soulagement passager. Un soulagement physique, car quand le démon réclame, ce sont les mêmes troubles qui reviennent, qui sont décrits encore et encore, l'estomac noué qui remonte dans la gorge sèche etc. Et un soulagement moral, il va pouvoir se concentrer sur son travail de manière assidue, et parfois, être envahi d'angoisses non démoniaques, celles qui sont dues à des erreurs commises, la peur de perdre son job, d'être engueulé par son patron ou autre. Il y a un véritable dédoublement de plus en plus visible entre les deux peaux, les deux êtres, les réactions sont dissociées et peuvent être attribuées assez facilement à l'un ou à l'autre.
Et puis arrive le moment où Harry rencontre Linda, dans un moment du livre très sensible, où les bruits de jeux dans la piscine se mêlent à la chaleur du soleil sur la peau et les frémissements de la proximité avec le corps de Linda en bikini. La douceur de la scène ne se brise qu'au trajet retour dans la voiture, alors qu'Harry raccompagne Linda chez elle. Harry se laisse aller à un accès de jalousie, le faisant prononcer des mots dont on ne le croirait pas capable de prononcer devant une femme ; et ce doute qui persiste quant à savoir laquelle des deux peaux est en train d'agiter Harry à ce moment-là.
Après un certain nombres d'épisodes dans lesquelles le démon se fait de plus en plus présent (dans son absence aussi, comme le silence après le bruit), Harry et Linda se marient. C'est alors que tout va aller de mal en pis, car les pages sur le bonheur, sur le bien-être dans leur couple, sur les rires, sur le sexe seront nombreuses et douces, nous faisant redouter de manière beaucoup plus intense le moment où le démon recommencera à agiter Harry. Et ce moment arrive bien sûr, Harry doit tromper sa femme, plusieurs fois, pour se libérer de ces horribles sensations de torsion de ses organes ventraux, tordus par un être invisible mais de plus en plus capricieux et exigeant dans la cruauté. Parfois même, et de plus en plus fréquemment, le démon agit seul, en éteignant la conscience d'Harry, et ce n'est qu'après l'acte commis qu'il réalise. Comment en vouloir à Harry de tromper et de mentir à une femme si douce, joyeuse, sincère, bienveillante, réconfortante, chaleureuse et tout ce qu'on voudra d'autres ? Lui que le démon pousse à se taire, à se replier sur lui-même. Lui qui est rongé par un sentiment de culpabilité lorsqu'il retrouve ses esprits, et qu'il redevient maître de sa peau. Lorsqu'il cède à ce démon, c'est le bien-être qui l'emplit, il peut rentrer chez lui et présenter à sa femme (et à ses (futurs) enfants) une tête à peu près apaisée, quoique bien fatiguée et au teint inquiétant, mais ce sont des facteurs qu'il arrive à faire passer sur le compte de son travail. On peut être tenté de dire qu'il fait cela aussi pour elle paradoxalement, pour garder un certain équilibre dans le foyer, et parce qu'il aime sa femme profondément! Il y a les structures lourdes des responsabilités du travail et de la famille et les envies dégénérées et arbitraires dont Harry est victime. Et le foyer se dégradera. Il se dégradera moins vite (grâce à Linda) que ne se dégraderont le corps et l'esprit de Harry. Car le démon est exigeant et ne se nourrira désormais plus que de pourriture, de crasse, de putréfaction: de vols de plus en plus importants ; de prostitués alcooliques et malades exerçant leur métier salement dans des taudis et des draps puants; et enfin de meurtres, de plus en plus impressionnants et spectaculaires.
La fin tragique de Harry est vécue comme une délivrance, son corps descendra lentement dans les abysses, comme un squelette de baleine. Et les bulles qui se sont formées à la surface de l'eau par son dernier souffle éclateront sans un bruit. Alors se dispersera le démon, responsable des malheurs d'une sainte désormais veuve et de deux enfants orphelins.


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Le démon / Hubert Selby Jr
Jeune cadre new-yorkais à qui tout réussit, Harry White s'adonne au plaisir du rêve américain. Sentimentalement, Harry refuse toute attache, toute entrave, tout embêtement. L'amour physique, oui, mais avec un sourire pour vite se sauver. Il a un goût particulier pour les femmes mariées qui dit-il sont mal aimées en général. Il fait alors son possible pour remédier à cette injustice ! Il se donne le sentiment de sauver ainsi des vies. D'un naturel aimable, fin stratège et joueur un peu cynique dans l'âme, Harry s'adapte à toutes les situations tant professionnelles que sentimentales avec une facilité qui étonne son entourage. Par commodité, il vit chez ses parents. Fils unique, il est l'être aimé.
Ce qu'il aime dans cette chasse permanente, c'est l'incertitude dans l'attente ; et le risque de tomber sur le mari en fait l'excite.
Sa première proie, c'est Mary, une jeune femme que son mari délaisse un peu trop, et qui devient une sorte de jouet entre les mains de Harry…Mais seulement, il ne sait pas éviter des retards dans son travail et sa relation avec son chef prend une tournure inattendue.
Et puis il y a Linda et son rire unique, joyeux et naturel et la vie s'écoule détendue et souriante pour le couple pour qui tout réussit. Mais en Harry sommeille le démon… et la vie avec Linda qui s'annonçait sous les meilleurs auspices va vite tourner au cauchemar pour cette jeune femme tendre et compréhesive qu'il choisit finalement d'épouser. Sa fièvre sexuelle compulsive, incontrôlable et dévastatrice, momentanément apaisée, le reprend pour l'entrainer de façon obsessionnelle vers l'enfer. Sur un rythme haletant, un style tranchant et sans périphrase, et dans un climat halluciné, l'auteur nous emmène aux confins du pire délire psychotique.
Un livre troublant qui se dévore et vous prend aux tripes.
À noter la qualité exceptionnelle de la traduction de Marc Gibot.

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Le démon ou l'illustration littéraire parfaite de la thèse de Schopenhauer voulant que la satisfaction de nos désirs est insuffisante au bonheur.

En apparence, le jeune New-Yorkais Harry White a tout pour réussir, une famille aimante, une intelligence hors du commun et un travail valorisant et payant. Mais, il carbure aux sensations fortes. Il assouvit d'abord ses pulsions en couchant avec des femmes mariées. Puis, le schéma de l'addiction se met en place : inconfort/souffrance, assouvissement/exaltation, culpabilité/désir de s'en sortir, rechute. Un cran plus loin à chaque fois, une spirale infernale.

Dès les premières pages, j'ai été scotchée. L'écriture de Selby est ciselée et impeccable. L'auteur entremêle adroitement une narration classique à la troisième personne et un courant de conscience, rendant le style très vif et fluide, au plus près du personnage.
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Les trois premières phrases de ce roman m'ont embarqué, je n'ai plus lâché ce roman où l'air se raréfie au fur et à mesure de l'histoire. Harry a le démon dans ses tripes et ce qui paraît anodin au début apparaît dans toute sa grandeur et son horreur. Selby dépeint les maux humains comme personne avec des mots sales, coupants comme des rasoirs, des mots pleins de maladies. Attention lecteur, tu pourrais être contaminé.
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Dérangeant, Hubert Selby Jr nous plonge dans une spirale noire et oppressante qui s'accélère au fil des chapitres, à l'instar de son autre roman Retour à Brooklyn ayant inspiré le film Requiem for a Dream. L'écriture est sombre, tendue, haletante. L'issue se dessine peu à peu, le lecteur plonge avec dégoût, angoisse et fascination dans la psychologie du personnage principal, Harry White, sa dualité troublante, ses pulsions et ses démons grandissants au fil des pages. Ce roman se lit très vite et ne vous laisse pas indemne.
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Le Démon est un des livres cultes de mes vingt ans. Il trônait dans mon Panthéon personnel de l'époque à côté des bouquins de Brett Easton Ellis, du Lolita de Nabokov ou de la Conjuration des imbéciles. Je ne compte plus le nombre de fois où je l'ai conseillé et offert à cette période de ma vie.
Plus de vingt ans se sont écoulés et c'est avec une petite angoisse que j'ai rouvert ce livre, craignant de ne plus y trouver la même sève. le temps a passé, mes goûts ont évolué.
C'est avec un grand ouf de soulagement que je peux dire encore et toujours que le Démon de Selby est un putain de grand livre ! Pardon pour ce gros mot, mais Selby est un enragé, vulgaire et violent, un écrivain des abîmes et de la noirceur et rien en lui sied mieux qu'un juron.
Son premier roman Last Exit to Brooklyn, publié en 1964, lui valut un procès pour obscénité en Angleterre, fut interdit de traduction en Italie et à la vente aux mineurs dans plusieurs États d'Amérique. Cela donne une idée des écrits du bonhomme.
Selby quitta l'école à 15 ans, fut atteint de tuberculose à 18, resta quatre ans à l'hôpital, fut drogué et alcoolique, fit de la prison… Bref, il n'eut pas les jours les plus doux du monde et cela se ressent dans ses textes. Il écrivit sept romans et un recueil de nouvelles au cours de sa vie qui s'acheva en 2004.
Le Démon est le troisième roman de l'auteur, paru en 1976. Il conte l'histoire d'Harry White, un jeune cadre de Manhattan amené à devenir un grand ponte des affaires. Harry est aussi un bon fils, qui fait la fierté de ses parents et de sa grand-mère. Mais Harry possède une face cachée bien plus noire. Il est un prédateur de femmes, addict au sexe et à la « chasse » qui le précède. Ses pulsions qui le traversent et le submergent le mettent souvent dans des situations compliquées et son quotidien, entre ses obligations de bon fils et de futur crack du business, s'en trouve souvent perturbé. Au fur et à mesure qu'Harry s'installe dans sa vie, se mariant, devenant père, grimpant les échelons dans son travail, sa face noire grossit et dévore petit à petit tout son être.
Le plus dingue dans ce livre complètement dingue, c'est la tension qui le traverse et qui ne fait que monter crescendo jusqu'à l'implacable final. Selby vous prend à la gorge dès son incipit génial (Ses amis l'appelaient Harry. Mais Harry n'enculait pas n'importe qui. Uniquement des femmes… des femmes mariées) et ne vous lâche pas. Vous ressortez de ce bouquin lessivé et sacrément fouetté.
C'est que l'histoire de ce jeune yuppie, au demeurant assez désagréable, prend des airs de chemin de croix terrible. Très vite Harry souffre de ses pulsions et tente par tout moyen de les contrecarrer. Elles lui font honte. Il est conscient qu'elles mettent en péril sa vie et le détruisent à petit feu, mais prisonnier d'elles, il n'arrive pas à s'en défaire. Pire, elles deviennent chaque jour de plus en plus fortes et irrésistibles. C'est donc à ce déchirement que l'on assiste impuissant, fasciné et effrayé.
Cette montée en puissance du mal et cette tension tiennent beaucoup au style de Selby. Extrêmement nerveux et tendu, il se moque de la syntaxe et de la ponctuation qui ne sont présentes que pour retranscrire le fil de pensée d'Harry et créer une tension permanente, un peu à l'image des écrits de Faulkner, mais un Faulkner sous coke ou speed.
Enfin, bien sûr il y a le mystère de ce mal qui le ronge, jamais nommé, jamais explicité. Vous pouvez lui trouver mille explications : psychanalytiques, sociologiques, fantastiques… Des thèses entières pourraient s'écrire autour de lui. Ce mystère rend la destinée d'Harry d'autant plus fascinante, poignante et inquiétante.
Je relirai le Démon dans vingt ans et je suis persuadé que je prendrai encore une sacrée claque ! Décidément un classique !

Tom la patate

Lien : http://coincescheznous.unblo..
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Harry White , le héros de " The Demon" n'a pas besoin de descendre aux enfers, car les enfers se sont nichées dans ses entrailles, dans sa tête, dans son coeur. le démon dont il est question est celui de l'addiction, cette frustration intime, ce vide angoissant que rien n'arrive à combler, et qui réclame des expériences de plus en plus limites à celui qui le subit. Voilà un livre qui semble commencer comme un portrait de réussite sociale pour aller rapidement explorer des zones beaucoup plus troubles, et même cauchemardesques. Impressionnant.

Le héros de Shelby Jr ne touche pas aux drogues. Son addiction est bien plus profonde, bien plus intime, puisqu'il s'agit de l'addiction sexuelle. Beau gosse ambitieux et intelligent, Harry aime séduire, aime baiser, et il a les atouts en main pour assouvir son obsession. Les femmes mariées sont ses cibles, et il n'est pas sans savourer le risque inhérent à l'adultère.

Encore étudiant, cette poursuite quotidienne des femmes n'est qu'un aspect un peu brutal de son caractère, mais une fois entré dans le monde du travail, ce besoin impérieux va peu à peu commencer à imposer des perturbations de plus en plus nombreuses. Shelby s'attache ainsi à suivre à petites touches l'emprise croissante du "démon" sur sa victime. Son héros est d'autant plus intéressant qu'il est un conformiste, influencé par ses pairs, qui va endosser les rôles attendus de mari aimant , de bon père et de businessman respecté. Au sein de ce conformisme, le démon introduit une fêlure qui menace cette image de la "respectabilité".

Contrairement à "Requiem for a dream", le héros n'est pas physiquement détruit par des drogues mais psychologiquement défait par le combat intérieur qu'il mène contre lui-même. Il se retrouve pris en tenaille entre son amour sincère pour sa compagne et son désir tout-puissant pour les autres femmes, entre sa conscience et son vice, dévoré par sa culpabilité...

Tout en dressant un portrait remarquable, le livre ronronne un peu dans sa première partie, je dois dire. Mais toute addiction, si on la laisse sans frein, est pareille à une tumeur, finalement tout ne peut que partir en vrille, et c'est dans ce mouvement que "Le Démon" va réellement briller. le récit gagne graduellement en intensité, en frénésie, alors que la vie de Harry White tourne au grand n'importe quoi. le style de Shelby, étonnant mélange de narration omnipotente et de flux intérieur à la Virginia Woolf, va se déstructurer peu à peu, perdant ponctuation et chapitrage et la lecture devient hypnotique, oppressante. C'est superbement fait. Shelby Jr capture très bien ce vide qui ronge, qui pousse à la répétition et à l'amplification. A noter qu'il présente aussi l'impuissance de Freud à venir en aide à son héros...

Portrait saisissant d'un naufrage d'une impressionnante violence, ce bouquin est un tour de force narratif (même si on peut lui reprocher d'insister trop sur certains clichés) qui prend aux tripes et semble constamment monter en puissance jusqu'à son beau et prévisible dénouement. Superbe et naturellement recommandé, guys et guysettes !
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L'histoire d'Harry White happe immédiatement, créant une attraction trouble pour cet homme banal qui a tout pour réussir, et pourtant s'auto-détruit dans un inexorable processus de lente désintégration. Fils unique de parents aimants appartenant à la classe moyenne, brillant, Harry occupe un poste important et prometteur, qui lui procure aisance matérielle et succès auprès des filles. Pour citer une Panglossade, tout irait donc pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles, si Harry n'hébergeait pas en lui un démon, aussi irrésistible qu'inexplicable, séducteur et manipulateur.


Harry souffre d'une addiction au sexe, et s'il jette d'abord son dévolu sur des femmes mariées, c'est pour le délicieux frisson qu'il ressent à l'idée d'être surpris par leur mari. Harry aime se faire peur, et pour frissonner plus fort, il lui faut prendre davantage de risques. Comme toutes les addictions, celle au sexe oblige celui qui en est atteint à trouver des doses de plus en plus fréquentes et massives pour un effet identique. Les périodes de calme apparent deviennent rares et courtes, laissant Harry en proie aux symptômes du manque : migraines, nausées, vertiges, tremblements.


Harry lutte contre ses pulsions, avec les moyens à sa disposition : il s'investit corps et âme dans sa carrière, décroche un poste prestigieux, épouse Linda et devient le papa de deux beaux enfants, qu'il installe dans une luxueuse maison : “La réussite ! Il avait vraiment réussi. Alors, comment les choses auraient-elles pu aller mal ? C'était impossible, manifestement impossible”. Et, pourtant tout se déglingue, sa descente aux enfers se poursuit au même rythme que son ascension sociale. Linda, femme amoureuse, “assistait en spectatrice silencieuse à la destruction de son mari par un mal invisible. Elle était comme hypnotisée par le changement lent et régulier qui s'opérait en lui”. le rêve américain versus les bas instincts de la nature humaine.


Sur le thème de l'abjection envers soi-même, de l'obsession et de l'addiction sexuelle, Hubert Selby Jr, écrivain écorché vif, écrit un chef-d'oeuvre abrupt, noir, violent qui ne peut laisser indifférent. La palette des émotions ressenties lors de cette lecture est immense, car Harry est à la fois monstrueux et terriblement humain.
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Hubert Selby Jr est un géant de la littérature et "Le démon" son oeuvre qui me fascine le plus avec sa construction géniale et son thème centrale montrant la puissance de certaines puissance souterraines aussi invincibles qu'incompréhensibles à notre entendement. Une de mes influences majeures !
Lien : https://lediscoursdharnois.b..
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