La bannière étoilée est, encore aujourd'hui, un symbole omniprésent, inattaquable et pourtant attaqué de des États-Unis d'Amérique. Son origine légendaire remonte en 1776, à George Washington et à Betsy Ross, la couturière qui le cousit à Philadelphie. La guerre d'indépendance contre les Anglais faisait alors rage dans la jeune colonie britannique. Ce symbole de liberté et d'indépendance s'accorde mal, cependant, avec le traitement réservé aux populations noires du pays. C'est le constat amer et douloureux que fait
Angela Davis, domestique de Betsy Ross, alors que ses deux frères sont assassinés impunément par des Blancs. de là débute le récit, et la quête qui amènera trois jeunes soldats Noirs américains au coeur des monts enneigés des Ardennes.
Pour saluer la mémoire de ses frères, et inscrire dans le drapeau même du nouveau pays l'égalité absolue entre les hommes,
Angela Davis tisse dans le premier drapeau américain une étoile noire, dissimulée sous l'une des treize étoiles blanches. Ce drapeau est bientôt capturé lors de la bataille de Long Island par un soldat hessois, mercenaire au service des Anglais, qui le ramène en son pays, lequel drapeau sera, telle une relique, transmis de génération en génération. L'histoire aurait pu en rester là et le drapeau, perdu dans les limbes de l'histoire, être oublié, ainsi que sa symbolique. Cependant, en pleine Seconde Guerre mondiale, la jeune étudiante Johanna découvre le journal d'
Angela Davis, lequel conserve la trace de cet acte d'espoir réalisée par une domestique noire de Philadelphie. Sous l'impulsion d'une ligue de défense des droits des Noirs américains, mission est donnée aux Monuments Men, ces hommes chargés de retrouver la trace des oeuvres d'art volées par les nazis durant la guerre, de retrouver ce drapeau. Cependant, ce ne sont pas n'importe quels hommes qui sont choisis : ce sont des soldats noirs, habitués, malgré eux, à l'arrière et aux tâches ingrates de la logistique d'un camp de base. En d'autres termes, les soldats noirs américains sont, pour leur armée, des domestiques qu'il convient de garder dans cette position. Et pour cause : dès les premiers temps de la démocratie athénienne, seuls les hommes qui peuvent payer leur équipement sont citoyens. Deux mille ans plus tard, l'histoire est la même : tenir éloigné des guerres les populations marginales n'est pas une attention humaniste : c''est leur refuser toute revendication politique, puisqu'ils n'aident pas la communauté à survivre. de la campagne normande aux Ardennes, Lincoln, Aaron et Tom suivent les progrès de l'armée américaine face aux nazis tout en cherchant le drapeau originel, lequel n'est pas qu'une fierté nationale, mais également un symbole de revendication politique.
La résonance actuelle de cet album avec les événements contemporains est évidente. Les assassinats de Noirs américains par des Blancs, représentants parfois de l'État américain, démontrent la persistance d'un racisme aux États-Unis qui fait écho directement avec le passé esclavagiste de cette nation. L'histoire de la quête du drapeau originel de Betsy Ross est celle de la quête de l'égalité et de la justice. Lincoln et ses acolytes ne luttent pas seulement contre les troupes nazies : ils luttent également contre la ségrégation raciale qui frappe leur pays. L'inhumanité et la bêtise résident autant dans les massacres de prisonniers américains par les nazis que dans l'assassinat du tout jeune frère d'
Angela Davis, ou dans les comportements ouvertement racistes de certains GI's américains.
La maîtrise de la narration d'
Yves Sente est ici remarquable. Les situations historiques s'entrecroisent sans se heurter, depuis la guerre d'indépendance américaine jusqu'à la Seconde guerre mondiale en passant par la ségrégation raciale, particulièrement présente dans le Sud des États-Unis. Les dessins de
Steve Cuzor, eux, sont remarquables par le détail, et la précision apportée dans les situations présentées. On se promène avec plaisir dans le Philadelphie de 1776 et l'on patauge avec les soldats dans la boue des camps. Les scènes de combat sont bien rapportées également, avec une attention particulière sur les corps que les machines et que les balles déchiquettent et transpercent. Toutefois, l'utilisation des couleurs (une dominante par séquence) fige quelque peu le trait, et offre peut-être une dimension trop documentaire à un récit, au lieu de lui donner l'animation du réel. Les clins d'oeil au cinéma et à la culture américaine (les personnages, notamment, ont les traits de célébrité : Denzel Washington ou Samy Davis Jr.) sont les bienvenus. Mais que l'on ne s'y trompe pas :
Cinq branches de coton noir est une bande-dessinée de guerre, dont la liberté et l'égalité ne sont, hélas, pas encore sortis vainqueurs.