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Critiques filtrées sur 5 étoiles  
Les Monades urbaines ou "le meilleur des mondes" selon Robert Silverberg...

Comment rendre heureux 75 milliards d'êtres humains ? Comment concilier utopie et surpopulation ? Robert Silverberg nous propose une réponse dans Les Monades urbaines.
Le titre américain du roman est « The World inside » ; le « monde à l'intérieur », c'est à la fois la société à l'intérieur de la monade urbaine 116, un immense immeuble de trois mille mètres de haut peuplé de presque neuf cents mille habitants, et les individus qui composent cette société.
Silverberg nous fait découvrir tout le ressenti de quelques habitants de cet univers singulier grâce à une écriture d'une rare sensibilité  : Charles qui fait découvrir la monade avec enthousiasme à un visiteur venu de Vénus, Aurea qui redoute d'être obligée de la quitter, Dillon le musicien virtuose, Micaël qui souhaite découvrir le monde extérieur, Sigmund le jeune surdoué qui côtoie les dirigeants de ce monde clos...
Bien qu'enfermés dans cet univers vertical, les habitants y semblent heureux : ils vivent dans une aisance relative, travaillent modérément, jouissent d'une totale liberté sexuelle. Mais cette société se caractérise par une politique nataliste aberrante : plus on a d'enfants, plus on est considéré !
En outre, cette apparente utopie révèle des failles inquiétantes : le pouvoir des maîtres de la monade ne repose sur aucune légitimité, hommes et femmes se doivent d'être sexuellement disponibles à quiconque le souhaite, les individus insatisfaits sont supprimés sans possibilité de se défendre DANS LA PLUS COMPLETE INDIFFERENCE et, plus inquiétant encore, les personnes âgées sont étonnamment absentes de cet univers, à quelques exceptions près (les maîtres de la monade). QUE SONT-ELLES DEVENUES ? Dans un monde qui n'accorde de crédit qu'au fait d'engendrer et d'élever les enfants, l'existence des personnes âgées ne semble avoir aucune justification…
Quant au monde extérieur, les eaux ont monté et les anciennes cités ont disparu, il n'y a plus d'animaux, plus de nature sauvage, rien que d'immenses plantations, des plantations qu'il faut sans cesse étendre pour nourrir la population croissante des monades : jusqu'à quand ? Tôt ou tard, même si l'échéance est repoussée, il y aura trop de bouches à nourrir : les monades ne seront plus correctement approvisionnées, l'utopie se transformera en cauchemar…

Un univers et des personnages qui ne se laissent pas facilement oublier.
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Dans la préface, il est expliqué que les histoires qui composent « les monades urbaines » ont été publiées séparément dans diverses revues, et dans le désordre. A la lecture du roman de Silverberg, j'en suis très surprise car « les monades urbaines » est bel et bien un roman. La construction est singulière, certes, mais les différents chapitres, je me refuse à parler de nouvelles, composent un tout cohérent et qui me parait indivisible. Il y a tant de correspondances narratives et thématiques entre chaque chapitre que ça n'a pas de sens de lire « les monades urbaines » autrement que comme un roman.

Le 1er chapitre est une parfaite entrée en matière. Un observateur de Vénus visite une monade avec pour guide un des habitants. Ce visiteur sert un peu d'alter-ego au lecteur pour sa découverte du monde imaginé par Silverberg. Et d'ailleurs en quoi consiste cet univers ? En 2381, la surpopulation n'est plus un problème. L'Homme a trouvé la solution en se développant verticalement. Les monades sont d'immenses tours-mondes, chacune peuplée de plus de 800 000 personnes. Les monades, très hiérarchisées, sont divisées en étage, les travailleurs manuels occupant les étages inférieurs tandis que les administrateurs vivent dans les hauteurs de la tour. La natalité est vivement encouragée. Dans cet environnement surpeuplé, afin d'éviter toute tension et frustration, la liberté sexuelle est de mise. Aucun habitant de la monade n'a le droit de se refuser à un autre. La seule préconisation est d'éviter de choisir un partenaire d'une classe sociale supérieure. Les habitants de la monade semblent heureux de leur sort et voient en ce mode de vie le meilleur possible. Il y a toutefois quelques rares exceptions, des gens qui, un jour, ne vont plus être adaptés à ce système. Ceux-là, qu'on nomme « anomos », on tente de les rééduquer et en cas d'échec on les élimine.
Le monde imaginé par Silverberg est donc vraiment effrayant, glaçant. Et ce d'autant plus que les gens semblent, dans leur majorité, se satisfaire de ce système. D'ailleurs, la masse des habitants est assez effrayante en elle-même. Ils apparaissent comme quasiment dénués d'émotions et de sentiments, presque déshumanisés.
Après ce chapitre d'introduction, chaque histoire va, petit à petit, montrer que ce sytème utopique où tout le monde prétend être heureux est en fait une négation de ce qui fait l'Homme. Cette nature profonde et réelle refait surface chez les anomos malgré le conditionnement dont les habitants font l'objet depuis longtemps.
La sexualité est en fait la seule liberté dont disposent les habitants des monades. Mais cette liberté n'est qu'un leurre et ressemble plutôt à une injonction. La séduction est totalement absente. Les rapports charnels, s'ils ne sont pas dénués de plaisir, sont assez mécaniques et manquent à la fois de passion et de sentiment. D'ailleurs, il n'est guère étonnant que le couple le plus attachant soit celui de Jason et Micaela Quevedo, Il n'est guère étonnant non plus que le personnage de Micael Statler soit profondément troublé et marqué par Artha,

« Les monades urbaines » est un très bon roman, aux thématiques riches et intelligemment construit. Ceci dit, certaines histoires m'ont moins plu. L'histoire de Dillon, le musicien, m'a ennuyée. le chapitre où les dirigeants de la monade organisent une orgie ne m'a pas emballée non plus. Bien sûr ce chapitre développe un propos qui n'est pas inintéressant. Dans ce récit, est mis en avant l'aspect ultra-hiérarchisé de cette société et le fait que la liberté sexuelle ainsi que l'accès libre aux drogues sont avant tout un moyen de contrôle et de perpétuation du système. Si le propos de ce chapitre est intéressant, le traitement est en revanche assez médiocre et surtout très gratuit. D'ailleurs, le seul véritable grief que j'ai envers le roman, c'est la vulgarité de certains passages. Je ne sais pas si cela est dû à la traduction ou si c'est déjà le cas dans la version originale mais certains termes m'ont semblée mal choisis. Ainsi, lorsqu'il s'agit des relations sexuelles, le mot « défoncer » est celui qui revient le plus souvent. Je trouve que, outre sa vulgarité, ce terme n'est pas le mieux choisi car selon moi il évoque une notion de rapport dominé/dominant , qu'il soit une agression ou un jeu. Or, le sexe dans « les monades urbaines » n'a pas vraiment cette dimension. Comme je l'ai déjà évoqué, dans les monades le sexe est assez mécanique, il est quasiment dénué de désir et est davantage un moyen d'évacuer la pression qu'une source de bonheur. Je pense que le mot « baiser » aurait été plus approprié car il est plus neutre et n'évoque pas forcément autre chose que l'acte en lui-même, tout en restant assez trivial.

Mises à part ces 2 histoires, les autres chapitres sont tous passionnants et constituent une oeuvre riche qui explore toutes les facettes de son postulat de départ. le point commun de chaque récit est qu'il met au jour un dysfonctionnement de ce monde soi-disant idéal, à travers le destin d'un personnage particulier. En s'attachant ainsi à un être dans son individualité, en se détachant de la vision globale macroscopique de la monade, le texte nous rappelle que l'Homme, s'il est un animal social, a besoin d'exprimer une forme de singularité, notamment à travers des sentiments et des affects, qu'ils soient positifs ou négatifs.
Un roman fort et assurément marquant.
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CROISSEZ ET MULTIPLIEZ ET REMPLISSEZ LES MONADES ! (OU CHUTEZ)

Projetons violemment notre univers terrestre quelques deux siècles et demi plus loin. En 2381, pour être parfaitement précis. Il n'est désormais plus question d'urbanisme anarchique de nos villes-champignons. Il ne s'agit plus de problèmes cruciaux de guerres, de luttes économiques, politiques, impérialistes entre état. Il ne s'agit plus guère de savoir comment parvenir au bonheur pour tous et pour chacun. Il ne s'agit même plus de savoir comment réguler l'ensemble de la population mondiale afin de la faire tenir sur une planète décidément trop petite et aux contours assurément définitifs. Non ! Tout cela, c'était des problèmes "pré-urbmonadiaux" tels qu'ils s'en trouvaient, de manière aussi exaspérante qu'irrésolue, dans les siècles précédents, et surtout au long de ce XXème siècle plein de toutes ces angoisses et de son chaos chronique, sans espoir.

Désormais domine, pour le bien de tous et son bonheur universel : La MONADE. Et pas n'importe laquelle : la MONADE URBAINE.

Qu'en est-il exactement de ce qui, chez les grecs pythagoriciens, représente cette unité métaphysique parfaite ou, chez les néoplatoniciens chrétiens est en quelque sorte dieu le père soi-même, son propre roi et son ultime unité ? Plus tardivement, c'est encore le célèbre mathématicien et philosophe Gottfried Wilhelm Leibniz qui développera le plus cette idée, la monadologie, selon laquelle, pour résumer très vite, tout être est soit une monade soit un composé de monades. Qu'en déduire, alors, de ces fameuses monades urbaines ? Qu'elles sont des unités parfaites composées, chacune, d'un peu plus de huit cent mille individus vivant dans ces tours gigantesques, dignes de Babel (mais d'une seule langue), se projetant vers le ciel à une hauteur de trois kilomètres, larges à leur base, légèrement profilées et pointues plus l'on se rapproche du sommet ; qu'elles sont composées de "villages" de trente à quarante mille de ces animalcules humains, villages re-nommés selon des noms aujourd'hui disparus de villes anciennement étales, horizontales et non verticales comme c'est désormais le cas ; que chacun de ces "villages" est composé d'une population relativement homogène, qui d'agent de maintenance, qui d'ouvriers manufacturiers, qui de petits fonctionnaires, qui d'artistes, qui encore d'intellectuels et de chercheurs ou, vers les cimes, d'administrateurs de premier plan ; que tout ce monde là vit (survit ?), «Dieu soit loué, Dieu soit loué !» avec onction dans la bienheureuse indolence de qui ne connait jamais le moindre vrai conflit, l'égoïsme de notre époque ayant été purement et simplement banni de ce monde vertical, de même que la multiplicité des religions (il n'y en a plus qu'une, mais qui n'est pas excessivement dominatrice), des langages, des idéaux, etc. Comment ? C'est fort simple : il n'y a plus de tabou : plus de pudeur, plus le moindre sens de la propriété, tout appartient plus ou moins à tous, y compris les êtres, on se marie encore, mais cela relève plus de la prescription pratique et administrative permettant à tout un chacun de croître et de multiplier au sein d'une famille nucléaire, puisque hommes et femmes se fécondent les uns les autres sans autre forme de procès, qu'il est de bon ton qu'à la nuit tombée, ces messieurs pénètrent la couche des femmes, connues d'eux ou parfaitement inconnues - le mari fut-il présent- ; que l'homosexualité, ou plus exactement la bisexualité n'y sont pas le moins du monde découragés, sauf qu'il faut, tôt ou tard, procréer, qu'aucun appartement n'étant jamais verrouillé . de toute manière, qu'y aurait-il à voler puisque tout le monde possède plus ou moins les mêmes choses, pourvu que l'on demeure dans sa strate socio-urbanistique.

Ainsi, l'on baise beaucoup dans Les Monades urbaines - que les yeux chastes se rassurent, l'ouvrage n'est en rien un livre érotique ni pornographique. On y trouve bien, de loin en loin, quelques moments un peu plus "torrides", mais dans l'ensemble les scènes de copulation brièvement décrites y ressemblent à ce que peuvent être des scènes d'amour sans la moindre forme de sentiment, de purs besoins physiologiques à assouvir : des actes parfaitement mécaniques et relativement répétitifs -. Mieux, on "défonce" et se défonce (certaines substances hallucinogènes - de type LSD, époque de rédaction de ce livre oblige - y sont en effet sont parfaitement légales) en permanence, dès que les individus sont nubiles : neuf ans pour les plus précoces, onze à treize en moyenne, et dans cette société où n'existe aucune forme de contraceptif, où la simple idée de pouvoir contrôler les naissance est conçue comme une idée déviante, abominable et illégale, le problème de la surpopulation ayant été réglé par la verticalité, la famille (très) nombreuse y est une sorte de bénédiction.

Robert Silverberg, dont c'est là, assurément le plus connu et, très probablement le meilleur des ouvrages, va ainsi développer son utopie, chapitres après chapitres, en nous présentant quelques uns de ses membres : un "sociocomputeur" nommé Charles Mattern, un jeune couple destiné à voyager - horreur ! - vers une monade nouvellement créée, la monade 116 où se déroule l'action étant sur le point d'atteindre ses limites en population ; on suit quelques temps un artiste, Dillon Chrimes, joueur de vibrastar génial et heureux de son existence ; on va croiser deux beaux-frères, Jason, historien sans grande ambition, spécialiste de l'histoire du XXème siècle et Micael, frère jumeau de l'épouse du précédent (prénommée Micaela), électronicien adorateur des films de ces époques englouties étudiées par Jason, et qui rêve d'ailleurs ; on va suivre, enfin, Siegmund Kluver, une sorte de citoyen modèle, encore jeune (une quinzaine d'années), mais à l'ambition aussi dévorante que son intelligence est brillante et qui rêve d'atteindre le niveau suprême de la Monade 116, la fameuse Louisville, le lieux où vivent et agissent les mystérieux "administrateurs" de cet ensemble colossal. Peu à peu, le miroir aux alouettes va se fendiller pour carrément se briser concernant certains des personnages centraux de ce roman polyphonique à la narration extérieure volontairement froide - un peu comme si Silverberg nous présentait un genre de documentaire du quotidien, suivant une logique propre, essayant d'illustrer des parcours différents, mais liés, de cette fameuse monade 116 -. cela peut surprendre, c'est en tout les cas très intelligent car entre les lignes, à travers ces portraits tout autant que les nombreuses digressions pratiquées par ce même narrateur ou par les acteurs involontaires de ce drame à l'occasion de leurs échanges, se met en place un univers clos d'une grande solidité narrative et hypothétique. .

Peu à peu se dresse ainsi cette tentative d'utopie réelle - où une lecture en surface semblera n'avérer finalement qu'un pur cauchemar mais c'est pourtant loin d'être aussi simple -, sans le didactisme souvent ennuyeux des exercices sociologiques ou philosophiques de ce genre, rapprochant ainsi Les Monades urbaines d'une autre mieux connue, le Meilleur des mondes de Haldous Huxley.
Mais à travers l'utopie filtre le soupçon d'un monde totalitaire - d'un totalitarisme d'ailleurs sans véritable chef, plutôt une hydre méritocratique et fortement administrative. A aucun moment Robert Silverberg n'évoque un chef ni même un pouvoir strictement établi, connaissable et reconnaissable, mais plutôt une espèce d'aristocratie de l'intelligence, largement secondée par l'informatique. Nous en saurons encore moins sur le pouvoir qui chapeaute ces rassemblement de monades sous forme de villes verticales dans lesquelles personne ou presque n'a de contact physique direct avec ses voisins. La seule chose que l'on sache de leurs rapports c'est que les monades se livrent des concours entre elles à qui aura le plus grand nombre de naissance à l'année... - à travers ce filtre, donc, on comprend que certains parmi ces centaines de milliers d'individus, parqués comme dans des sortes de gigantesques termitières, pètent littéralement les plombs. Tel va essayer de trancher sa petite famille au couteau de cuisine, tel autre va tenir des propos "asociaux", clamant sa haine des enfants, désirant à corps et à cris sortir, devenant égoïste, jaloux, barbare selon les critères imposés par ce nouveau fonctionnement social, les coutumes et les lois. Ainsi existe-t-il ces fameux (et honteux pour leurs proches) "anomo". Robert Silverberg, en bon professionnel de l'écriture, s'est inspiré d'un terme fondamental de la sociologie d'un des pères-fondateur de celle-ci, le français Emile Durkheim : l'anomie, qui est une sorte de "mal de l'infini" d'un être humain qui ne sait plus borner ses désirs au sein d'une société donnée. Celle-ci peut, très souvent, aboutir au suicide ou aux dérèglements asociaux. le monde des monades a ainsi saisi toute l'importance et la gravité de ces comportements déviants et n'applique, généralement, qu'une sentence à ses manifestations les plus visibles : la "chute" ! Autrement dit, une condamnation à mort via une descente vers les tréfonds de ces immenses villes gratte-ciels où les corps seront immédiatement recyclés en... combustible ! Car rien ne peut se perdre dans une telle économie quasi autarcique dans laquelle seuls les produits de bouche viennent de petites communautés agricoles extérieures et tenues très précautionneusement à l'écart de tout contact monadique (il y aurait d'ailleurs encore long à conter sur l'entrevue de ce monde, pour le coup, parfaitement horizontal et, tout aussi volontairement, dépeuplé des campagnes de cet avenir terrible. Silverberg y consacre un des chapitres les plus étranges et déprimant de son ensemble littéraire).

Ce texte d'un peu plus de trois cent pages est absolument foisonnant. Mieux (ou pire, selon le point de vue), il pose autant de question à son lecteur qu'il semble vouloir en résoudre. On se rend compte par exemple très vite que la population décrite dans l'ouvrage est jeune, très jeune, incroyablement jeune. Que si l'on veut bien admettre que l'humanité en boite est d'une maturité et d'une précocité invraisemblable (la plupart des personnages sont parents à onze ans, ont déjà une activité professionnelle à treize, sont d'une vitalité sexuelle incroyable, semblent littéralement brûler leur existence par tous les moyens), cela explique pourtant mal la rareté des portraits de femmes ou d'homme ayant la vingtaine, du nombre presque nul de ceux ayant passé les trente ans, et du trou abyssal dans la pyramide des ages de ceux ayant entre quarante et soixante ans. Il n'y a que chez ces espèces d'archontes des derniers étages que l'on croise quelques soixantenaires. Et encore semblent-il être des exceptions. Ceux entre deux âges ont-ils donc tous fini par chuter...?

A y bien réfléchir, on se sent aussi parfois gêné de voir cette société du plaisir hédoniste immédiat, de l'uniformité presque obligatoire, de l'interdiction du moindre désir égoïste, etc, se profiler sous nos yeux, le tout dans un modèle urbain vertical et pyramidal dans lequel l'individu en tant qu'être n'a que peu d'importance, sinon en tant qu'il est un des micro-éléments de cette fameuse monade, cette supposée perfection. Bien sur, ce n'est pas (encore) le portrait de notre monde. Bien entendu, les problématiques de surpopulations de l'époque de rédaction de ce livre se posaient autrement qu'aujourd'hui, et sans doute de manière alors bien plus angoissante. Il n'empêche que cette société d'individus se situant entre la fourmi laborieuse et le singe bonobo - qui est connu pour désamorcer les prémices de conflits sociaux par l'accomplissement d'actes sexuels non reproductifs - ne semble ni tout à fait impossible, ni forcément si lointaine de certains voeux, sans doute pas ainsi exprimés, émis par tous ceux rêvant d'un monde sans guerre, sans conflit, sans haine, sans disparités sociales trop fortes (c'est d'ailleurs un échec dans le monde décrit ici, un phénomène de caste y étant très pesant et presque irréductible), et il est évident que nous sommes beaucoup à idéaliser un tel monde. Cependant, cette société telle qu'imaginée avec intelligence et un grand sens du détail fortuit, indirect, par Robert Silverberg donne surtout le sentiment d'être un genre d'enfer climatisé où toute vraie liberté est niée, à l'exception de celle de copuler avec qui bon vous semble (et bien que l'auteur demeure victime des préjugés de son temps, que c'est ainsi l'homme qui se déplace d'appartement en appartement et pro/pose l'acte, tandis que la femme est socialement et légalement obligée d'accepter le rapport, sauf à être déjà occupée... C'est un "détail" sur lequel il y aurait beaucoup à redire, mais il est à parier que l'auteur n'avait alors qu'assez peu conscience de l'aspect phallocrate de cet aspect de son roman. A moins qu'il lui ait semblé que ce fut là le seul moyen de maintenir un genre d'équilibre entre les sexes ? La question est difficile à trancher).

Le comble, malgré ce que cette chronique interminable (sic !) peut donner comme sentiment de l'oeuvre... c'est que ce roman qui se lit comme un rien, qu'on y suit, agréablement mais sans toujours comprendre immédiatement les enchaînements, tous ces acteurs d'une grande diversité, chaque chapitre étant très indépendant du suivant un peu comme s'il s'agissait, de manière très trompeuse, d'une succession de nouvelles (rappelons que l'auteur en rédigea des centaines). Qui peut même souvent sembler facile, évident. Qui s'avère d'une richesse jamais totalement confondue. C'est très certainement la marque des très grands textes et Les Monades urbaines la possède indubitablement, se classant de fait parmi le peloton de têtes, si l'on peut dire, des grands romans dystopiques du XXème siècle récemment écoulé.
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Au XXIVe siècle, la population s'élève à 75 milliards d'humains, soit dix fois plus qu'au XXIe siècle. Et où loge-t-on tout ce monde ? Dans des monades urbaines, des immenses gratte-ciels de plusieurs centaines d'étages comptant près d'un millier d'hommes par monade. La façon de vivre aussi est différente, il faut se multiplier le plus possible, en commençant le plus tôt possible. Et puis il n'y a pas d'intimité ou de jalousie, puisque chacun peut coucher avec tout le monde.
Dans chaque chapitre, on retrouve un personnage particulier, on découvre une vie singulière avec femme/homme et enfants, son rôle dans la société, ses états d'âme. Si la plupart semble adhérer à cette idéologie, d'autres se posent des questions, angoissent et cherchent à résoudre leurs questions existantielles. L'auteur suit un fil chronologique puisqu'on passe à un nouvel habitant dans la continuité du quotidien, mais c'est à chaque fois une nouvelle facette qui permet de comprendre ce monde étrange et un peu effrayant . Ces monades urbaines semblent plein d'amour et de partage au premier abord mais sous le vernis...
Un livre qui fait réfléchir sur le surpopulation, l'organisation des sociétés d'une façon forte. Attention à ne pas être claustrophobe, on ne sort pas beaucoup de ces monades... J'ai trouvé ce roman plus abouti que le premier que j'ai lu de Robert Silverberg, Les déportés du cambrien. Il a une oeuvre conséquente et j'ai encore quelques livres dans ma PAL.
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« le bonheur règne sur Terre. Qui en doute est malade. Qui est malade est soigné. Qui est incurable est exécuté. » Voici, grossièrement résumée, la philosophie qui sous-tend l'existence des monades, ces gigantesques tours de 3000 mètres de haut, abritant plus de 800 000 personnes.

La Terre, en 2381. La population mondiale est de 75 milliards d'individus et l'humanité a résolu le problème de la démographie galopante par la construction des monades. Chacune d'entre elles est composée de 25 cités de 40 étages chacune. Ces cités portent le nom de ville autrefois existantes ; la société est extrêmement hiérarchisée, les ouvriers vivant dans les étages inférieurs quand les élites occupent le sommet. La natalité est érigée en dogme religieux et les couples sans enfants sont devenus une aberration. La drogue est légalisée et les relations sexuelles hors du couple sont une norme, à tel point qu'il est interdit, sous peine de mort, de se refuser à quiconque vous désire (bien sûr au sein de la même classe sociale). Voilà pour le décor.

Ce roman a été initialement publié, en 1970, dans le magazine "Galaxy Science Fiction", chaque chapitre étant considéré comme une nouvelle. Après lecture, il est difficile d'y voir autre chose qu'un roman, tant l'ensemble est cohérent et homogène. Silverberg, à travers l'évocation de la vie de plusieurs habitants de la monade 116, nous dresse le portrait d'une utopie qui se révèle être en fait une dystopie, où comment pervertir les idées de mai 68 au profit d'une idéologie conservatrice.

Bien qu'ayant à présent 50 ans, ce roman vieillit très bien, ce qui est souvent un signe de qualité en matière de SF. En effet, la façon dont le pouvoir en place maintient la population sous son emprise est tout à la fois antique et résolument moderne : antique dans le fond (du pain et des jeux) mais moderne dans la forme (drogue et liberté sexuelle), ce qui permet à l'auteur de "surfer" sur les idéaux de l'époque, en les détournant. Par ailleurs, ces paradis artificiels, qui tuent dans l'oeuf tout désir, puisque la frustration n'existe plus, entrainent, par la dépendance qu'ils instaurent, la mise en évidence des "anomos", les déviants, voire leur dénonciation pure et simple, avec comme conséquences rééducation, voire élimination. Toute ressemblance avec notre époque hyperconnectée, qui fait de chacun l'espion de tous, ne peut bien sûr n'être que fortuite, mais remplacez "drogue et sexe" par "internet" (et tout ce que cela dit de notre société) et l'analogie n'est pas si improbable que ça. La seule différence entre les deux modèles étant peut-être l'hypocrisie car, après tout, le sexe (et encore, pas le vrai) ce n'est pas la dernière des choses que l'on trouve sur le web.

Un grand classique de la SF ? Je dis oui, Monsieur !
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Je découvre l'auteur cette année grâce au challenge auteur le concernant et je suis conquise par ce deuxième roman que je lis. On est dans un sujet bien plus contemporain qui est le problème de la croissance et la pression humaine sur les ressources. En l'an 2381, le problème est résolu grâce aux monades urbaines, ces ensembles de tour de 3000 mille mètres de haut ,composé de plusieurs niveaux selon son métier, sa classe sociale. En haut les riches, en bas les pauvres ! Oui du déjà vu mais dans les année 70 , penser à une croissance verticale c'est assez original . Aujourd'hui on pense plutôt à des fermes verticales dans les villes. Alors pourquoi pas des tours gigantesques qui abritent quasiment toute l'humanité et le reste occupé par l'agriculture ? Parce qu'on deviendrait fou ? En tout cas l'auteur fait bien le tour des avantages et des défauts de ce monde futuriste. La totale liberté sexuelle (pouvoir avoir le partenaire sexuel que l'on désire et celui-ci ne peut refuser) est sensé éviter les frustrations...Un monde en paix où tout le monde semble se convaincre de son bonheur ! Un roman d'anticipation vraiment brillant en tout cas !
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Roman composé en "monades", chapitres apparemment indépendants les uns des autres, mais en fait profondément liés entre eux par le retour et l'évolution des personnages.
La structure du roman est une mise en abîme des "monades", immenses buildings de 3000 mètres de hauteur où s'entasse une humanité qui s'élève à 75 000 000 000 d'individus...Nous sommes en 2381.
"Dieu soit loué", tout le monde est heureux là-dedans. 800 000 personnes par tour, 1000 étages, soit 80 000 personnes par étage ! Dieu soit loué ! On est en couple à 12 ans et on se reproduit. le but est d'augmenter au maximum la population humaine. Pour conjurer le sort terrible de la surpopulation du XX ème siècle, que les contemporains n'avaient pas su gérer. Eux le peuvent, par la verticalité. 50 m2 par famille de 6 ou 7, des écoles, des stades, des bibliothèques, des usines de recyclage...Personne n'a faim, tout le monde est propre, occupé, heureux.
Et se "défoncent", dans tous les sens du terme. Ce n'est pas moi qui dit cette obscénité, c'est le narrateur. Tout le monde se défonce dans la monade 116. Drogue à tous les étages, et toutes les créatures offertes. Interdiction de se refuser, c'est la loi. On se ballade d'étage en étage, pilule bleue à la main et toutes les portes ouvertes. Entrez monsieur, madame, c'est libre. C'est pour éliminer les tendances sociopathes agressives, genre, possessivité, jalousie, vénalité ...Si vous n'êtes pas comme ça, vous êtes "anomo", (anti-loi, j'imagine ) et on vous jette dans la grande cuve du recyclage énergétique...
Bouh là là, bizarrement, certains pètent les plombs.
Ca va crescendo. Mais c'est sans issue.
Les personnages principaux ( Jason, Siegmund, Micael et Micaela, Mamelon (elle porte bien son nom, celle-là), Dillon, Artha ...) sont tous fascinants, tellement étranges, si proches et si lointains, parfaitement conditionnés ou totalement fissurés, et perdus ...On ne sait pas d'où vient le pouvoir, qui gouverne cette société ? Qu'y a -t-il au delà du millième étage ? La fin bouleversante et poétique nous jette dans un mystère opaque.
A lire !
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Silverberg a imaginé pour nous une solution à la surpopulation de notre planète : exploiter la 3ème dimension de l'espace : la verticalité.
Cette solution, on en voit déjà quelques ébauches à notre époque actuelle mais Silverberg va beaucoup plus loin. Toute la population est entassée dans d'immenses tours de 3 kms de hauteur et pouvant contenir plus de 800 000 personnes, 1000 étages répartis en cités portant le nom de villes de l'ancien monde. Chaque cité correspond à une catégorie socio-professionnelle précise. Les tours sont autonomes en énergie et sont pourvues de tous les équipements nécessaires à la vie sociale : logements, usines, salles de sport, de concert, écoles, cabinets médicaux etc…
Mais pour ceux qui, comme moi, connaissent la vie en appartement, on sait que vivre ainsi dans une certaine promiscuité engendre quelques tensions. Pour les hommes de 2381, ces tensions ne sont pas tolérables car néfastes à la fécondité et à l'accroissement de la population. Il faut donc éviter au maximum toutes sources de conflits, de frustration ou de mécontentement. Et c'est tout un mode de vie, toute une culture qu'imagine Silverberg, avec ces codes, ces moeurs et quiconque ose les remettre en question ou s'en écarter est impitoyablement condamné à mort.

Le roman se découpe en plusieurs chapitres consacré chacun à un personnage en particulier. On les suit dans leur vie, dans leur intimité et on découvre à travers eux cette mentalité et ces moeurs qui nous semblent totalement incroyables mais qui, pour ces hommes de 2381, sont tout à fait naturelles.
Bien que dans les premiers chapitres, tout semble aller parfaitement, les personnages nous paraissent heureux et satisfaits de cette vie urbaine particulière mais peu à peu, au fur et à mesure que l'on avance dans la lecture, certains doutent et se découvrent des traits de caractère et des ambitions en contradiction avec ce mode de vie qu'ils connaissent pourtant depuis leur naissance et qu'ils pensaient avoir accepté.
De là la question que se pose Jason, l'historien. Ce changement de culture fonctionne-t-il parce que lié à un conditionnement psychologique ou a-t-il été, au fil des siècles, inscrit dans les gènes ? Les remises en question de certains des personnages semblent répondre à la question. Jalousie et rêve d'évasion hantent les esprits de certains qui vont jusqu'à oser sortir de la tour pour partir à la découverte du monde extérieur.
Dehors, Micael croise ceux à qui a été confiée la tâche de produire la nourriture des citadins. Leur mode de vie se rapproche du nôtre et Micael est confronté au choc des cultures.

J'ai été totalement bluffée par l'imagination de Silverberg, inventer une nouvelle civilisation d'où est bannie la propriété sous toutes ses formes, où on ne se pense plus en tant qu'individu à part entière mais comme partie intégrante d'un tout, où personne ne souffre de froid ni de faim malgré une population de plus de 70 milliards, où la criminalité a totalement disparu, cela semble être le paradis, LA solution idéale à tous les maux que connaît notre société actuelle.
Mais pourtant sous couvert d'utopie hippie ( contexte d'écriture oblige) bien visible à travers des concepts comme la liberté sexuelle, l'usage de drogues et l'absence de toute propriété, il n'empêche que persistent, dans cette nouvelle société, la sempiternelle lutte des classes entre classes inférieures logées en bas de la tour et classes dirigeantes logées au sommet, et avec elle, ambitions professionnelles, volonté d'ascension sociale et souci du paraître. L'individualisme n'est pas complètement mort.
Mais sommes-nous capables de vivre dans ces conditions ? Peut-on museler ce qui fait partie intégrante de notre humanité au profit de la vie en société ? Inversement, comment concilier les deux ? Voilà des questions parmi tant d'autres que soulève ce roman, un roman intemporel bien qu'écrit en 1971 et qui restera longtemps d'actualité.

J'avoue avoir englouti ce récit en quelques heures, bien que certains chapitres soient moins passionnants que d'autres ( j'ai sauté des lignes notamment dans celui concernant le musicien qui, à mon avis, n'apporte pas grand chose à l'ensemble excepté peut-être de montrer le mépris que peuvent ressentir les classes sociales entre elles). Après L'homme programmé, je suis à nouveau conquise par cet auteur. Heureusement pour moi, il a une bibliographie bien fournie, de quoi me régaler encore pendant un bon moment.

Lien : http://booksandfruits.over-b..
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Première lecture de Robert Silverberg avec les Monades urbaines.

Le futur a réduit l'humanité à vivre dans d'immenses gratte-ciel, les monades, où l'étage de résidence désigne aussi bien son rang social que son travail. Chaque monade comporte un nombre d'habitant stable. Pour éviter la surpopulation de nouvelles tours sont érigées. Combien sont elles? L'humanité ne le sait guère et cette question n'est pas un centre d'intérêt et pour cause, leur monde se résume à leur tour d'habitation. Déménager ? C'est une épreuve pour chaque foyer ou au contraire une aubaine, mais c'est un mal nécessaire pour que la monade ait une population immuable.

Sans dévoiler le coeur de l'intrigue, cette histoire, divisée en nouvelles, nous plonge dans ce qui fait l'humanité. Au coeur de la monade 116, les rapports sociaux, mais aussi sexuels ou encore la notion de vie privée, vie publique deviennent le noeud scénaristique qui happent le lecteur. Dans ce futur, la norme n'est pas unique mais dépend de l'étage où l'on vit bien que la liberté de circulation soit présente.
La population est saisie par une multitude de questions dont les réponses sont parfois déroutantes. Je pourrais ici développer davantage les protagonistes mais je pense que découvrir par soi-même ce qu'ils vivent dans la monade est plus intéressant.

Le style de Silverberg est clair facile à lire et le recueil de nouvelles se lit rapidement. Si vous cherchez un classique de la science-fiction, vous savez vers quel livre vous tourner. Bonne lecture.
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Après " l oreille interne" j ai suivi Silverberg dans ses "monades urbaines" sans le regretter une seconde..
Oubliez l horizontalité, tout se conjugue en vertical dans cette dystopie. Oubliez aussi la pudeur et les frustrations sexuelles, les sorties à l extérieur de l immeuble (monade), et surtout ne réfléchissez pas trop si vous ne voulez pas finir par devaler la chute..
Si l on y croisent plusieurs personnages, habitants chacun des étages différents, signe de position sociale, deux d entre eux structurent ce superbe roman d anticipation..c est par eux que silverberg nous fait réfléchir au bonheur, à son prix, à ses limites..
Cette métaphore de notre mode de vie, ce "miroir à l envers" pose la question des libertés individuelles et collectives, de la "dictature de démocratie ", et, sans être adepte de la théorie du complot, de notre propre mode de vie, actuel et à venir.
Silverberg utilise la répétition, la reformulation, dans un style narratif classique et efficace, pour nous faire pénétrer cette monade 116, ses us et coutumes, ses règles et ses limites, son organisation verticale qui rappellent dangereusement les principes des sociétés totalitaires.
À lire. C est tjrs d actualité...
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