Les deux ouvrages qui composent la Chute d'
Hypérion sont beaucoup plus riches que les deux premiers volumes (les Cantos) : ce n'est plus une succession de récits, certes très intéressants et vivants, mais qui retraçaient le passé de chacun des personnages de façon assez statique et répétitive. Au contraire, ici l'action se déroule sous nos yeux et gagne en profondeur. Chaque personnage va devoir faire face à des décisions, à ses voeux aussi, avant l'arrivée du gritche. Bien que formant à l'origine un groupe uni, les pèlerins vont se séparer, soit pour affronter le Gritche, soit pour mettre fin à leurs propres lubies. Comme dans un film d'épouvante, l'individualisation des objectifs permet la dislocation physique du groupe puisque le gritche apparaît à chacun d'entre eux, lorsqu'il s'isole du groupe. Mais le gritche n'apporte pas que la mort et les pèlerins ne connaitront pas tous le même sort.
Dans ces deux derniers volumes, on découvre aussi de nouveaux personnages, qui enrichissent la palette d'
Hypérion : le deuxième cybride de
John Keats, appelé malicieusement Joseph Severn et Meina Gladstone, présidente de l'Hégémonie. le premier se présente comme une personnalité double : invention des IA qui le laissent librement circuler dans l'infosphère, et créature dont la mémoire modifiée et fortement rattachée au poète du XIXe siècle lui fait ressentir un amour incommensurable pour l'humanité. Créature « entre les deux », sa double identité confine au divin. Meina Gladstone, elle, est une politicienne qui va devoir prendre des décisions lors de la plus grande crise jamais connue par l'Humanité. L'intégration du personnage et les enjeux de ses combats permettent de donner une épaisseur plus philosophique à un récit jusqu'à présent assez mystique.
De fait, le récit nous entraîne dans une épopée bien plus intéressante qu'elle ne le présageait. le rythme est parfaitement maîtrisé et, si les effets sont connus, la plume de
Dan Simmons leur procure une intensité remarquable. Les récits ne s'enchaînent plus mais se croisent. La séparation des personnages permet l'éclatement et l'enrichissement du roman qui joue sur les différents points de vue des personnages, les informations qu'ils récoltent chacun de leur côté (le lecteur en apprend alors bien plus qu'eux). Cela permet aussi de jouer avec la chronologie dans ce roman concentré autour des Tombeaux du Temps. Enfin, cela donne une tension à l'ensemble qui fonctionne très bien et qui s'accélère au fil des pages : les chapitres, au départ, se focalisent chacun sur un personnage, mais plus le récit se rapproche de la fin, plus les aventures des pèlerins se mêlent, se succèdent le temps d'une vision. Cette accélération bien menée, doublée de la relecture d'un événement (vécu par deux personnages puis, quelques pages plus loin, par d'autres dont on a suivi les péripéties entre-temps) permet de saisir dans sa globalité la guerre qui se joue dans le Retz.
Si quelques questions et maladresses demeurent, on les oublie vite tant la qualité domine. le récit mêle définitivement religion, mythologie, mythe artistique, récit de science-fiction, presque d'anticipation par certains aspects. La complexité justifiée de ces romans en fait de grands classiques de la littérature de SF.