COURAGE
Le premier courage est de vivre. La capacité d'aimer l'existence, sans condition, est une des formes du courage de vivre. Pourtant, comment mesurer sa force d'âme lorsqu'on n'a connu ni guerre, ni désastre naturel, ni deuil intime ? Comment ne pas se demander quelle énergie sourde pousse certaines personnes qui connaissent le pire à continuer de vivre ? Quel ultime ressort exige encore que l'on respire, que l'on ouvre les yeux pour voir notre monde et que sortent des paroles d'une bouche malade, quand l'essentiel vient de se détruire, quand la niche qui renfermait des espoirs et une tranquillité d'existence vient de rompre ses amarres ? Pareils aux stoïciens, certains parviennent à surmonter leur détresse, à s'arranger de forces qui les dépassent sans pour autant remettre en cause la gamme des valeurs qui régissait leur vie jusque-là.
Qu'est-ce qui fait que dans leur génétique, certains éprouvent une aversion maladive pour ce qui leur est étranger ? Une musique, des parfums, une couleur de peau, un accent, tout est repoussoir. J'ai eu cette chance : jamais dans le couple de mes parents prolétaires je n'ai entendu la moindre parole xénophobe, aucun mot du racisme ordinaire... Ou alors ma mémoire défaille. En tout cas, je n'ai pas été nourri de cette prose puante qui formate certains jeunes esprits. Pourtant, il est des familles françaises plus aisées, bien-pensantes et propres sur elles, où l'antisémitisme règne, où la xénophobie fait partie des meubles et d'un confort de pensée, comme s'il existait une charte nobiliaire et bourgeoise non écrite pour détester - sans se trouver détestable pour autant - certaines communautés et se sentir ainsi plus Français. Mon éducation, pourtant lacunaire, n'a pas commis ce péché ontologique de m'élever dans la peur ou la haine de 𝘭'𝘈𝘶𝘵𝘳𝘦. A tout bien penser, je crois que j'aime 𝘭'𝘈𝘶𝘵𝘳𝘦 parce que moi-même je me sens étranger dans mes communautés, qu'elles soient littéraires ou musicales, étranger à un savoir-vivre, un savoir-faire, à entretenir des liens artificiels avec des gens dont parfois je n'ai que faire. Nul orgueil à cela, l'étranger n'est en somme que ce qu'il est, extérieur à l'assentiment général, au mode de vie réglementaire, à l'uniforme que l'on aimerait qu'il porte. Pourtant, je ne les déteste pas, ces 𝘈𝘶𝘵𝘳𝘦𝘴, j'ai même une faculté incroyable à me glisser dans leur peau, à deviner leurs pensées et leurs penchants, à imaginer même que je les intéresse. Parfois, je me sens étrangement humain, malgré cette cicatrice dans le regard, à observer mes frères d'existence, comme si je les aimais.
07 janvier 1989
Le chanteur Yves SIMON parle de son livre "Né en France", livre qui raconte des souvenirs anecdotiques dignes de passer à la postérité. Il se livre au jeu de l'anti-portrait chinois : que voudrais-tu être... Quelle serait pour toi la pire injure, etc. Images d'archive INA
Institut National de l'Audiovisuel.