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Critiques filtrées sur 4 étoiles  
Pétrole ! Que voilà un beau titre pour illustrer le rêve américain, celui qui fait passer le personnage central du début, d'un statut de charretier à celui de magnat du pétrole. Papa, c'est ainsi que le narrateur le nomme, n'a pas réussi par hasard mais à force de travail, de travail bien fait (très bien fait, mieux que les autres), d'intuition et de jugement sûr. Bien sûr, il fait aussi preuve d'opportunisme, nullement freiné par les lourdeurs de l'administration qu'il règle (dans tous les sens du terme) à son avantage, tandis qu'il laisse beaucoup de monde au bord du chemin sans trop de scrupules.
Et quel est donc le rêve d'un Papa qui a réussi ? Eduquer, former et transmettre tout son savoir et son expérience à son fils, bien sûr ; un fils appelé à lui succéder et à continuer la saga en pérennisant l'oeuvre d'une vie. Ca tombe bien car le gentil « Bunny » est un bon fils, désireux d'écouter et de faire plaisir à son paternel. L'ennui c'est qu'avec ce genre de scénario bien lisse on fait rarement un bon roman. Alors, comme c'est un bon roman (évacuons ce suspens d'entrée), disons que le gentil fiston est tellement gentil et attentionné qu'il va s'intéresser également au sort des ouvriers de son père, allant jusqu'à se lier avec certains d'entre eux tout en fréquentant la très bonne société (entendre les gens riches) pétrolière et cinématographique de la cité des anges. Si on ajoute qu'un des ouvriers qu'il admire énormément adhère au jeune parti communiste puis devient l'un des leaders de la grève qui paralyse les puits de pétrole de Papounet, on comprend que le tiraillement qui s'empare du gentil Bunny va mettre du piquant dans le roman. On peut reprocher (c'est assez facile aujourd'hui) un certain angélisme (Sinclair était socialiste et militait y compris dans ses romans) vis-à-vis de la Troisième Internationale et de la naissante Union soviétique mais reconnaissons que le personnage de Papa le pétrolier est loin d'être caricatural. Ce n'est pas un salaud. Un cynique oui, mais quand son fils lui demande d'aider tel ou tel de ses employés ou d'en faire sortir un autre de prison, il s'exécute de bonne grâce. de nos jours, on dirait que c'est un bon père et un patron paternaliste. Ne lui en demandons pas plus.
Il n'en demeure pas moins que tous les aspects de ce roman, écrit il y a presque un siècle, restent d'une étonnante actualité. On y découvre, extrêmement bien décrites, les coulisses des débuts de l'exploitation pétrolière, celle des petits derricks couvrant une colline, des méthodes d'extraction, des accidents de chantier ou des méthodes employées par les exploitants pour racheter les terrains à leurs propriétaires, sans que soient omises les querelles et mesquineries avides de ces derniers. On découvre l'ampleur et tous les mécanismes de la corruption. Méthodes et justifications psychologiques à tous les niveaux, du plus modeste jusqu'à l'occupant de la Maison blanche, n'ont pas pris une ride. Même chose pour la critique en creux des universités, déjà à l'époque plus préoccupées de s'arracher par tous les moyens les meilleurs jeunes athlètes du pays que d'instruire réellement leurs étudiants. Quant à Hollywood, à travers son inculture, son microcosme et ses promotions canapés, sa description n'a nul besoin d'injection de Botox pour ressembler à celle d'aujourd'hui. Et que dire du personnage d'évangéliste autoproclamé, faiseur de miracles « arrangés » et de fortune dissimulée ? N'y aurait-il plus aujourd'hui, là-bas mais ici aussi, de ces prédicateurs prêchant l'amour ou la haine, mais toujours pour leur paroisse.
Et à bien y réfléchir, Bunny lui-même le gentil milliardaire de gauche, n'est-il pas l'archétype de nos bobos gauchistes et de notre « gauche caviar » faisant le grand écart entre ses « fêtes » et ses bonnes oeuvres ? Qui sont donc aujourd'hui les Harding et les Coolidge (respectivement les 29ème et 30ème présidents des USA) élus, selon Sinclair, par les milliardaires pour les servir ?
Il me semble bien que ce livre est toujours d'actualité. L'histoire est agréable à lire, le ton légèrement ironique est plaisant, alors faites le plein et foncez !
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" Pétrole " est une fiction politique dans l'histoire de laquelle nous découvrons la face sombre du capitalisme des pétroliers américains .
Ce titre est paru aux USA en 1926 sous le titre " Oil " . L'auteur , politiquement contestataire du capitalisme outrancier , déploie devant nos yeux , l'ascension fulgurante des magnats du pétrole ( à l'appétit insatiable ) , la concentration en peu de mains des richesses et la stagnation sociale des travailleurs ne possédant que leur force de travail ( se contentant des miettes , si il y en a ) . La vision futuriste de l'auteur oppose le communisme au capitalisme dans un proche avenir . Nous savons depuis qu'il y a peu de différence entre capitalisme privé et capitalisme d'état ( communisme ) , mais en 1926 , l'espoir était permis .
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Upton Sinclair est un de mes excellents amis depuis que j'ai lu sa Jungle, une oeuvre vraiment admirable, à la fois pathétique et féroce, une littérature sensible et de combat. Si elle ne tirait un peu excessivement sur la corde de la pitié, sans doute serait-elle quelque chose de tout à fait parfait à mon goût. Et certes, un homme qui se moque à ce point de plaire à ses contemporains est certainement un être esseulé et socialement condamné qui ne trouvera pas d'inconvénient à quelque soutien rare pour affronter la solitude et renoncer au pistolet sur la tempe. Aussi lui prêté-je volontiers ma main droite à serrer et mon dos sur quoi s'appuyer…
Quoi ? Il est mort peut-être et n'en a plus besoin ? Eh bien, c'est alors que moi j'en ai besoin plus que lui !
Il existe dans le genre réaliste toutes sortes de courants, une variété de conceptions quasiment opposées et qui n'ont pas encore été nettement identifiées, à ma connaissance. La distinction de ces variétés ne tient pas seulement compte de la forme qui est toujours une source de réductions inutiles et absurdes, mais bien de l'intention de l'écrivain et de l'effet auquel il aspire avant même l'écriture de son premier mot.
S'il fallait que je proposasse les linéaments d'une telle classification, je dirais que Zola, par exemple, était nettement un réaliste à thèses, c'est-à-dire un réaliste d'université, une sorte de littérateur doctorant : il voyait des idées partout, des concepts soi-disant universels pour valoriser sa carrière en ayant l'air d'être à l'origine de trouvailles… de sorte que peut-être, en fin de compte, il ne voyait de réalités nulle part mais bien davantage des représentations. On peut raisonnablement douter qu'il observait des objets et des gens en dehors des désirs qu'il y projetait et des conclusions qu'il en avait déjà formées quand il réunissait ses « carnets » sur le terrain. Je n'ai jamais vu dans ses romans que des faits déjà longuement connus, vaguement tendancieux, et des extrapolations à la mode. Une ouvrière devait être pour lui une sorte d'entité utile, et une machine industrielle un prétexte à une description enlevée sur le modèle de « Mélancholia » de Hugo ; il posait certainement à tout ce petit monde des questions et des regards bien singuliers et orientés ! Quoiqu'on dise, je crois que ce sont des figures comme Zola qui ont inventé la religion, la phrénologie et l'idéologie raciale, n'en déplaise aux partisans du célèbre « J'accuse ».
Sur une ligne nettement parallèle et distincte, on trouverait le réalisme sentimental, par lequel un auteur souhaite divertir et émouvoir au moyen des péripéties amoureuses d'un personnage en général féminin ; alors, pour donner à son intrigue une note d'implication plus efficace, il le situe au sein d'un univers contemporain et vraisemblable. Un tel auteur – par exemple Jane Austen, Thomas Hardy, Gustave Faubert, Guy de Maupassant, Anthony Trollope et jusqu'à Somerset Maugham –, ne souhaite pas fondamentalement rendre une théorie sociale, exposer un principe ou édifier sur une situation concrète de quelque manière que ce soit : cela peut arriver, mais ce n'est pas l'esprit avec lequel l'oeuvre est véritablement entreprise. C'est plutôt l'épanchement et le partage de passions transposables qui sont visés dès l'origine, et cette intention est logiquement vite perceptible et donne lieu, quelquefois ou souvent, à des débordements déraisonnables où le protagoniste apparaît dénué de rationalité, de recul et de bon sens : c'est le prix à payer – je veux parler d'un certain excès émotionnel – pour susciter rapidement l'empathie du lecteur.
À côté d'eux, sur une autre ligne d'effets bien séparée, je distinguerais le réalisme esthétique, plus rare et typique par exemple de la littérature dite « fin-de-siècle », où le cadre apparemment concret ne sert qu'à valoriser un style, notamment précieux ou byzantin, comme c'est le cas chez Joris-Karl Huysmans, Catulle Mendès, Jules Renard ou peut-être Albert Cohen. On n'a pas même alors l'impression de suivre une intrigue, cette préoccupation-là fut tout extérieure au projet d'origine : il s'est plutôt agi de démontrer qu'en partant d'une matière connue et parfois même rebattue, l'auteur était capable d'une virtuosité nouvelle et d'un ton hors de mode ; et cet effort a produit des originalités qui n'ont à peu près d'intérêt que stylistique – encore que ce ne soit pas du tout un intérêt maigre ou facile.
Inutile de me parler de ce « réalisme » actuel, qui n'est, pour l'essentiel, qu'un pseudoréalisme contemporain. Si c'est pour prétendre par exemple que Houellebecq est un réaliste au prétexte qu'il parle de sexe et d'ordinateur au bureau (les deux au bureau), ou bien que Nothomb ou je ne sais quelle dame en est aussi parce qu'elle dit je ne sais quoi sur la vie fantasmée ou améliorée des femmes d'aujourd'hui (avec ou sans menotte), alors je préfère m'en aller tout de suite et quitter la conversation. Je n'accorde déjà pas facilement à ces récits l'appellation de littérature, alors quant à leur attribuer l'idée de réalisme ! La vérité, c'est que ces textes ne disent à peu près rien de la société où ils naissent si ce n'est son état de laisser-aller et de superficialité mentales : le lectorat n'y trouve qu'un divertissement narcissique et indigne même à être nommé « intrigue », et le monde de l'édition s'y devine par son inlassable, piètre et pathétique recherche d'une littérature thématique représentative d'une époque et par sa criante absence de faculté à discerner au-delà des objets du monde ce qui fait l'essence d'une réalité. On y devine tout au mieux, mais au second degré loin derrière la conscience de ses amateurs, un vague désir d'assumer agréablement une insatisfaction reconnue et bien identifiable, une plaisante grogne des vexations du moment – ce en quoi se distingue ce qu'on ne pourrait appeler tout à fait un courant : une tentative, une ébauche, rien qu'un râle mêlé de soulagement instantané et suffisant à étancher sa cause.
Mais tout autre est ce réalisme qui consiste, avec aussi peu de pensées préconçues que possible, à relater des faits indubitables mais recelés, recelés parce que plus ou moins inconfortables voire tout à fait importuns pour un vaste milieu ou même une Nation – et parfois avec une pointe de satire chargée de donner du piquant à la narration : je l'appelle le réalisme critique. Lire en ce sens Sherwood Anderson, Theodore Dreiser, Richard Wright, Sinclair Lewis, Upton Sinclair, John Steinbeck, Truman Capote, Edward Abbey... qui furent les poils à gratter et les empêcheurs de tourner en rond de la morale américaine. On découvrira alors qu'en France, par comparaison, on a tout juste exposé des théories compliquées, pseudo-scientifiques et pas trop inacceptables pour être mises en scène où par exemple la progéniture d'un ouvrier fut longtemps un monstre difforme, analphabète et promis à la dégénérescence sexuelle et alcoolique – on soutint cela, on le prouva, c'était pourtant tout à fait une élaboration de Troisième Reich – tandis qu'aux Etats-Unis, cette caricature donnait déjà la nausée du temps de la guerre de Sécession. En France, quand les éditeurs réclamaient à leurs artistes de ne pas heurter la sensibilité des minorités parmi lesquelles certains de leurs lecteurs devaient nécessairement se trouver et particulièrement la minorité des investisseurs, au même moment l'industrie alimentaire portait plainte contre le brave Sinclair pour diffamation, et… à la fin, dans une société pourtant fervente du succès économique et de la gloire patriotique, c'est Sinclair qui l'emporta !
Dans Pétrole ! l'auteur ose encore dénoncer un rêve américain en l'espèce de l'exploitation des gisements du fameux « or noir » – activité fort symbolique et lucrative en 1927 où le livre fut écrit. Il excelle à décrire, dans une prose subtile et efficace, aussi bien l'intérêt passionné de J. Arnold Ross dont la vie est un éternel investissement en derricks, pipelines et raffineries, que les émerveillements et inquiétudes de son fils Bunnny appelé à assurer sa succession mais dont l'âme honnête est au rejet des corruptions et à la découverte du socialisme, sans oublier les méticuleuses explications sur les moyens techniques et humains liés à l'extraction du pétrole, forage, cimentage, cuvelage, raffinage… C'est en tout un travail formidable, impressionnant tant d'humanité fine que de documentation rigoureuse où se mêle la révélation d'une perpétuelle lutte pour l'argent atteignant même tous les milieux : petits propriétaires fonciers, salariés du pétrole, exploitants cupides, prêtres détraqués, bourgeois déconnectés, politiciens corrompus. Ce livre révèle les mouvements d'une danse extrêmement cynique et folle, une euphorie acharnée de la fortune et du profit où le succès financier apparaît comme résultante d'une suite inexorable de compromissions et de vices qu'un fils effaré constate sans pouvoir agir : c'est là toute la marche du monde, argue toujours le père.
Extrêmement touchante aussi cette affection mutuelle et filiale qui lie la plupart des péripéties comme autant de souvenirs d'enfance et de traces lumineuses laissées sur la pellicule de la mémoire : les promenades sensationnelles en automobile, l'aura presque sacrée du père ingénieux et adoré, les parties de camping entre hommes, les emballements du coeur à l'abord de nouveaux gisements ; un récit d'initiation, en somme, où un fils admirant et découvrant son père en vient à s'interroger peu à peu sur la légitimité de cet effort traditionnelle et insatiable du gain.
Ce roman colossal de presque un millier de pages débute d'une façon magistrale comme une révélation d'univers – et c'est vraiment le mieux que puisse faire un auteur réaliste de nous présenter un microcosme inconnu, insoupçonné même, à la façon d'une explicitation éblouissante : on comprend, sans impression de grossissement, les roublardises et les négociations d'achat, les détours légaux, les dispositifs techniques, les risques et les accidents d'exploitation ainsi que leurs exactes solutions, l'organisation influente des syndicats pétroliers et leurs modes de gestion des grèves de travailleurs, la concussion systématique mouillant, baignant, inondant de noirceur aqueuse tout ce qui trempe dans cette entreprise féroce et amorale du pétrole…Le premier tiers du livre est une étourdissante merveille, dense et colorée, relatant toutes les étapes méthodiques et excitantes de la découverte d'un gisement à son exploitation au nom de Ross Jr. ; on en retient même, sentiment galvanisant, l'impression d'une large bouffée d'Amérique, avec ses climats, ses décors, ses rites, ses moeurs et son exaltation typique de liberté un peu extravagante, en somme tout ce qui fait, depuis que les États-Unis se cherchent des écrivains, la fierté d'une véritable identité littéraire nationale. C'est beau et profond comme une voile peinte exposée en pleine lumière, on y sent l'immense affection d'un homme pour sa terre, pour les hommes qui y vivent et pour la diversité bienheureuse de leurs modes de vie. Une curiosité intense, épanouie dirige le regard de Sinclair dans toutes les directions, goûtant chaque chose, relatant le soleil, les accents et la vie, et on y perçoit toute une réjouissance généreuse d'en partager les saveurs et de retranscrire les émotions intimes de l'existence au sein d'un univers composite de satisfactions et d'opportunités.
Tout cela confine au chef d'oeuvre, vraiment, comme dans certaines des plus pittoresques pages contemplatives de London ou Steinbeck. C'est vif et c'est profond ; on respire un ambitieux vent de pleine littérature ; on se sent porté par des airs supérieurement purs où l'humanité et l'art se mêlent en voltigeant avec une incomparable fluidité.
Mais l'au-delà de ce premier tiers du livre est, de mon point de vue, un peu moins bon.
Et c'est pourtant presque insensible, on glisse imperceptiblement aux environs de la partie VII vers autre chose, et plus le temps passe, plus le récit se développe et s'élargit, plus on s'interroge sur une impression vague d'étrangeté et de superflu, sans comprendre exactement d'abord quelle est la source de l'écart : le style est bien le même, l'intrigue poursuit logiquement la formation universitaire de Bunny qu'on découvre de plus en plus édifié par des idéologies de gauche… En toile de fond, l'histoire mondiale se poursuit avec les développements de la Grande Guerre, où le pétrole occupe tout vraisemblablement une place d'importance – et ces années franchies n'abîment même en rien l'unité de temps…
Oui mais : où est passé notre précieux puits initial dans ce si pittoresque pays de sensations et d'idées ? Et pourquoi s'éloigne-t-on de ce grisant sentiment d'appartenance où le réalisme servait à tracer le portrait d'un gisement en particulier et de ses premiers derricks ?
Parti, envolé, confisqué, le champ glorieux des doux commencements. L'engrenage est tourné, il faut murir, voir Bunny devenir homme et se confronter à la tout puissante logique universelle et sociale : le monde n'est pas contenu dans un seul puits, que diable ! Certes, mais ce recul éloigne du sujet qu'on croyait circonscrit d'abord : les premières amours de Ross Jr n'étaient pas apparemment prévues au programme ou bien j'avais mal compris, et ni le contenu de ses études, ni les délires d'un escroc à la religion ne figuraient dans les attentes logiques… le récit prend un tournant inattendu, moins intime et affectueux, et peu à peu il se métamorphose en une dénonciation des persécutions contre les communistes ; ce thème prend même progressivement toute la place, et j'ignore si c'est la suite nécessaire de cette ruée vers l'or noir mais ça paraît tout à fait autre chose que la description d'un milieu : c'est devenu la critique du système capitaliste dans son ensemble et de ses brutalités obligées, et le pétrole même acquiert une dimension secondaire, théorique et lointaine.
La relation des amours de Bunny, par exemple, ne sert alors qu'à illustrer comment son argent attire en-dehors de sa personne, comment sa classe vit déconnectée des préoccupations ordinaires, comment son caractère éprouve l'attirance paradoxale des théories socialistes et bolchéviques ; ses actions et ses dires, sans plus rien dévoiler de la colossale machine pétrolière, indiquent des contradictions insolubles, tant de dilemmes moraux insurmontés où le type même du personnage ressort affaibli, affadi, éternellement indécis : en cela ce n'est pas du tout un récit de formation, mais le roman d'un renoncement passif aux valeurs de l'argent. Bunny n'est qu'un perpétuel observateur, certes pratique pour l'auteur à nous rendre témoins extérieurs comme lui, une utilité en somme ; mais est-il vraiment possible, à ce point ? La dimension psychologique paraît assez négligée, c'est toujours le même fils à papa, et l'auteur peine à y injecter une sentimentalité crédible et profonde : Sinclair ne me semble pas fort compétent à cet exercice, après tout ; c'était déjà probablement l'inconvénient avec La Jungle, on y trouvait des marionnettes, on n'était jamais surpris par des introspections complexes c'est-à-dire vraiment humaines.
le défaut de cet ouvrage, c'est peut-être, en somme, de n'avoir pas tout à fait admis qu'on ne peut pas placer tous les souffles dans un même bocal, toutes les représentations dans un seul livre : il eût fallu métaphoriser quelque peu au lieu d'élire systématiquement toutes les situations où introduire un protagoniste dans une posture éloquente ; il y a par trop dilution de l'idée fondatrice, et l'unité non de temps comme j'écrivais mais d'intrigue se répand et se perd. le récit reste pourtant majestueux, son style ne souffre d'aucun vice, mais il est à la fois trop démonstratif et imparfaitement tenu, comme ces jus excessivement mélangés, fort goûteux par eux-mêmes mais dont on ne distingue plus les fruits d'origine : la saveur en devient bizarre et incongrue, et on oublie l'idée même de finesse dans la superposition pléthorique de ce qu'il faut absolument chercher et qui nous détourne de l'efficacité des ingrédients primordiaux.
N'importe, c'est un beau roman, minutieux, audacieux, incontestablement risqué : il y aurait assurément du tort à condamner tout un livre pour un petit excédent d'ambition auquel une certaine forme ne saurait correspondre ; on ne retire pas son amitié pour si peu, en particulier quand l'émotion, si maîtrisée au début, ne fait que retomber légèrement sous l'effet de l'analyse et d'exigences quelque peu intellectuelles d'unité et d'effets. Je pousse trop loin peut-être ma recherche de perfection – ou ma volonté d'objectivité –, mais c'est pour rester juste et digne, et ne pas feindre d'ignorer, avec tant de complaisance ordinaire, que fort rares sont les amis parfaits, qu'imparfaits sont toujours nos amis même les plus chers, bien qu'une âme élevée en recherche toujours de meilleurs.

P.-S. : Je sais bien que la quatrième de couverture indique que There Will Be Blood, le film de Paul Thomas Anderson, est une adaptation de ce roman, mais je veux préciser que, dans cette adaptation, c'est à peine si on y retrouve la moindre substance du livre. J'ai regardé ce film peu après sa sortie en 2008, et je viens de relire son synopsis : le lecteur serait bien déçu s'il croyait qu'il s'y trouve plus que de vagues correspondances avec l'oeuvre de Sinclair. Ce fut sans doute, de la part du réalisateur, un prétexte à succès que de prétendre à l'extraction d'un récit aussi célèbre, et c'est, de la part de l'éditeur, un assez scabreux opportunisme que de préciser un tel rapprochement, le film ayant bien marché. Quant à cette oeuvre cinématographique, je n'en ai qu'un souvenir, après l'avoir acquise en DVD et revendue peu après : c'est qu'il s'agit d'une réalisation magnifiquement photographiée et jouée, mais aussi une de celles qu'on ne se sent de revoir qu'une fois tous les quinze ans, pour des raisons obscures qui tiennent à la faiblesse de la patience humaine et peut-être, aussi, à quelque petite autre chose impatientante inhérente au film lui-même.
Lien : http://henrywar.canalblog.com
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Adapté au cinéma par PT Anderson dans There will be blood qui en a évacué toute la dimension politique (pourtant très bien décrite), ce roman volumineux accroche par son aspect picaresque. Un magnat du pétrole prospecte des terrains en compagnie de son unique fils afin d'y dresser des derricks et d'y extraire le précieux minerai. Les terres désertiques ne semblent exister que pour le développement de cette industrie. Les fermiers pionniers les ont déjà substituées aux Mojaves et il n'est donc pas choquant qu'ils se fassent eux-même déposséder à leur tour de leurs biens par les compagnies pétrolières. L'histoire qui se fonde sur l'exploitation de la multitude par un petit groupe d'hommes et la transformation des espaces naturels en décor artificiel n'est pas nouvelle. Mais elle retire ici un attrait supplémentaire pour la touche d'authenticité, l'histoire étant racontée par un américain. Ce pays a inventé l'histoire moderne en poussant jusqu'à l'excès la logique capitaliste dans laquelle le principe fondamental de gain noie toute tentative de considération humaniste.
Est-il pour autant aussi facile d'en tirer profit? Pas sûr. Car il faut compter sur la dangereuse duplicité des hommes politiques corrompus, le soulèvement d'une conscience collective menant à un nouvel ordre social, et sur l'organisation émergente d'une classe laborieuse révolutionnaire qui compte bien mener la vie dure aux entrepreneurs.
Cette lutte prend corps ici à travers les deux héros : Papa , un capitaliste endurci, et Bunny son fils, un privilégié aux idées radicales à tendance gauchiste.
Les deux figures vont s'opposer sans qu'il n'y ait pour autant de conflit majeur. Et là réside la force de ce roman, qui est de ne jamais montrer d'impasse à l'amour mutuel et au respect filial. le père et le fils, dans une recherche permanente de conciliation, vont suivre leurs chemins respectifs en acceptant leurs différences.
Rien n'est évident donc dans un monde réaliste où les idéologies, aussi vertueuses soient elles, ne se montrent pas moins sauvages et violentes que les systèmes qu'elles ont l'intention de renverser (la scène d'émeute dans l'un des derniers chapitres est d'une brutalité spectaculaire). Un livre cathartique qui prône la tolérance comme un étendard inaltérable, dépassant par là même les limites de la finitude des choses (les séances de spiritismes en sont l'illustration).



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Ecrit en 927, ce livre est furieusement moderne. Il raconte le développement de l'industrie pétrolière au début du 20ème siècle aux Etats Unis. Il décrit finement l'essor du capitalisme et de ses ravages pour la classe ouvrière. le communisme et le socialisme se heurtent aux espérances individuelles.
C'est un roman politique et économique, passionnant quand bien même le héros semble un peu pâle: héritier malgré lui mais sans idéaux affirmés non plus. Un entre-deux qui ne lui permet pas de progresser.
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J'étais parti pour mettre 3 étoiles, mais la dernière partie, que j'ai lue plus avidement que les autres, m'a convaincu d'en cocher une quatrième.
Il est vrai que j'ai trouvé la première centaine de pages un peu longuette, avec ces descriptions détaillées à la fois du fonctionnement des puits de pétrole et des négociations monétaires entre les protagonistes. Un peu barbant...
Évidemment, qui dit Pétrole ! dit Monnaie !, mais bon... Passé ce cap, je trouve qu'on se prend au jeu de savoir quelle tournure prendra l'existence de Bunny, le personnage central du roman né avec une cuillère en argent dans le bec : persistera-t-il dans ses velléités idéalistes ou retrouvera-t-il le "droit chemin" de la quête du profit à satiété ? D'avoir lu le pedigree politique de l'auteur au préalable m'aurait peut-être mis sur la voie, tant la réponse m'a parue évidente après coup, mais au moins le suspense m'aura tenu en haleine jusqu'au bout...
Un autre indice qui vous mettra sans doute sur la voie : l'insistance avec laquelle Upton Sinclair donne la voix aux "rois du pétrole" pour justifier leur voracité et légitimer leurs actes... et par là même poser les bases du monde dans lequel nous vivons plus que jamais, un siècle plus tard, une "américanisation de l'Europe qui rembourse ce qu'elle doit", dit-il pratiquement en ces termes. Comme quoi, le monde change moins vite que ce qu'il nous semble généralement...
Un bémol pour ma part : le personnage de Bunny et ses relations avec son milieu, et particulièrement son père, sont trop peu vraisemblables à mon goût. Même si je comprends bien que cette histoire n'est qu'un prétexte...


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Un titre qui pourrait ne pas donner envie de lire ce pavé : Pétrole ! 700 pages sur le monde des exploitations pétrolières dans les années 20 aux Etats Unis. Un roman américain édité en 1926. C'est Bunny , le jeune fils de J Arnold Ross, qui va nous raconter sa vie. Dans les premières pages, nous sommes au bord d'un bolide sur les routes californiennes, avec le père et son jeune fils. Ils foncent vers des terrains que le père va acheter pour faire des recherches de pétrole. Il veut que son jeune fils apprenne le métier pour prendre ensuite les rénes des affaires. Ce père qui était muletier, a maintenant une entreprise d'exploitations de puits de pétrole et fait partie des plus gros patrons de l'industrie pétrolière .
Des pages va nous décrire ce monde, les façons de chercher, d'exploiter. Puis, il y a aussi des moments de vacance où les deux vont à la chasse des cailles. Un jour, pendant un moment de chasse, le fils va découvrir une source de pétrole. le père est un peu sceptique mais va décider d'acheter alors ces terrains pour son fils. Mais il y a des familles de paysans sur ces terrains. C'est ainsi qu'ils vont connaître la famille Watkins. Et en particulier, Paul, qui a fui la famille mais reste un peu en contact avec sa soeur Ruth. Et qui va rester pendant des années un "ami" de Bunny. Paul va devenir un militant ouvrier socialiste et même communiste. Il y a aussi Eli, le frère de Paul qui va créer une église.
Ce roman est foisonnant et va nous parler de la société américaine des années 20 : des sociétés pétrolières (recherche de terrains, achat de ces terrains, forage, exploitation, consortiums, implication dans le monde politique..), le monde des universités (lors des études de Bunny), le monde des soirées, de l'industrie du cinéma, des nouvelles églises, du monde militant.
Ce livre est très romanesque et on ne lâche pas ce texte pour suivre les questionnements de ce jeune Bunny : va t il prendre la succession de son père et intégrer ce monde de l'industrie pétrolière, va t il plutôt aider avec les dollars de son père, le milieu militant, socialiste, va t il vivre avec cette actrice montante de l'industrie du cinéma.
Nous sommes dans les champs de forage du pétrole, du côté des patrons (réunions, achats d'hommes politiques), nous sommes aussi avec les ouvriers, qui se mettent en grève pour obtenir de meilleurs conditions de travail, nous sommes dans les soirées mondaines, sur les greens des golfs, dans les belles villas châteaux des nouveaux riches, dans les avant premières des films de l'usine du rêve, le monde montant de la radio et des diffusions d'émissions qui envahissent les foyers américains.
Un sacré roman américain, qui à travers ce personnage touchant de Bunny l'évolution de la société américaines dans les années 20, que ce soit l'industrie, la vie politique, militante...

Un petit bémol pour la traduction qui m'a posé des questions pendant la lecture (coquilles ou traduction approximative).
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Très surprenant! Je ne m'attendais pas du tout à un livre "politique". le personnage de "papa" est très intéressant. A découvrir.
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Pétrole ! est un des rares livres où je n'ai pas réussi à me faire un avis clair une fois la dernière page tournée. Première certitude, j'ai préféré La Jungle, du même auteur, plus prenant et plus halletant.
Mais ce roman, n'est pas dénué d'intérêt, bien au contraire. Dans Pétrole !, Sinclair prend le temps d'installer ses personnages, et leur fourni une complexité rare. Mention spécial à Papa, dont on comprend, dès les premières pages, que derrière ce magnat du pétrole, qui n'a pas peur de se salir les mains pour réussir, se cache "un bon type" qui essaie de faire du mieux qu'il peut. Il aurait été plus facile de choisir un rapace qu'on aurait pris plaisir à détester. Mais Sinclair n'a pas opté pour la facilité et le pari est réussi.
Puis, il y a Bunny. le fils, dont le tiraillement entre son milieu, son père, et ses idéaux socialistes, au sens large du terme, vont constituer le socle de ce roman fleuve de presque 1000 pages. Parfois agaçant, on ne peut cependant que compatir aux conflits de loyauté qui ne cessent de l'animer, tout en s'interrogeant sur la manière dont il va pouvoir finir par concilier, ou pas, ses sentiments avec ses aspirations politiques.
Ce livre dépeint également particulièrement bien une époque, celle de la ruée vers l'or noir, avec ses (basses) méthodes, et dans un contexte de montée du communisme. Tout parait alors possible à ces ouvriers qui doivent affronter une répression qu'on n'imaginait pas plusieurs décennies avant la Guerre froide.
Un grand roman, certainement. Mais avec un petit quelque chose qui manque, sans que je n'arrive bien à définir quoi. Peut-être que, tout simplement, j'en avais des attentes trop grandes après la gifle que m'avait infligé La Jungle.
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