On fait la connaissance de la famille Inn en 1971, à Phnom Penh, alors que le Cambodge vacille, le prince Sihanouk ayant pris la fuite avec sa maîtresse, laissant le pays dans les mains d'un dictateur, soutenu par les Américains, le général Lon Nol complétement dérangé intellectuellement.
« En 1971, Saravouth a onze ans. Sa petite soeur Dara en a neuf. Leur mère, Phusati, enseigne la littérature au lycée
René-Descartes. Leur père, Vichéa, travaille à la chambre d'agriculture. »
La vie, ou plutôt la survie (tout le monde surveille tout le monde) s'organise et très vite Saravouth imagine dans sa tête un lieu pour se réfugier, qu'il appelle le Royaume intérieur, peuplé de toutes les histoires, tous les livres que sa mère lui a lu depuis l'âge de cinq ans.
« Après dix mois de travaux, il décida d'intituler son oeuvre le Royaume Intérieur. Aussitôt, il lui sembla qu'il fallait également donner un nom au monde où vivaient ses parents, Dara et les autres êtres humains. Ce serait L'Empire Extérieur. »
L'arrestation de Bopha et Reth, des proches de la famille arrêtés en pleine messe, (célébrée par le père Michel, qui essaie de s'interposer) par « l'homme au complet bleu », aux ordres de Lon Nol. Personne n'a osé bouger, pas d'héroïsme à la
Peter Pan.
Dara cesse alors de se réfugier dans le Royaume intérieur et devient rebelle. Phusati ne récite plus de poésie, Vichéa pense qu'il faut partir, mais il n'a pas assez d'argent, et la mère de Phusati refuse de lui en prêter, sous prétexte qu'il n'y a pas de danger. Pourtant les sbires du dictateur, notamment Chamroun, le tiennent en ligne de mire, guettant le moindre faux-pas.
Dara frappe un de ses camarades, à l'école où enseigne sa mère et refuse de s'excuser, les collègues en la soutiennent pas. Dara se renferme de plus en plus. Un jour la cuisinière disparaît, et lorsqu'on frappe à la porte, Phusati ne se méfie pas et ouvre : c'est l'homme au complet bleu avec « des policiers ». Il intime à la famille Inn de le suivre, prétendant les sauver.
Phusati ne le croit pas mais Vichéa tente de faire confiance, ils sont ainsi embarqués et exécutés en pleine forêt. Saravouth a pris une balle dans la tête, et perd toute notion du temps. Il se « réveille » dans une hutte, où une vieille femme, Iaï, prend soin de lui, dans des conditions hygiène limites, avec des préparations pour aider la blessure au-dessus de son oreille droite à se refermer.
Il compte les jours pour tenter de reprendre pied. Il compte en pensant à Pénélope et sa tapisserie, mais aucun son ne sort de sa bouche. Son Royaume intérieur a été abimé, donc il est difficile de s'y raccrocher. Il veut ses parents, entendre le bruit de la clé dans la serrure quand son père rentre du travail, ou les
poèmes de
René Char que sa mère lui récitait.
Dorénavant, il va les rechercher sans cesse, dans le charnier où Iaï l'a trouvé, quand il peut enfin marcher, puis plus tard, quand il sera à l'orphelinat du père Michel et de
Frère Bruno. Il explorera ainsi la ville où il est né, l'appartement de ses parents, noircissant des cartes de la ville…
Mais la guerre est là, les communistes se rapprochent, les partisans du dictateur éliminent tous les gens qui ne lui plaisent pas : les Vietnamiens installés au Cambodge depuis longtemps, puis les catholiques, les ex partisans du roi … Il est soutenu par les USA, comme de bien entendu, Nixon les arme pour en finir avec les communistes, forcément sous l'influence de la Chine…
Ce roman est un uppercut : Saravouth a à peine dix ans quand la guerre commence, et on va le suivre pendant environ cinq ans dans son pays en guerre. Pour survivre, il s'est construit un Royaume intérieur, inspiré de tous les livres que sa mère lui a lu, de
Peter Pan à Ulysse, il y construit des palais, crée des forêts, des paysages, remplis d'arbres et de plantes aux noms qui font rêver (je suis nulle en botanique, alors je ne vais m'aventurer dans les descriptions…) il peut ainsi tenter de s'échapper de tout ce qui se passe autour, dans ce qu'il appelle l'Empire extérieur.
Guillaume Sire décrit très bien, les étapes qui feront du petit garçon un adulte trop tôt, le déni de la mort de ses parents et de sa soeur qui l'aide à survivre, la difficulté à faire confiance en temps de guerre, où tout le monde dénonce tout le monde, ou l'armée cambodgienne revend aux communistes les armes offertes par Nixon…
Il évoque, sans mettre de nom, ce qu'on appelle aujourd'hui le syndrome de stress post traumatique, et la douleur du survivant.
Une scène touchante : Saravouth, lorsqu'il marche pendant des jours, à la recherche de ses parents, se retrouve dans une barque sur le Mékong, alors que cela tire de tous les côtés, que les autres passagers s'affalent les uns après les autres, et qu'il est lui-même blessé, essaie de prier, de se rappeler les paroles du Notre Père…
On retrouve les génocides qui se répètent comme au bon vieux temps de la seconde guerre mondiale ; certes on connaît celui perpétré par les Khmers rouges, mais les Cambodgiens entre eux, ce n'était pas mieux.
J'ai lu peu de romans sur cette guerre tragique, sur les Khmers rouges, sur toutes les guerres en Asie (la guerre de Corée, non plus) donc la capacité de résilience de ce gamin m'a donné envie de m'y intéresser davantage.
L'écriture de
Guillaume Sire est belle, alors qu'elle aurait pu être chirurgicale, vue l'a violence qui règne en permanence, un peu adoucie par le dévouement des deux prêtres, la camaraderie entre « les orphelins ».
L'auteur rend hommage à la littérature,
Homère,
James Matthew Barrie,
René Char, avec de jolies phrases pleines de poésie, sur les mots qui sont reliés entre eux par des « ficelles » qu'il faut attraper…
Un immense merci, encore une fois, à NetGalley et aux éditions Calmann-Levy (que j'apprécie beaucoup) qui m'ont permis de découvrir ce roman et son auteur.
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