AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
3,98

sur 23 notes
5
4 avis
4
2 avis
3
2 avis
2
0 avis
1
0 avis

Critiques filtrées sur 5 étoiles  
Tolstoï ou Dostoïevski, s'interroge George Steiner qui se garde bien de trancher et parcourt leurs oeuvres en révélant au lecteur un inestimable trésor littéraire.

Évoquant le contexte dans lequel les deux génies russes se sont épanouis dans la seconde moitié du XIX siècle l'essayiste décrit la transition opérée par la littérature en passant du vers à la prose, du théâtre au salon, du spectacle public à la lecture individuelle. Transition d'une civilisation chrétienne à une société laïque. Transition vécue par certains romanciers en des royaumes bordés de frontières naturelles (Espagne, France, Italie, Royaume Uni) et par les américains et russes en des empires immenses et infinis. Bouleversement d'un continent ravagé par la Révolution française et les guerres impériales. Contexte qui imprègne les livres De Balzac, Flaubert, Zola et les distingue de celles de Dostoïevski, Melville ou Tolstoï.

Pour l'analyste les deux écrivains russes surpassent nos romanciers englués dans un réalisme dont l'aboutissement ultime est le journalisme. Pour un romancier européen, les grandes catastrophes sont des catastrophes privées. Pour la dyarchie russe les cataclysmes s'en prennent à la société toute entière. Comme on le voit ces cinquante première pages portent bien au delà de nos deux russes et sont une étude pénétrante de l'art romanesque qui pourrait être lue indépendamment de la suite.

La deuxième partie, consacrée à Tolstoï, montre le caractère épique de son art, comparable à celui d'Homère et de sa poésie, mais rappelle que Flaubert et Madame Bovary inspirèrent « Anna Karénine » Tolstoï, aristocrate terrien, aimait la nature, délaissait les villes, vivait parmi ses paysans une existence plus proche de celles des contemporains d'Homère que de la notre. Sceptique et marqué par Rousseau, il croit que « tant qu'il y a de la vie, il y a bonheur ». Ses épopées créent des intrigues multiples ralenties par de nombreuses évocations de faits antérieurs et s'achèvent souvent sans conclusion laissant le lecteur libre d'imaginer le dénouement. Tolstoï encense Homère mais critique Shakespeare et lui reproche « un manque de naturel » dans l'expression des personnages qui augure de sa détestation de Dostoïevski.

Dostoïevski, hanté par le théâtre de Shakespeare et Schiller, crée des romans tragiques, vifs, souvent inspirés par des faits divers autobiographiques ou révélés par la presse, orchestrés selon les règles du roman populaire, voire gothique. Ses drames sont courts et respectent l'unité action. La richesse et le naturel des dialogues manifestent le génie du romancier et hissent ses romans sur des sommets indépassables.

La quatrième partie, d'une haute portée philosophique, compare les croyances des deux géants, confronte le panthéon et la métaphysique de Tolstoï à la religion de Dostoïevski, et poursuit la réflexion en analysant comment le régime soviétique, au fil de ses évolutions, s'est approprié, ou non, l'un puis l'autre de ces écrivains. La vérité (la raison, la nature) est au centre de la doctrine de Tolstoï. le Christ domine Dostoïevski. Celui ci se veut l'homme de Dieu, celui là s'affirme comme Son rival.

Deux oeuvres aux ressorts bien différents, deux écrivains opposés par leurs naissances et leurs destinées, dessinent deux modèles, deux types d'âme parmi les hommes. Mais le lecteur pourrait fort bien trouver son équilibre en s'appuyant tantôt sur l'un tantôt sur l'autre, me semble-t-il.

Pour conclure, je tiens d'abord à remercier Les Belles Lettres de m'avoir adressé cet essai, accompagné d'un marque-pages délicatement dédicacé, à l'occasion d'une Masse Critique Babelio, puis à souligner l'intérêt exceptionnel de ces pages qui par delà deux géants russes, sont une apologie de l'art romanesque et de la culture occidentale. Cet essai demande de l'attention, du temps, de l'effort, mais le lecteur sort grandi de cette confrontation d'idées avec George Steiner, un géant à l'immense culture doté d'un indéniable talent pédagogique qui donne envie de lire et relire les oeuvres analysées.
Commenter  J’apprécie          8210
George Steiner pose le principe : selon que nous aimerions Tolstoï ou que nous préférerions Dostoievski, nous serions des lecteurs différents.

Voici une somme à la fois savante et très facile à lire, car truffée d'anecdotes, sur ces deux grands maîtres de la littérature, de la littérature russe en général, mais le tout remis dans le contexte de la littérature du 19e siècle européenne et nord-américaine. Et c'est drôlement intéressant.

J'aime Dostoievski et j'ai été surprise au sortir du livre des thèses, pourtant logiques, développées par cet auteur.

Je ne dirai pas comme d'autres lecteurs que George Steiner ne montre aucune préférence. J'ai personnellement senti une attirance plus grande pour l'oeuvre de Léon Tolstoï. Mais cela n'a aucune importance.

Je recommande vivement à ceux qui ont lu ces deux auteurs, même si l'un davantage que l'autre. Vous ne serez pas déçus.
Commenter  J’apprécie          224
Le choc des titans.

Peut-on définir une personne selon le choix qu'elle ferait entre deux maîtres de la littérature mondiale : Tolstoï et Dostoïevski ?

Voilà une question qui mérite un livre.

Pour être plus précise, une étude de Georges Steiner, professeur de littérature comparée.

Pour autant, pas de jugement de valeur à attendre. Pas de cases à cocher à l'image des tests des magazines pour vous révéler votre psyché.

Il s'agit plutôt d'une analyse approfondie de l'oeuvre de ces deux auteurs, ce qui les rassemble comme ce qui les oppose.

D'un côté, nous avons donc Tolstoï, le chantre de la vie rurale, auteurs de fresques historiques telles Guerre et Paix ou Anna Karénine. le moralisateur, spécialiste des intrigues multiples au souffle épique.

De l'autre côté, Dostoïevski, l'auteur des villes, spécialiste de l'action resserrée aux ressorts dramatiques.
L'auteur qui cherchait son inspiration dès la rubrique faits divers des journaux russes et sondait les mystères de l'âme.

Unis dans l'appréciation qui est faite de leurs oeuvres, en témoigne leur présence, côté à côté, eux qui ne se sont jamais rencontrés, sur la liste des monuments de la littérature mondiale.

Cette étude, présupposant une connaissance des principaux romans des deux auteurs, est très dense et exigeante. Mais quelle récompense ! Elle permet de mieux comprendre les romans et leurs auteurs, donnant des clefs de lectures pour mieux apprécier et analyser leurs travaux.

Une oeuvre passionnante et indispensable pour tous ceux qui aiment ces écrivains.
Commenter  J’apprécie          150
Georges Steiner s'est éteint chez lui à Cambridge (Royaume uni), il avait 90 ans. Quelle immense malheur pour la littérature que cette perte. On n'entendra plus cet érudit discourir sur Tolstoï, Shakespeare, Dostoïevski, Heidegger. Aragon .. avec ce talent incomparable et cette lucidité extraordinaire.
. Je n'oublierai jamais cette éloquence qu'il avait quand il parlait si bien des géants de la littérature. Pour en parler si bien, il a su se hisser à leur niveau comme critique, comme philosophe, comme professeur, comme écrivain, apprendre leur langue, lire la totalité de leur oeuvre, travail de titan, voir transversalement les choses pour en extraire le meilleur et découvrir des aspects insoupçonnés. Quand cet esprit supérieur comparait, c'était sa spécialité, il ne comparait pas, il avait trop de respect pour eux, il confrontait ; il s'arrangeait toujours de manière dynamique pour cultiver la différence. Des générations d'étudiants s'en souviendront. Son Tolstoï ou Dostoïevski , je le place très haut dans ma bibliothèque, sans monter à l'échelle.
("Notre maladie héréditaire, c'est d'être juste envers ce qui est grand dans le monde de l'esprit")
Commenter  J’apprécie          93


Lecteurs (86) Voir plus



Quiz Voir plus

La littérature russe

Lequel de ses écrivains est mort lors d'un duel ?

Tolstoï
Pouchkine
Dostoïevski

10 questions
437 lecteurs ont répondu
Thèmes : littérature russeCréer un quiz sur ce livre

{* *}