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Michel R. de Pauw (Traducteur)
EAN : 9782070328536
288 pages
Gallimard (04/10/1994)
3.96/5   25 notes
Résumé :
Où peut-on trouver le sens des arts ou de la littérature lorsque les oeuvres authentiques s'effacent au profit de l'ère des commentaires journalistico-universitaires ? L'art contemporain, comme l'humanisme moderne, ont échoué car ils manquaient tous deux de transcendance. Le rap masque toutes les voix pour laisser place à un son inhumain ; les livres broient du déjà-vu ou du déjà-lu... Le non-sens est le lot de notre temps. A moins de reconnaître dans les arts le s... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (3) Ajouter une critique
Dans un style précis soutenu par une argumentation solide, Steiner fait ici le constat de la nécessité d'un horizon transcendant sur lequel fonder toute rencontre avec une oeuvre d'art. Il attaque de plein fouet les approches centrées sur la déconstruction des langages, les trop nombreuses mises en contexte sociologique qui souvent ne nous renseignent que très peu sur la portée véritable d'une oeuvre et encore moins sur l'expérience qu'elle suscite. Il déplore également la navrante séparation entre l'éthique et l'esthétique. Steiner tente de restaurer une vision où l'oeuvre se déploie dans un espace qui permet de créer du sens.
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Nommer le monde

Réelles présences” de George Steiner est un ardent témoignage, une volonté de croire et de dire que tout n'est pas perdu.
C'est un chant pour que vive le Verbe, cet outil précieux et imparfait de “l'animal parlant” que nous sommes.

Est-il encore possible, dans le temps où nous vivons, de nommer le monde ?
C'est in fine la question essentielle que pose George Steiner dans cet essai admirable.
Il n'est pas aisé de parler d'un livre aux ramifications aussi profondes.
Je vais quand même tenter d'en restituer une lecture possible.

Ce qui est lucide, au sens plein de ce mot, peut nous aveugler. La lumière éclaire tout autant qu'elle obscurcit. Mais la cécité ne peut s'emparer de nous qu'à partir du moment où nous lâchons les rênes de la pensée.
C'est pourquoi l'oeil de l'esprit a plus que jamais besoin d'être sollicité.

La réflexion que Steiner développe dans son essai est brillante et hautement salutaire. Elle peut nous aider à faire face au travail de sape – fort intéressant et cependant bien dangereux –, que manient les déconstructionnistes ludiques en tous genres, ces homo ludens, “hommes du jeu” qui jouent sans le savoir avec le feu.
Certes, on ne brûle pas le sens aussi facilement que du papier. Mais il s'agit d'être prudent.
Le langage est le dépositaire même du sens, son gardien. Veillons à ne pas le négliger.

On a fait subir aux mots, une atroce saignée. Et ils gisent, à demi exsangues.
Mais ils ne sont pas morts pour autant. Et il importe à chacun de leur donner sens, de leur insuffler de la vie, de perpétuer leur élan sémantique, séminal.
C'est à un rétablissement souhaité du sens du signe ou plutôt du « sens du sens » que plaide George Steiner.

Ce dernier explique avec beaucoup d'acuité que depuis Mallarmé et Rimbaud, nous sommes entrés dans ce qu'il nomme l'ère de l'Épilogue ou de l'« Après-Mot » : le moment où le mot est entré en rupture avec le monde et où celui-ci n'est plus considéré par les linguistes que comme un signe purement abstrait, une coquille creuse ne faisant pour ainsi dire référence qu'à lui-même. 

Notre époque a totalement rompu avec la vision adamique du Logos censé définir les êtres et les choses de notre monde. le fil d'Ariane a été tranché. Et nous avançons dans le noir labyrinthe, en quête d'une transcendance perdue.
C'est ce que Léon Bloy proclamait déjà avec force, en son temps : « Nous crevons de la nostalgie de l'Être. »

Les astres ont une musique particulière. le soleil, par exemple, résonne en Sol dièse ainsi que l'ont dit très récemment Sylvie Vauclair et Claude-Samuel Lévine, une astrophysicienne et un musicien, lors d'une émission radiophonique diffusée sur France Culture.

Et George Steiner ne cesse, à juste titre, de rattacher l'Homme au Cosmos.
Il existe pour lui, un lien très étroit entre l'Homme et la musique, un noeud quasi ontologique, une sorte de cordon ombilical comme une partition charnelle tissée de notes.
Pour l'auteur de “Dans le château de Barbe-Bleue”, poser la question : « Qu'est-ce que la musique ? » reviendrait aussi à en poser une autre, à savoir : « Qu'est-ce que l'Homme ? ».


L'Homme est, dans l'une de ses acceptions, défini comme “l'être doué du langage”. Or, la musique peut très bien se passer du langage. En cela elle le dépasse, elle le précède.
D'ailleurs, selon George Steiner, on ne peut rien dire de précis sur la musique : cet art sensible compte sans nul doute parmi les plus mystérieux qui nous soient donnés et il est, de tous les arts, le plus dénué de référent humain.
De ce fait les musicologues, quelques brillantes que soient leurs gloses à propos d'une oeuvre musicale, n'ajouteraient en fin de compte que de la poussière en tentant d'expliciter de manière intelligible ce qu'est l'ineffable de la musique.

L'opération en reviendrait à vouloir, par le truchement d'un bistouri, ouvrir la poitrine d'un homme en pensant y trouver son âme sous une forme palpable.

George Steiner se définit lui-même, avec un regard pénétrant et humble, comme un “facteur” de la pensée.
Le miracle a parfois lieu et les lettres parviennent à leurs destinataires, tandis que d'autres se perdent en route.
En ce qui me concerne, “Réelles présences” s'est imposé à moi comme une lettre vitale – de celles que l'on reçoit rarement et qui nous bouleversent en profondeur.
Les mots que j'y ai lu ont lavé mon regard, ont enrichi ma conscience.
Cet appel à l'Être résonne en moi comme une voie d'incarnation.
Au fond, le langage c'est la voix et le corps même de l'absence – de l'absence qui accède à la présence.
Sans les mots, nous serions seuls au monde, totalement retranchés de lui.
Et mettre ce véhicule verbal en mouvement, c'est redonner de l'ampleur et de la densité à tout ce qui nous entoure – afin d'invoquer la présence, les "réelles présences".

Les mots sont le sang de l'Être.
Et il ne sera pas dit que nous laisserons dépenser ce sang en vain.

Thibault Marconnet
18/01/2014
Lien : http://le-semaphore.blogspot..
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C'est toujours un bonheur de lire Steiner , par la clarté de la langue, par l'étendue de l'érudition ,par la profondeur de la réflexion , il amène son lecteur à se sentir plus intelligent (pour un instant , hélas, pour un instant seulement ).Cet ouvrage consacré à notre rapport à l'oeuvre d'art (littérature, musique, peinture..) met en question la tendance moderne à faire d'une oeuvre un simple miroir de qui en use alors qu'il soutient le fait que l'oeuvre artistique est avant tout la rencontre avec cet autre qu'est l'artiste et le monde , son monde , auquel il nous donne accès.
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Citations et extraits (18) Voir plus Ajouter une citation
La mémorisation assure la sauvegarde du noyau de l'individualité. Ce qui est gravé dans la mémoire - et donc susceptible d'être remémoré - garantit la stabilité du moi. Les pressions exorbitantes de la politique, le détergent que produit la conformité sociale, ne peuvent pas le faire disparaitre. Dans la solitude, publique ou privée, le poème remémoré, la partition jouée à l'intérieur de soi, sont les gardiens qui nous permettent de nous ressouvenir de ce qui résiste, de ce qui doit demeurer inviolé dans notre psyché. (p.29)
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Les lectures , les interprétations et les jugements critiques sur l'art, la littérature et la musique qui proviennent de l'intérieur même de l'art, de la littérature et de la musique , ont une autorité dont la pénétration est rarement égalée par ceux qui viennent du dehors,par ceux qui viennent du non-créateur, c'est à dire du critique , du journaliste ou de l'universitaire.
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Plus précisément : parmi les instruments de l'évolution qui servent à la survie, c'est la capacité de conjuguer les verbes au futur – quand, comment la psyché a-t-elle acquis ce pouvoir à la fois monstrueux et libérateur ? – que je considère comme le plus important. Sans elle, les hommes, les femmes ne seraient rien de plus que ces "pierres qui tombent" dont parle Spinoza.
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Le texte, la structure musicale, le tableau ou la forme, remplissent, en un sens - littéralement ou presque - spatial, des attentes, des besoins dont nous ne savions rien. Nous attendions ce dont nous aurions très bien pu ignorer l'existence, et les richesses que nous pouvions en tirer. Le choc de la correspondance - il peut être étouffé et ne se produire que par degrés imperceptibles - est de l'ordre de la possession : on est possédés par ce que l'on possède. (p.216)
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Qu'il soit réaliste, fantastique, utopique ou satirique, l'univers que construit l'artiste s'affirme contre le monde tel qu'il est. Les moyens esthétiques représentent des interactions concentrées, sélectives entre les contraintes du monde observé et les possibilités sans borne de l'imagination. Un combinaison aussi intense d'observation et de spéculation est - toujours - une critique. Elle proclame que les choses peuvent être (ont été, seront) différentes. (p.31)
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Videos de George Steiner (21) Voir plusAjouter une vidéo
Vidéo de George Steiner
Nous venons de publier un recueil d'entretiens entre George Steiner et Nuccio Ordine, intitulé //George Steiner. L'Hôte importun//. Il est précédé par un beau texte en témoignage à Steiner, écrit par celui qui fut un de ses plus proches amis, Nuccio Ordine.
Pour en savoir plus : https://www.lesbelleslettres.com/livre/9782251453163/george-steiner-l-hote-importun
***
Ce livre est le témoignage de la profonde amitié personnelle et intellectuelle qui a lié George Steiner et Nuccio Ordine. L'amour des classiques, la passion de l'enseignement, la défense du rôle du maître, la fonction essentielle de la littérature qui rend l'humanité plus humaine constituent les thèmes d'un intense dialogue, nourri de plus de quinze années de rencontres et de voyages dans diverses villes européennes. Ordine trace un portrait original de George Steiner, en le peignant sous les traits d'un « hôte importun ».
+ Lire la suite
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