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Tolstoï ou Dostoïevski, s'interroge George Steiner qui se garde bien de trancher et parcourt leurs oeuvres en révélant au lecteur un inestimable trésor littéraire.

Évoquant le contexte dans lequel les deux génies russes se sont épanouis dans la seconde moitié du XIX siècle l'essayiste décrit la transition opérée par la littérature en passant du vers à la prose, du théâtre au salon, du spectacle public à la lecture individuelle. Transition d'une civilisation chrétienne à une société laïque. Transition vécue par certains romanciers en des royaumes bordés de frontières naturelles (Espagne, France, Italie, Royaume Uni) et par les américains et russes en des empires immenses et infinis. Bouleversement d'un continent ravagé par la Révolution française et les guerres impériales. Contexte qui imprègne les livres De Balzac, Flaubert, Zola et les distingue de celles de Dostoïevski, Melville ou Tolstoï.

Pour l'analyste les deux écrivains russes surpassent nos romanciers englués dans un réalisme dont l'aboutissement ultime est le journalisme. Pour un romancier européen, les grandes catastrophes sont des catastrophes privées. Pour la dyarchie russe les cataclysmes s'en prennent à la société toute entière. Comme on le voit ces cinquante première pages portent bien au delà de nos deux russes et sont une étude pénétrante de l'art romanesque qui pourrait être lue indépendamment de la suite.

La deuxième partie, consacrée à Tolstoï, montre le caractère épique de son art, comparable à celui d'Homère et de sa poésie, mais rappelle que Flaubert et Madame Bovary inspirèrent « Anna Karénine » Tolstoï, aristocrate terrien, aimait la nature, délaissait les villes, vivait parmi ses paysans une existence plus proche de celles des contemporains d'Homère que de la notre. Sceptique et marqué par Rousseau, il croit que « tant qu'il y a de la vie, il y a bonheur ». Ses épopées créent des intrigues multiples ralenties par de nombreuses évocations de faits antérieurs et s'achèvent souvent sans conclusion laissant le lecteur libre d'imaginer le dénouement. Tolstoï encense Homère mais critique Shakespeare et lui reproche « un manque de naturel » dans l'expression des personnages qui augure de sa détestation de Dostoïevski.

Dostoïevski, hanté par le théâtre de Shakespeare et Schiller, crée des romans tragiques, vifs, souvent inspirés par des faits divers autobiographiques ou révélés par la presse, orchestrés selon les règles du roman populaire, voire gothique. Ses drames sont courts et respectent l'unité action. La richesse et le naturel des dialogues manifestent le génie du romancier et hissent ses romans sur des sommets indépassables.

La quatrième partie, d'une haute portée philosophique, compare les croyances des deux géants, confronte le panthéon et la métaphysique de Tolstoï à la religion de Dostoïevski, et poursuit la réflexion en analysant comment le régime soviétique, au fil de ses évolutions, s'est approprié, ou non, l'un puis l'autre de ces écrivains. La vérité (la raison, la nature) est au centre de la doctrine de Tolstoï. le Christ domine Dostoïevski. Celui ci se veut l'homme de Dieu, celui là s'affirme comme Son rival.

Deux oeuvres aux ressorts bien différents, deux écrivains opposés par leurs naissances et leurs destinées, dessinent deux modèles, deux types d'âme parmi les hommes. Mais le lecteur pourrait fort bien trouver son équilibre en s'appuyant tantôt sur l'un tantôt sur l'autre, me semble-t-il.

Pour conclure, je tiens d'abord à remercier Les Belles Lettres de m'avoir adressé cet essai, accompagné d'un marque-pages délicatement dédicacé, à l'occasion d'une Masse Critique Babelio, puis à souligner l'intérêt exceptionnel de ces pages qui par delà deux géants russes, sont une apologie de l'art romanesque et de la culture occidentale. Cet essai demande de l'attention, du temps, de l'effort, mais le lecteur sort grandi de cette confrontation d'idées avec George Steiner, un géant à l'immense culture doté d'un indéniable talent pédagogique qui donne envie de lire et relire les oeuvres analysées.
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J'ai commencé très tôt (trop tôt ?) à lire les écrivains russes, vers douze ans j'ai mis la main sur Anna Karénine et mon coeur s'est arrêté de battre.
Et puis plus tard j'ai lu Dostoïevski et les livres se sont enchainés.
Aujourd'hui je suis totalement incapable de trancher entrer ces deux monstres de la littérature mondiale, je les aime, peut être pour de mauvaises raisons mais qu'importe je ne pourrais pas supprimer leurs livres de ma bibliothèque ni savoir que je ne les relirai jamais.
Mais vrai bien sûr qu'ils sont aux antipodes l'un de l'autre ces deux géants.
Dominique Fernandez a tranché, lui c'est Tolstoï, et bien que George Steiner affirme « Chaque lecteur choisi l'un plutôt que l'autre » je n'ai jamais vraiment tranché.
Aussi tout naturellement ce livre m'a passionné car nous dit l'auteur il y a

« Trois très grands moments dans la littérature : le moment grec avec Homère, le moment Shakespearien et le moment russe ».

George Steiner fait donc ainsi l'analyse des romans des deux auteurs majeurs de la littérature russe. Il ne fait pas l'impasse sur les faiblesses de ces deux monstres de la littérature.
Surtout il replace leurs oeuvres dans l'histoire du roman, ainsi il nous fait voyager de Mme de la Fayette à Balzac, de la critique autour de Madame Bovary ou des romans de Stendhal. Des correspondances entres les géants du roman.
Pour Steiner c'est certain les russes sont les meilleurs
« Qu'il me soit donc permis d'affirmer mon inébranlable conviction que Tolstoï et Dostoïevski sont les plus grands des romanciers. Ils excellent dans l'ampleur de la vision et dans la forme d'exécution »

C'est passionnant de bout en bout, les comparaisons avec les autres grands du roman au XIX ème siècle, les particularités de chacun des romanciers, une analyse longue et complète du début d'Anna Karénine et une belle étude de l'Idiot, de celles qui vous donne immédiatement l'envie de rouvrir ces livres là.
Il les renvoie dos à dos : Tolstoï qu'il apparente à Homère et Dostoïevski qui trouve sa parenté chez les grands auteurs du théâtre tragique. Il voit en eux deux conceptions de la religion, l'un étant fasciné par le mal, l'autre persuadé que l'on peut réformer l'homme.

Une façon passionnante de comprendre le roman russe et de s'y replonger avec délectation


Lien : http://asautsetagambades.hau..
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George Steiner pose le principe : selon que nous aimerions Tolstoï ou que nous préférerions Dostoievski, nous serions des lecteurs différents.

Voici une somme à la fois savante et très facile à lire, car truffée d'anecdotes, sur ces deux grands maîtres de la littérature, de la littérature russe en général, mais le tout remis dans le contexte de la littérature du 19e siècle européenne et nord-américaine. Et c'est drôlement intéressant.

J'aime Dostoievski et j'ai été surprise au sortir du livre des thèses, pourtant logiques, développées par cet auteur.

Je ne dirai pas comme d'autres lecteurs que George Steiner ne montre aucune préférence. J'ai personnellement senti une attirance plus grande pour l'oeuvre de Léon Tolstoï. Mais cela n'a aucune importance.

Je recommande vivement à ceux qui ont lu ces deux auteurs, même si l'un davantage que l'autre. Vous ne serez pas déçus.
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Le choc des titans.

Peut-on définir une personne selon le choix qu'elle ferait entre deux maîtres de la littérature mondiale : Tolstoï et Dostoïevski ?

Voilà une question qui mérite un livre.

Pour être plus précise, une étude de Georges Steiner, professeur de littérature comparée.

Pour autant, pas de jugement de valeur à attendre. Pas de cases à cocher à l'image des tests des magazines pour vous révéler votre psyché.

Il s'agit plutôt d'une analyse approfondie de l'oeuvre de ces deux auteurs, ce qui les rassemble comme ce qui les oppose.

D'un côté, nous avons donc Tolstoï, le chantre de la vie rurale, auteurs de fresques historiques telles Guerre et Paix ou Anna Karénine. le moralisateur, spécialiste des intrigues multiples au souffle épique.

De l'autre côté, Dostoïevski, l'auteur des villes, spécialiste de l'action resserrée aux ressorts dramatiques.
L'auteur qui cherchait son inspiration dès la rubrique faits divers des journaux russes et sondait les mystères de l'âme.

Unis dans l'appréciation qui est faite de leurs oeuvres, en témoigne leur présence, côté à côté, eux qui ne se sont jamais rencontrés, sur la liste des monuments de la littérature mondiale.

Cette étude, présupposant une connaissance des principaux romans des deux auteurs, est très dense et exigeante. Mais quelle récompense ! Elle permet de mieux comprendre les romans et leurs auteurs, donnant des clefs de lectures pour mieux apprécier et analyser leurs travaux.

Une oeuvre passionnante et indispensable pour tous ceux qui aiment ces écrivains.
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George Steiner est un grand érudit Il a été critique littéraire et professeur de littérature à Genève; Il se définit comme "un maître à lire". Dans cet ouvrage il explore les univers de Tolstoï et de Dostoïevski, deux univers radicalement contrastés, deux interprétations du destin de l'homme, à tel point qu'on a pu dire qu'en demandant à un homme ou à une femme s'il préfère Tolstoï ou Dostoïevski, on peut connaître le secret de son coeur...
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Georges Steiner s'est éteint chez lui à Cambridge (Royaume uni), il avait 90 ans. Quelle immense malheur pour la littérature que cette perte. On n'entendra plus cet érudit discourir sur Tolstoï, Shakespeare, Dostoïevski, Heidegger. Aragon .. avec ce talent incomparable et cette lucidité extraordinaire.
. Je n'oublierai jamais cette éloquence qu'il avait quand il parlait si bien des géants de la littérature. Pour en parler si bien, il a su se hisser à leur niveau comme critique, comme philosophe, comme professeur, comme écrivain, apprendre leur langue, lire la totalité de leur oeuvre, travail de titan, voir transversalement les choses pour en extraire le meilleur et découvrir des aspects insoupçonnés. Quand cet esprit supérieur comparait, c'était sa spécialité, il ne comparait pas, il avait trop de respect pour eux, il confrontait ; il s'arrangeait toujours de manière dynamique pour cultiver la différence. Des générations d'étudiants s'en souviendront. Son Tolstoï ou Dostoïevski , je le place très haut dans ma bibliothèque, sans monter à l'échelle.
("Notre maladie héréditaire, c'est d'être juste envers ce qui est grand dans le monde de l'esprit")
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Dans cet essai que j'ai lu au début de mes études universitaires (j'étais dans une période de lectures russes) Steiner commence par affirmer la supériorité des deux auteurs sur leurs contemporains (ou presque) français , Balzac,Zola ,Flaubert (Je ne partage pas son avis sur ce dernier). Puis il compare point à point les deux géants (par l'oeuvre et par le génie) que d'après lui ,presque tout oppose . Lecture intéressante mais réservée à de bons connaisseurs des deux susnommés.
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« Demandez à un homme s'il préfère Tolstoï ou Dostoïevski et vous connaîtrez le secret de son coeur ». Cette phrase inspirée d'une réflexion du philosophe russe Berdiaev, George Steiner y a certainement pensé en donnant son titre à son essai. Mais au final, bien fort celui qui arrive à deviner lequel des deux à sa préférence après lecture de cet ouvrage.
Ce livre se détache donc complètement de réflexion de Berdaiev et présente les différences entre ces deux auteurs qui malgré leurs origines communes et respect mutuel ne se sont jamais rencontrés.
Le livre est découpé en 4 parties. La première explique l'importance de ces 2 auteurs dans la Littérature (du XIXème siècle ainsi que de façon globale). Je l'ai trouvé passionnante car elle a fait émerger des réflexions que je n'avais jamais réussi à verbaliser sur les courants littéraires américains, russes et européens du XIXème. Je vous laisse en découvrir les détails mais c'est très bien expliqué, même si je ne suis pas d'accord avec tout.
La seconde partie s'intéresse spécifiquement à Tolstoï et explique en quoi c'est un écrivain Homérique. A contrario, la troisième partie explique que Dostoïevski est un écrivain Shakespearien. D'ailleurs, Tolstoï détestait le dramaturge anglais (il lui reproche son artificialité) que Dostoïevski le vénérait.
La quatrième et dernière partie traite de leurs conceptions de la religion à travers ce qu'ils sont et à travers leur oeuvre.
Je ne développe pas trop les idées défendues par Steiner car je trouve dommage quand les chroniques d'essai ressemblent trop à une synthèse. Par contre, je préfère donner quelques recommandations aux futurs lecteurs. Ce n'est pas un livre pour découvrir la littérature de ces deux génies russes. Il faut très bien connaître leur bibliographie car Steiner cite beaucoup et je pense que cet essai a peu d'intérêt si on ne connaît pas au minimum les livres les plus fréquemment évoqués : « La Guerre et la Paix » et « Anna Karénine » pour Tolstoï et « L'Idiot », « Les frères Karamazov », « Les démons » (ou Les Possédés dans son ancienne traduction) et « Les carnets du sous-sol »pour Dostoïevski.
Ah oui au fait, pour répondre à la question du début je suis plutôt Dostoïevski.
Merci à Babelio et aux éditions « Les Belles Lettres » pour l'envoi de cet essai passionnant.
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