L'escale portugaise
L'escale fait sécher ses blancheurs aux terrasses
où le vent s'évertue,
Les maisons roses au soleil qui les enlace
Sentent l’algue et la rue.
Les femmes de la mer, des paniers de poissons
irisés sur 1a tête,
Exposent au soleil bruyant de la saison
La sous-marine fête.
Le feuillage strident a débordé le vert
Sous la crue de lumière,
Les roses prisonnières
Ont fait irruption par les grilles de fer.
Le plaisir matinal des boutiques ouvertes
Au maritime été
Et des fenêtres vertes
Qui se livrent au ciel, les volets écartés,
S'écoule vers la Place où stagnent les passants
Jusqu'à ce que soit ronde
L'ombre des orangers qui simule un cadran
Où le doux midi grogne.
L'escale brésilienne
Je sors de la sieste et j'entre en escale,
Ouvert le hublot, lanterne magique,
M'offrant des maisons basses, impudiques,
Surprises à nu au ras de la cale
Et qu'illustre haut dans le ciel à vif
Le galbe de trois palmiers décisifs.
Des hommes, des chiens, des huttes s'engendrent
Et de vrais bambous qui font bouger l'air,
Ma rétine happe un oiseau plus tendre
De survoler l’herbe au sortir des mers.
Et je vois tanguer doux, le paysage,
Entre les barreaux blancs du bastingage
Comme un autre oiseau que berce en sa cage
Le vent transparent.
Le navire remonte et plisse
L'eau que le rivage descend,
Mon âme requise en tous sens
S'écartèle avec délices.
Roches et palmiers, une île enfantine,
La bave marine
À la plage fait un mouvant collier.
Au centre du golfe rythmé
Par quatre barques orphelines
Flottent des couleurs impromptues
Qui l'une de l’autre s'enivrent,
Et que des rames équilibrent
Tandis que l’ancre à jeun mord la vase charnue.
Que m’importe…
Que m'importe le cirque odorant des montagnes,
La plaine au soleil aiguisé
Et la chèvre, sœur du rocher,
Et le chêne têtu qui dompte la campagne.
Je ne sais plus, nature, entendre ta prière,
Ni l'angoisse de l'horizon,
Et me voici parmi les arbres et les joncs
Sans mémoire et sans yeux comme l'eau des rivières.
Marseille, écoute-moi, je t'en prie, sois attentive,
Je voudrais te prendre dans un coin, te parler avec douceur,
Reste donc un peu tranquille que nous nous regardions un peu
O toi toujours en partance
Et qui ne peux t'en aller,
A cause de toutes ces ancres qui te mordillent sous la mer.
Extrait du poème "Marseille"
LA MONTAGNE PREND LA PAROLE
Et voilà mon silence dur fonçant sur le moindre bruit
qui ose.
Je souffre de ne pouvoir donner le repos sur mes flancs
difficiles
Où je ne puis offrir qu'une hospitalité accrochée,
Moi qui tends toujours vers la verticale
Et ne me nourris que de la sécheresse de l'azur.
Je vois les sapins qui s'efforcent, en pèlerinage immobile,
vers l'aridité de ma cime.
Plaines, vallons, herbages et vous forêts, ne m'en
veuillez pas de mes arêtes hautaines !
J'ai la plus grande avidité de la mer, la grande allongée
toujours mouvante que les nuages tentèrent de me
révéler.
Sans répit j'y dépêche mes plus sensibles sources, les
vivaces, les savoureuses !
Elles ne me sont jamais revenues.
J'espère encore.
Septembre 1920.
Jules SUPERVIELLE – Introduction à son œuvre (Conférence, 2017))
Une conférence d’Adeline Baldacchino, intitulée « Jules Supervielle - Cœur de vivant guetté par le danger », donnée le 4 février 2017 à l’Université Populaire de Caen.