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Tadasu est un petit garçon qui vouera toujours un amour sans borne à ses deux mamans. La première qui l'a mis au monde meurt d'éclampsie lors d'une seconde grossesse, Tadasu est âgé de cinq ans. Après la période de deuil, le papa de Tadasu se remarie et prie son fils d'aimer sa seconde mère comme la première ; très vite Tadasu confond les deux, son père et sa nouvelle épouse agissent dans ce sens. Au fil des ans, c'est une relation trouble qui s'établit entre Tadasu et sa "maman".
Très belle écriture de Junichirô Tanizaki sur le thème de la maternité et de l'image de la femme.

Challenge Petits plaisirs - 110 pages
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Jeune adulte, Tadasu se souvient avec des sentiments mêlés de son enfance à l'Ermitage des hérons, la maison familiale où il a grandi. Dans ce havre de paix, non loin de Kyoto, l'harmonie régne entre l'enfant, son père et sa mère. Mais celle-ci décède alors qu'il n'a que cinq ans. Après la période du deuil traditionnel, le père lui présente la femme qu'il souhaite épouser et qui sera sa nouvelle maman. C'est d'ailleurs ainsi qu'il est invité à l'appeler, tandis que le père la rebaptise Chinu, du nom de sa première femme. Très vite, la deuxième épouse adopte le comportement de la disparue. Elle joue du koto, trempe ses pieds dans l'étang, cite les poètes, considère Tadasu comme son fils, au point de le laisser téter ses seins le soir au coucher. Encouragée par le père, la complicité entre l'enfant et sa belle-mère est telle qu'il ne peut plus, dans ses souvenirs, différencier celle qui l'a mis au monde de celle qui l'a remplacée. le seul écueil dans cette belle sérénité familiale a lieu lorsque Chinu tombe enceinte. Tadasu est le seul à se réjouir de cette grossesse dont ses parents évitent de parler. Et, peu après la naissance de Takeshi, celui-ci est placé à la campagne dans une famille adoptive. Même si Tadasu interprète cette décision comme la preuve de l'attachement inconditionnel de ses parents à sa seule personne, il aimerait que son frère revienne dans son vrai foyer mais n'ose s'opposer à leur volonté. D'autant que les forces de son père déclinent. L'homme va mourir mais pour partir en paix il obtient de son fils la promesse que celui-ci épouse la femme qu'il lui a choisie et que le couple s'occupe exclusivement du bien-être de Chinu. Tadasu obéit volontiers même s'il découvre qu'autour d'eux, on jase. La rumeur parle d'inceste...

Dans cette nouvelle, brève mais si profonde, Junichirô TANAZAKI joue avec l'ambiguïté de situations a priori naturelles et paisibles mais qui recèlent une part latente de non-dits. Quand un père offre à son fils une nouvelle mère, quand celle-ci adopte les mots, les postures et les gestes de celle qu'elle remplace, le fils alors ne fait plus le distingo entre les deux femmes. Avec la candeur de l'enfance, il se prête au jeu initié par le père mais, sans lien du sang, l'amour maternel devient désir. Les gestes les plus innocents peuvent être tendancieux...Le sujet est délicat mais TANAZAKI ne tombe pas dans le piège de la lourdeur. Toute sa poésie est mise au service d'une histoire où ce qui n'est pas dit est tout aussi important que ce qui est décrit. Il évoque un Japon fantasmé -jardin zen, étang à carpes, bruissement de l'eau, pavillon de thé-, sait se faire sensuel, voire érotique, tait les motivations véritables de ses personnages pour faire réfléchir, deviner, supposer son lecteur. Ambiguë, équivoque, choquante peut-être, cette nouvelle est un trésor de finessse psychologique, de sérénité et de sensualité. A lire évidemment.
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Le narrateur Tadasu Otokuni se livre à une confession écrite en l'an 6 de l'ère Showâ, nous sommes donc autour de 1932, ce qui correspond vraisemblablement à la date d'écriture de cette longue nouvelle ou court roman, on hésite (une centaine de pages format folio).

L'histoire se déroule dans un lieu unique, l'Ermitage aux hérons, une belle et vaste propriété comportant en plus du pavillon principal, un pavillon de thé et une « villa des plaisirs partagés », excusez du peu. Quant au « Pont flottant des songes », c'est le titre du dernier chapitre du Dit du Genji, histoire d'enfoncer le clou : l'édificateur des lieux, le grand-père paternel, était fait dans le bois de la culture traditionnelle japonaise.

Le récit pourrait s'appeler, plus prosaïquement, « Tadasu et ses deux mamans ». Tadasu a perdu sa mère à l'âge de 5 ans, mais va deux ans plus tard retrouver une mère de substitution quasi à l'identique, car son père s'est employé à effacer au maximum toute différence de comportement, tempérament et usages entre son ancienne épouse qu'il chérissait et la nouvelle, au point de donner à cette dernière le même prénom de Chinu (alors qu'elle s'appelle Tsuneko à l'état-civil). Cette nouvelle Chinu ne semble pas s'en offusquer le moins du monde, probablement a-t-elle accepté dès le départ ces conditions imposées par le père.

La question centrale du récit est le rapport ambigu entre Tadasu et cette seconde mère. Tadasu tétait le sein de sa mère, et bientôt Chinu n°2 va lui proposer d'en faire de même… mais il a un peu grandi… Est-ce normal, ou tendancieux ? Tadasu ressent du trouble, et des dizaines de questions vont le tourmenter. Il échafaude des hypothèses en cascade, sur le jeu de Chinu, de son père, sur d'éventuelles stratégies et anticipations qu'ils auraient eues pour créer cette situation un peu trouble. Tout l'art de Tanizaki est de ne pas emprunter la voie facile du récit incestueux, mais de suggérer qu'il pourrait y avoir, ou y avoir eu… ou pas, et avec ou pas l'accord tacite du père. Et en fait, peut-être que tout est normal. le puzzle se complète peu à peu, mais clairement, il manquera toujours des pièces. le temps brouille la mémoire et c'est bien pratique pour mêler la réalité au fantasme.

Toujours est-il que des éléments factuels sont savamment distillés pour installer cette situation atypique. Déjà, le père a une douzaine d'années de plus que sa seconde femme, qui elle-même n'a guère qu'une dizaine d'années de plus que Tadasu. le couple finit par avoir un enfant sans l'avoir désiré, Takeshi, qu'ils éloignent en le louant à la famille d'un village… Tadasu se demandera s'ils n'ont pas fait exprès d'écarter le bébé pour ne pas entraver sa proximité avec Chinu, surtout lorsqu'il apprend rétrospectivement que son père est malade, victime d'une tuberculose rénale, à un stade avancé qui prive bientôt son épouse de sexualité, ce qui ajouté à l'impossibilité d'allaiter contribue à gonfler ses seins…

Tanizaki met à contribution deux personnages susceptibles de connaître le mieux les secrets intimes de la famille pour faire des révélations à Tadasu, et du même coup au lecteur : la nounou de Tadasu, qui a vécu au coeur de la propriété durant des années et vient de prendre sa retraite, et le médecin de famille qui soigne son père. C'est habile, d'autant que ces révélations ne font qu'alimenter des hypothèses sans donner de réponses véritables.
L'ambigüité persiste même une fois passée la période du tétage, dès lors que Tadasu, même marié ensuite à Sawako, dans un mariage arrangé, continue aussi à masser les épaules et le dos de sa mère avec une sorte de nostalgie, peut-être de regrets, en tête…

Un récit qui explore avec finesse et intelligence les souvenirs, les non-dits et ambiguïtés des relations parents-enfant, mère-fils, moins pervers que son roman La clé, moins profond que le goût des orties, mais on passe à nouveau un bon moment avec le pont flottant des songes, d'une grande subtilité et qui nous immerge dans le cadre dépaysant et rafraîchissant d'une demeure japonaise traditionnelle au paroxysme de son agrément. Toute la composition japonaise est là, entre ces pavillons reliés par un cheminement en bord d'étang ombré de bambous, où l'eau s'écoule en continu par le claquement de métronome d'une bascule...Kimonos et obis viennent colorer ce cadre qu'on devine sombre, si cher à l'écrivain, qui parsème son texte de courts poèmes...Mais Tanizaki n'a pas la nostalgie sans fond d'un Kawabata pour ces beautés en voie d'extinction, c'est un réaliste qui n'élude jamais le revers moins reluisant des choses, notamment ce climat humide et cette ombre qui finissent toujours par dégrader l'état du bois et propice à attirer des insectes nuisibles comme les scolopendres, ce dont il joue encore avec maestria.
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Réflexion sur l'image de la femme par Junichirô Tanizaki né à Tokyo en 1886 et dcd en 1965.

Cela se passe au Japon après 1910, l'année exacte n'est pas indiquée.

L'auteur Junichirô Tanizaki a laissé son nom à une des principales récompenses littéraires au Japon ; il laisse une oeuvre importante et unanimement considérée comme majeure dans le Japon du XXè siècle.

Tous ces romans sont audacieux pour l'époque : scandaleux, immoraux et subissent les foudres de la censure.

Il a publié également de nombreux drames, comédies et scénarios à une époque où le cinéma n'en était encore qu'à ses balbutiements.

Magistralement traduit par Jean-jacques Tschudin.

Ce petit livre est basé sur l'amour filial et le désir, relations troubles mais tellement bien écrit que cela n'a pas été dérangeant plus que ça.

Très intéressant.
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Sur le fil de l'ambiguïté
Ce court roman prend l'apparence d'une autobiographie fictive mais ne serait-ce pas un songe du narrateur ? Ou bien une réécriture contemporaine d'un chapitre du Dit du Genji si cher à l'auteur, qui l'a traduit en japonais moderne ?
Le narrateur Tadamu essaye de se remémorer sa toute petite enfance à partir d'un poème du Dit du Genji laissé par sa mère. Mais de quelle mère s'agit-il ? Il a cinq ans quand il perd sa vraie mère. le petit est inconsolable, cherche le parfum de ses cheveux, le bout de son sein, l'appelle. le père se remarie deux ans plus tard en s'efforçant d'effacer toute trace de différence entre les deux femmes. Il nomme alors sa seconde épouse Chinu, comme la première. Les deux mamans fusionnent dans le coeur de l'enfant qui peut de nouveau se blottir au creux de son épaule jusqu'à un âge avancé. Mais il grandit, commence à rougir de sa conduite et aussi à se poser des questions. Il écoute alors les rumeurs et nous aussi...
J'ai adoré cette lecture mélancolique et énigmatique. La tendresse et le désir sont subtilement liés, avec pudeur. L'Ermitage des hérons est un véritable paradis terrestre. C'est à regret que j'ai tourné la dernière page en laissant derrière moi le pont flottant des songes.


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Tanizaki nous raconte l'enfance de Tadasu auprès de sa maman puis avec la 2ème femme de son père.
L'image de ces deux femmes se confond dans la tête du petit garçon.
En grandissant, une relation complexe et ambiguë s'installe entre Tadasu et sa belle mère. le désir se fait plus sensuel.
L'histoire pourrait être glauque ou malsaine mais grâce la finesse et à la poésie de l'écriture, il n'y a rien de choquant.
Mystère, mensonges, mort, mais une belle histoire troublante, un peu perverse toutefois, sur le désir, l'amour, la féminité, les rapports mère-enfant.
Beaucoup de thèmes qui ne laissent pas indifférents.
En conclusion j'aime ce livre, j'apprécie cet auteur.
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Tadasu est à présent un jeune homme. Il se souvient de son enfance, dans la maison familiale où il a grandi : l'Ermitage des hérons. Il se souvient de ses mamans, de son père et de cette époque où les émotions et sentiments sont teintés d'étrangeté. Sa première maman, décédée en couche lorsqu'il était tout petit vers cinq ans. Après une période de deuil, son père décide de prendre une jeune femme pour épouse. Celle-ci s'impose avec la douceur, le raffinement de sa première maman, imitant sa façon de parler, de se comporter et d'être, au point où les souvenirs de Tadasu se confondent entre sa mère biologique et la seconde femme de son père. Elle sera même rebaptisée Chinu, du nom de sa vraie mère. Elle jouera du koto avec délice et encouragera même Tadasu à revenir téter son sein. de souvenirs en prise de conscience, il se souviendra de sa nourrice, du médecin de famille et de toutes ces rumeurs autour de sa famille.

Malgré la longueur du livre, une centaine de pages, l'histoire est riche et mène à une réflexion quasi-oedipienne. C'est un hymne à la maternité, à la féminité, au rôle de mère. Tout ce récit tient en ce lien entre Tadasu et ses mères. La position de la femme est ici mise en avant avec le rôle tenu dans la société : celui d'épouse, de mère.
L'auteur parvient à mettre en exergue les difficultés pour le personnage à faire la différence entre les souvenirs de la première mère et de la seconde, ces passages sont même très touchant et révèle l'amour filiale pour ces deux mères. La maternité et le lien mère-enfant est au coeur des réflexions : Junichirô Tanizaki frôle avec l'interdit et la relation entre Tadasu et sa seconde mère est ambiguë.

Provocation, ambiguïté, l'auteur joue sur les "limites acceptables". Tadasu grandit et certaines scènes peuvent choquer et sembler malsaine. Mais on prend de la distance et Junichirô Tanizaki parvient avec sa plume à retranscrire ces scènes avec finesse et distance, mais aussi questionnement : Tadasu le premier se pose de nombreuses questions. Qu'il s'agisse de son lien avec sa mère, du rôle que son père a joué en "plaçant les pions pour que sa seconde femme vive heureuse. Et cette relation qui lui manque, son frère Takeshi qui fut adopté à la naissance, décision des parents... La famille est un cercle étrange où des événements souvent incompréhensibles se jouent.
Il y a du désir, de la sensualité et les descriptions, parfois oniriques, rendent la situation floue. le narrateur, avec la retranscription de ses questions et de ses doutes, arrive à nous faire sentir que oui, quelque chose ne va pas, mais ce n'est pas forcément ce qu'on croit.

Une histoire courte qui débute dans l'innocence avant de nous faire plonger dans le doute des relations adultes. Je n'ai pas trouvé l'histoire érotique, mais effleurant le "politiquement correct". Et que dire de la plume de Tanizaki qui nous transporte avec poésie et délectation dans certains poèmes japonais.

En bref :

Une belle expérience littéraire, une lecture provocante sur certains points, mais qui met en avant le rôle de mère d'une femme. Un livre qui demandera sans doute une relecture pour apprécier tout le style de l'auteur.
Lien : http://lecturedaydora.blogsp..
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Yume no Ukihashi
Traduction : Jean-Jacques Tschudin

Ce très court roman de Tanizaki est de ces textes qui donnent envie, après les avoir lus et relus, de se lancer dans des déclarations du style : "Après avoir lu cela, on peut fermer les yeux et mourir." Exagéré certes, outrancier - surtout pour des lecteurs qui escomptent bien, jusque dans l'Au-delà, continuer à s'adonner à leur passion - et pourtant ...

C'est que, avec ce "Pont Flottant des Songes", titre emprunté au cinquante-quatrième et dernier livre du fameux "Dit du Genji", classique japonais composé au XIème siècle par Shikibu Murasaki et tenu, par beaucoup, pour le premier roman psychologique jamais écrit, Tanizaki atteint à la perfection absolue. Perfection des fils de l'intrigue qui se croisent et s'entrecroisent avec une telle habileté que le lecteur en prend conscience bien trop tard, lorsqu'il n'a plus ni le pouvoir, ni la volonté de se dégager de la toile ainsi tissée, perfection de l'ambiguïté qui, à l'exception du médecin et de la parentèle des protagonistes, caractérise les personnages mis en scène, perfection en fin du réalisme de l'histoire qui nous remet en mémoire l'infinie variété de distorsions et de perversions dont est capable la nature humaine.

Sade aurait dégusté, vénéré, applaudi Tanizaki et cependant, les deux écrivains sont à l'opposé l'un de l'autre, en tous cas quant à la forme. Car, pour l'imagination ...

Dans "Le Pont Flottant des Songes", le narrateur, Otokuni Tadasu, qui a perdu sa mère alors qu'il atteignait ses cinq ans, se voit proposer par son père, quelques années plus tard, de retrouver une nouvelle maman. Jusque là, rien que de très ordinaire jusqu'à ce que le père dise à son fils qu'il doit considérer cette nouvelle mère tout à fait comme la première. D'ailleurs, la jeune femme portera le même prénom que la disparue, Chinu. Elle jouera sur le koto ayant appartenu à la morte. Elle prendra même l'enfant avec elle certains soirs, dans son lit, pour qu'il s'endorme en la têtant, ainsi qu'il en avait plus ou moins l'habitude avec sa mère.

Ainsi s'écoulent les années. Tadasu grandit, son père et sa belle-mère avancent en âge mais leur harmonie est parfaite. le jeune homme n'a jamais oublié celle qui l'avait mis au monde, ce n'était d'ailleurs pas le but recherché, bien au contraire - son père l'en avait prévenu. En fait, on dirait que les deux femmes, la morte et la vivante, ont fusionné. Tout simplement et tout comme le souhaitait le maître de maison, de très loin le personnage le plus ambigu et le plus énigmatique du livre.

Bien entendu, les choses ne vont pas s'en tenir là. Inexorable, de détail infime en petite phrase délicate, de retour sur un paragraphe qui fait hésiter la compréhension en explication claire volontairement donnée, le texte progresse vers une fin que le lecteur, fasciné, hypnotisé comme toujours par la puissance et la complexité du génie de Tanizaki, ne cesse d'entrevoir depuis à peu près le premier tiers du livre et qu'il accepte avec reconnaissance, comblé par cette nouvelle et lumineuse démonstration de la subtilité d'un esprit qui a bien peu d'égaux dans la littérature occidentale.

En conclusion, je vous recommande vivement "Le Pont Flottant des Songes." Lisez-le une première fois, laissez reposer une semaine ou deux, lisez-le une seconde fois. Vous saurez alors pleinement ce que ressent le narrateur de cet étrange récit qui mêle si habilement les thèmes de l'inceste, du double et de l'ambiguïté sexuelle lorsqu'il confie : " ... plus je réfléchissais au sens caché de tout cela, et moins je comprenais ce qui s'était passé. ..."

Oui : vous saurez. ;o)
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Le pont flottant des songes est le roman d'un affranchissement tardif, le roman aussi d'un passage allégorique du japon ancestral vers celui de la modernité.
Son protagoniste fusionne sa mère naturelle, morte encore trop jeune, avec sa remplaçante une ancienne geisha. Mais il est surtout totalement soumis, gardé dans une sorte de torpeur infantile dont il ne pourra s'affranchir que tardivement avec la disparition de ses parents.
Nulle révolte lorsque ceux-ci abandonnent leur second enfant, des questionnements mais une totale obéissance. Enfin, libéré de l'envoutement de la propriété familiale et du passé, il pourra se reconstruire selon sa propre morale.
Autant qu'on en puisse juger sur une traduction, l'écriture poétique de Tanizaki dessine un univers onirique qui puise ses sources dans le psychisme de son auteur, oscille entre désir de la mère et peur de la perte de l'enfance, besoin de tuer le père et de s'affirmer. Autant de thèmes que l'on retrouve souvent dans les contes du monde entier et que la psychanalyse a tenté d'expliciter.
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Le titre de ce court roman fait référence au dernier chapitre du roman-fleuve « le dit du Genji », et fait partie d'un poème qui commence le livre : il est écrit par l'une des mères du narrateur le jour où celle-ci termine la lecture de l'imposant roman. Car notre héros, le jeune Tadasu, a deux mères qui se superposent dans sa mémoire et dans son coeur. 
La première mère de Tadasu, surnommée Chinu, meurt à vingt-deux ans, alors qu'il en a cinq. Les souvenirs de Tadasu sont confus à cette époque, s'attachant plutôt à sa maison, l'ermitage aux hérons, à l'histoire du lieu, à ses bruits, comme celui du sôzu, tuyau de bambou basculant lorsqu'il est plein d'eau et claquant de façon caractéristique en reprenant sa place, et qui rythmera le récit.

Deux ans après la mort de sa mère, son père se remarie avec une autre Chinu, qui va s'employer, sur les instructions de son mari, à remplacer, à s'identifier même à la disparue. Elle va ainsi adopter les mêmes comportements, qui ne se limitent pas à l'usage du koto : comme il le faisait avec sa première mère, Tadesu va dormir avec elle, et va même la téter, comme il le faisait tardivement avec sa première mère. 

Au fil du temps, les relations vont s'approfondir entre la belle-mère et son fils adoptif, se troubler aussi, avec l'accord tacite du père, qui cherchera toujours à les rapprocher. Tadasu découvrira par sa nourrice les secrets de ses parents, restant, jusqu'après son mariage, dans l'ombre et la dépendance de sa belle-mère. C'est à la femme de Tadasu que reviendra de trancher ce noeud et d'amorcer la conclusion du récit.

Tanisaki nous offre ici la chronique trouble d'une relation filiale passionnée et d'une maternité de substitution vécue de façon étonnante, absolue. L'écriture en est délicate, nourrie de références classiques japonaises et de la description d'un quotidien qui peut parfois nous surprendre ou nous choquer, tant est facile à oublier la distance temporelle, géographique et culturelle… Il n'y a toutefois rien de scabreux ou de choquant, seule fonctionne la suggestion de l'écriture, la possibilité d'une intention, sans que jamais certaines limites ne paraissent franchies, mais tout en restant si proche de la frontière.

Le traducteur, Jean Jacques Tschudin, rend parfaitement la délicatesse du trait voulu, je crois, par Tanizaki, et ses annotations sont précieuses. Un excellent roman pour sonder les tourbillons si fréquents sous le pont flottant des songes
Lien : https://litteraturedusoleill..
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