Etoiles Notabénistes : ******
The Fly-Paper /
le Papier Tue-Mouches
Traduction :
Nicole Tisserand pour Payot
ISBN : Inconnu pour la nouvelle mais 9782743603472 pour le recueil "
Le Papier Tue-Mouches" dont est extraite cette nouvelle
"The Fly-Paper" est une nouvelle fulgurante, féroce et incroyablement cruelle que les parents responsables gagneraient, à notre sens, à faire lire aux enfants et aux adolescents crédule ou naïfs ou encore à ceux d'entre eux qui croient toujours que "ça n'arrive qu'aux autres." Oh ! nous ne prétendons pas que la chose ne puisse se révéler à double tranchant mais l'avoir lue aurait peut-être sauvé, qui sait, certaines victimes par exemple de ce couple infernal que formèrent Michel Fourniret & Monique Olivier. Néanmoins, peut-être nous avançons-nous ... le Destin joue si souvent, en tous cas avec certains, avec des dés pipés ...
"Le Papier Tue-Mouche" obéit aux grandes règles de l'Art de la nouvelle : personnages simples (en apparence), intrigue simple (en apparence aussi) et "chute" fracassante. L'objectif est d'hypnotiser peu à peu le lecteur et de le mener doucement jusqu'à la falaise d'où il risque de basculer. Comme l'amateur éclairé de nouvelles le sait parfaitement et que c'est bien cela qu'il attend du texte qu'il a décidé de lire, il n'est donc pas pris en traître et il serait déçu de ne pas tomber de la falaise.
La particularité de ce "Papier Tue-Mouches", c'est que, devant l'habileté véritablement diabolique et la simplicité, d'une perfection rare, qui l'accompagne, le thème choisi par l'auteur, déjà dérangeant par sa nature et par tout ce que nous pouvons en lire dans les journaux et en voir non seulement à la télévision mais maintenant sur le Net, dérange encore plus par sa "chute." Et c'est un lecteur bien réveillé par le choc éprouvé tout au bas de la falaise, choc auquel il est pourtant habitué depuis maintenant tant d'années qu'il lit des nouvelles, et surtout un lecteur extrêmement mal à l'aise qui voit prendre fin ce qui, sur le plan artistique, n'en reste pas moins un vrai bijou.
C'est que, en s'imaginant - et là, il ne peut pas s'en empêcher - ce qui, par la force des choses, va survenir après la fin de la nouvelle , le lecteur se sent avant tout misérablement impuissant. Il rêve d'intervenir, de se matérialiser dans l'histoire, de faire quelque chose pour s'opposer au sort qui attend la petite héroïne. Mais, bien sûr, il sait la chose impossible. Finalement d'ailleurs, ce n'est là qu'encre et papier - une fiction, une création de l'esprit. Mais le talent de l'auteur est tel que, sans que le lecteur y prenne vraiment garde, elle l'a mené jusque dans cette cuisine paisible et rutilante où va débuter l'une des pires atrocités qui soient sur cette terre. Pire : elle a sans doute réussi à le faire s'identifier à Mabel, si compatissante, si femme raisonnable, une espèce de mère-poule qui n'aurait pas eu d'enfant - une femme de tête qui plus est et une parfaite comédienne.
Si l'indication sur les racines noires des cheveux de cette fausse blonde quinquagénaire ne lui est apparue que comme la preuve d'une coquetterie compréhensible (ce qu'elle est peut-être, d'ailleurs) et s'il a approuvé l'attitude de Mabel s'interposant entre le satyre du bus et la petite Sylvia, cette orpheline boulotte de onze ans qui se rend, comme tous les mercredis, au cours de piano que lui impose sa grand-mère, alors là, nous vous le disons tout net, le lecteur adulte, pour peu qu'il soit normal et, sans être naïf, voie naturellement la bonté chez l'être humain - ce lecteur-là se sent très mal et au bord de la nausée.
Car il sait que le genre de choses que nous décrit ici
Elizabeth Taylor avec un art véritablement consommé, oui, malheureusement, ce genre de chose arrivent - et malheureusement plus souvent qu'on ne le pense. Sans compter tous les cas, dans la vie réelle, où cela s'est passé ainsi mais qui sont demeurés ignorés, faute de preuves ...
Un thème simple, disions-nous. Sylvia Wilkinson est une petite fille de onze ans qui vient tout juste de perdre sa mère. Boulotte et solitaire, elle n'a rien pour plaire, d'autant que sa grand-mère, qui n'est pas très riche mais l'a recueillie parce qu'elle demeure sa seule famille, l'habille selon son maigre budget. La petite travaille relativement bien à l'école. Tous les mercredis, pour complaire à un désir - qu'elle juge suranné - de sa grand-mère, Sylvia se rend seule en bus chez son professeur de piano, une Miss-Quelque-Chose qui n'est guère aimable avec les élèves dont les mains aux doigts trop courts ne sont manifestement pas taillés pour la pratique d'un instrument aussi noble et exigeant.
La vie de Sylvia n'est donc pas rose, c'est le moins que nous pouvons deviner. le pire, c'est que l'enfant, pourtant si jeune, ne pense pas que cela puisse s'améliorer au fil des années. Après y avoir réfléchi, une fois sa lecture achevée, le lecteur se dit que, déjà, alors même qu'il fait sa connaissance dans le bus qu'elle prend pour se rendre à son cours de piano, il a saisi (mais sans en comprendre toute la portée) que Sylvia était une passive-née, quelqu'un qui, de toutes façons, se résigne vite - une perdante et non une battante. Dans le meilleur des cas, elle épousera un petit fonctionnaire et aura des enfants envers qui elle ne nourrira qu'une tendresse de commande. Dans le pire, elle épousera le même petit fonctionnaire, mais alcoolique et qui la battra. A moins qu'elle ne tombe elle-même dans l'alcool ou ne se décide à faire le tapin pour s'acheter sa bouteille ou sa dose ... Sylvia est de ces êtres qui ne seront jamais heureux : ils sont nés sous une mauvaise étoile mais, au lieu de la maudire et de la traiter de tous les noms, ils se contentent de s'asseoir sous ses rayons maléfiques et d'attendre qu'elle leur dégringole sur la tête.
Dans le bus, justement, la mauvaise étoile de Sylvia la fait tomber sur un homme très grand, qui tient à la main une cigarette non allumée et qui parle, qui parle ... Il ne parle qu'à la petite, d'ailleurs, cherchant à s'insinuer dans son esprit, lui posant des questions auxquelles il répond, lui tournant autour si l'on peut dire comme la guêpe qui finira par se poser sur le col du manteau de l'enfant et que le contrôleur, plus adroit que la fâcheux bavard, parviendra à tuer.
Heureusement pour Sylvia, quand, la guêpe ayant rejoint les nids de ses ancêtres, l'incorrigible bavard, en qui le lecteur contemple avec horreur et dégoût un pédophile en puissance, entonne l'air : "Qui es-tu, Sylvia ? ...", une dame assez forte, dont les racines de cheveux démontrent qu'elle se les a teints en blond, prend l'enfant déstabilisée en pitié et parvient à faire taire le grossier personnage.
Heureusement aussi que, alors que Sylvia, maintenant hors du bus et terrifiée parce qu'elle s'aperçoit que l'homme si bavard l'a suivie et lui propose de venir prendre une glace avec lui à la pâtisserie - il fait très chaud, ce jour-là - la dame ronde et blonde, aux racines de cheveux noires, jaillit du coin de la rue et intervient une fois de plus. Là, elle parle carrément d'en appeler à la police. Et, quand elle souffle à Sylvia de la suivre, la petite, soulagée, obéit docilement.
Mais qui, dans la situation de l'enfant et avec le peu qu'elle sait de l'existence, eût agi autrement ?
Heureusement donc que, une fois encore, le chemin de la dame ronde aux cheveux teints soit pratiquement le même que celui de Sylvia. Et, comme la petite a une demi-heure d'avance sur le début de son cours, la dame trouve tout naturel - Sylvia et le lecteur aussi, d'autant que nous sommes en Grande-Bretagne - de proposer une tasse de thé à l'enfant, avec quelques gâteaux.
... Et heureusement, voyez-vous, que, après la lecture du "Papier Tue-Mouches", vous pourrez toujours, pour soulager votre mal-être, vous jeter sur "Hansel et Gretel." C'est un conte qui a mauvaise presse - et nous ne vous raconterons rien de ce qu'en disent les pseudo-féministes actuelles ... ;o)
Mais il est bon de savoir que, contrairement à ce qu'il se passe dans "
Le Papier Tue-Mouches", les enfants arrivent parfois à échapper à leur mauvaise étoile. Et peu importe si, pour ce faire, ils doivent enfermer la Vilaine Sorcière dans le four où elle comptait les faire rôtir ...
Seulement, Hansel et Gretel étaient deux petits battants, l'un comme l'autre.
La petite Sylvia, nous l'avons déjà dit, elle, ne l'était pas.
Bonne lecture quand même ... ;o)