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Gallimard (12/11/1983)
5/5   2 notes
Résumé :
Courte nouvelle comique (1883).
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Que lire après Une CalomnieVoir plus
Critiques, Analyses et Avis (2) Ajouter une critique
Encore une petite nouvelle très drôle du grand Tchekhov datant de 1883. Vous pouvez la lire sur le blog de M. Tessier sous le titre "Une médisance" mais il s'agit bien pourtant d'une calomnie ! Beaucoup d'humour, des descriptions satiriques formidables et un art du dialogue consommé. La nouvelle se termine par une chute en forme d'adresse au lecteur très réussie.
Le professeur de calligraphie Sergueï Kapitonytch Akhineïev marie sa fille au professeur d'histoire géographie. Il a invité à grand frais l'ensemble des professeurs et des notables. Et tout ce beau monde s'amuse bien à des jeux croquignolesques. Mais, sur le coup de minuit, Akhineïev va en cuisine vérifier que tout est prêt pour le festin. Marfa la cuisinière, "une bonne femme rubiconde à qui son tablier fait deux ventres" lui montre l'énorme esturgeon en gelée émaillé de câpres, d'olives et de carottes. Akhineïev est émerveillé, il se penche, clappe des lèvres une fois, claque des doigts et clappe des lèvres encore une fois. Et là Vanikine, le surveillant adjoint du collège qui a entendu un bruit de baiser, apparaît en demandant à la cuisinière qui l'embrasse...
Lu dans la traduction de M. Tessier 29/11/2017.
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Etoiles Notabénistes : ******

Titre original : non indiqué
Traduction : André Radiguet pour Gallimard en 1967

ISBN : inconnu, y compris pour le tome I des "Oeuvres" de Tchékhov dont cette nouvelle est extraite

Une petite nouvelle, diront certains. Peut-être, mais elle est drôle, ironique, cruelle pour ne pas dire féroce. L'argument pourtant en est des plus minces. le héros, Akhinéïev, paisible professeur de calligraphie dans un petit collège de province, organise le mariage de sa fille, Natalia. Comme c'est un notable et qu'il possède tout de même quelques biens, il se doit de faire les choses en conséquence. Et, après avoir consulté son épouse, la chose prend tournure. Une excellente tournure.

D'autant que les Akhinéïev ont depuis des années à leur service une cuisinière remarquable, Marfa. La dame n'est peut-être pas un parangon de beauté mais, pour préparer les plats les plus compliqués et veiller ensuite à ce qu'ils soient dressés comme il le faut pour leur présentation à la table des maîtres, elle n'a pas sa pareille. Surtout en cette soirée spéciale qui nécessite un authentique dîner de gala pour lequel notre professeur calligraphe, plutôt gourmand de nature, a tenu à tout prix à se procurer un esturgeon.

Et quel esturgeon ! Long, gros, gras, bien doré, avec une gelée de carottes, de câpres et de je ne sais plus quoi, cuit à point, présenté sur un beau plat d'argent ! Ah ! mes amis, mais il me faudrait le talent d'un Daudet, fort affairé à nous décrire le repas de réveillon prévu pour les invités du seigneur de Trinquelage dans ses inoubliables "Trois Messes Basses", pour vous rendre le plus précisément possible la vision qui, ce soir-là, alors que la fête bat son plein et que bouteille sur bouteille ont été débouchées dans la vaste salle-à-manger, apparaît, nimbée d'une auréole quasi divine, aux yeux éblouis du professeur Akhinéïev ! Il en joint les mains, il applaudirait presque et, qui sait ? peut-être en saliverait-il si la conscience de sa dignité ... Il s'autorise cependant à émettre avec les lèvres de petits claquements d'admiration au moment où un invité, Vankine, surveillant au collège où enseigne justement notre héros, passe la tête par l'entrebâillement de la porte de la cuisine pour voir de quoi il en retourne.

De joyeuse humeur sans doute et plaisantin dans l'âme, Vankine a l'idée baroque - et sans doute inspirée plus ou moins par le champagne ou la vodka - de feindre un quiproquo. Pour lui, affirme-t-il avec autant d'élan que de malice, ces bruits qui ont attiré son attention n'étaient que des baisers dispensés par son hôte à Marfa. Dispensés en quel endroit de sa personne, il a l'élégance de ne pas le préciser mais enfin, cela ne l'empêche pas de s'éclipser, sans écouter plus longtemps les bafouillements indignés d'Akhinéïev et en lui laissant clairement entendre que, quand sa maîtresse est sa propre cuisinière, et surtout le jour du mariage de sa propre fille, il faut savoir se montrer discret dans ses ébats.

Le malheureux professeur, qui n'a probablement pas bu assez pour saisir la plaisanterie de Vankine, pâlit, rougit, repâlit et tout son enthousiasme s'effondre lamentablement. Il n'a plus qu'une idée en tête : persuadé que Vankine va répandre cette calomnie infâme aux quatre coins de ses salons, il décide de contre-attaquer. le plus finement, le plus adroitement, le plus subtilement possible, cela va sans dire.

C'est pourtant timidement qu'Akhinéïev pénètre dans le premier salon. Et quelle est la première chose qu'il y voit ? Vankine, s'entretenant avec la belle-soeur de l'inspecteur d'Académie ! Ce qu'il confie à la jeune femme est même si drôle que celle-ci en rit à gorge déployée. Voilà notre pauvre Akhinéïev pleinement convaincu : c'est de lui et des baisers qu'il aurait prodigués à Marfa, dans l'intimité de la cuisine et du plat d'esturgeon - ah ! ce maudit esturgeon ! - que Vankine parle. Pour l'instant, il n'en est qu'au tout début du premier salon mais quand il en sera à la fin, hein ? En quel triste état se retrouvera la réputation, jusqu'ici sans tache, du professeur Akhinéïev ? Et tout ça le soir du mariage de sa propre fille !

Bien décidé à vaincre, Akhinéïev s'avance. Son plan, il vient de le concevoir avec une rapidité, une clarté de vision dignes d'un stratège de génie. Et, en bon stratège, il l'applique sans plus attendre. On le voit, à son tour, aller, de-ci, de-là, d'un groupe à un autre, l'air assuré, le geste aisé, le sourire malin et vaguement méprisant. Ah ! il s'en donne, du mal, pour protéger sa réputation et celle de sa famille, cette famille honorable où vient d'entrer ce soir-même un gendre des plus estimables, un professeur d'Histoire, mais oui, Mesdames et Messieurs, parfaitement ! Pensez donc : un professeur d'Histoire a demandé la main de sa fille, à lui, Akhinéïev ! Mais oui ! Ne faut-il pas, dans de telles conditions, se battre pratiquement jusqu'à la mort pour sauvegarder l'honneur, injustement souillé, de la famille Akhinéïev ?

Du mal, notre héros s'en donne tant et tant que, l'heure du repos ayant sonné et les jeunes mariés s'étant éloignés en calèche pour leur voyage de noce, il s'écroule littéralement de fatigue sur son lit. le lendemain matin, l'effet du champagne et des vins capiteux, ajouté à la nuit paisible qu'il vient de passer, lui efface de la mémoire tout souvenir relatif à Vankine. Et, lorsqu'il se rappelle l'indigne conduite du surveillant du collège, il hausse les épaules, conscient d'avoir ruiné ses intentions calomnieuses à son égard.

D'où vient alors que, dès la semaine suivante, très précisément dès le mercredi qui suit, en pleine salle des professeurs, au collège où enseigne avec solennité notre noble et dévoué Akhinéïev, sur le coup de trois heures si nos souvenirs sont bons, le directeur de l'établissement, très gêné, le prend à part et lui recommande à son tour la plus grande discrétion sur ses amours ancillaires ? Certes, on sait bien qu'un homme est un homme mais Akhinéïev ne doit pas oublier qu'il est aussi et surtout un pédagogue et que cette responsabilité des plus graves lui impose de très nombreux devoirs ...

D'où vient encore que, dans tous les quartiers qu'il fréquente, Akhinéïev sent bien qu'il est observé, épié, par des regards scandalisés, émoustillés, indignés, égrillards, moqueurs, dont certains lui disent même très clairement : "On se doutait bien que vous étiez un dépravé ! Venant de vous, que vous embrassiez votre cuisinière dans votre cuisine, et le soir même du mariage de votre fille, pareille attitude est pour ainsi dire normale ! Scandaleuse mais normale ! Ah ! vous cachiez bien votre jeu jusqu'ici même si nous avions quelques doutes ... Mais vous voilà démasqué, monsieur ! Dé-mas-qué, entendez-vous ? ..."

D'où vient enfin, ô comble du désespoir ! que Mme Akhinéïev elle-même l'apostrophe le jour-même à l'heure du repas et conclut sa diatribe brève mais cinglante par un "Goujat !" aussi définitif que menaçant ? ...

La solution, vous la trouverez, lecteur, dans la fin, brillante et incisive, de cette "Calomnie" où l'on perçoit le sourire avant d'entendre le rire de l'auteur derrière presque chaque mot. Un vrai régal ... En ces temps moroses, profitez-en bien. ;o)
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Citations et extraits (4) Ajouter une citation
[...] ... Complètement rasséréné, Akhinéïev engloutit quatre verres de vodka. Le souper terminé et les jeunes mariés conduits dans leur chambre, il retourna chez lui et s'endormit d'un sommeil d'enfant. Le lendemain, il avait complètement oublié l'histoire de l'esturgeon. Mais, hélas ! l'homme propose et Dieu dispose. Les mauvaises langues avaient marché bon train et la ruse d'Akhinéïev s'avéra inutile. Exactement une semaine plus tard, c'est-à-dire le mercredi, après la troisième heure de classe, tandis qu'il discutait dans la salle des professeurs des mauvais penchants de l'élève Vyssekine, le directeur s'approcha de lui et l'attira dans un coin.

- "Voilà de quoi il s'agit, Sergueï Kapitonytch," dit-il. "Excusez-moi ... Cela ne me regarde pas, mais je suis néanmoins obligé d'attirer votre attention ... Mon devoir m'oblige ... Il court le bruit que vous avez une liaison ... avec ... cette cuisinière ... Je n'ai rien à dire, mais ... vivez avec elle, embrassez-la tant que vous voudrez ... mais, je vous en prie, ne vous affichez pas ainsi ! N'oubliez pas que vous êtes un pédagogue."

Un frisson parcourut l'échine d'Akhinéïev. Comme piqué par un essaim d'abeilles ou arrosé d'eau bouillante, il partit aussitôt chez lui. Sur son chemin, il lui semblait que toute la ville le regardait comme s'il eût été enduit de goudron ... Un nouvel ennui l'attendait à la maison.

- "Tu ne bâfres donc pas ?" dit sa femme pendant le repas. "A quoi penses-tu ? A tes amours ? Tu t'ennuies de ta Marfa ? Je sais tout, mécréant ! De braves gens m'ont ouvert les yeux. Goujat !" ... [...]
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Taranntoulov, le professeur de mathématiques, Padeqoi, le professeur de français et Iégor Viénédiktych Mzda, le sous-directeur de la Cour des comptes, assis côte à côte sur un canapé, se bousculant et se coupant la parole, racontaient des histoires de gens enterrés vivants et faisaient part de leurs opinions sur le spiritisme. Aucun des trois ne croyait au spiritisme, mais ils admettaient tous qu'en ce bas monde, beaucoup de choses échappent à l'esprit humain. Dans une autre pièce, Dodonski, le professeur de littérature, expliquait aux invités dans quels cas une sentinelle a le droit de faire feu sur les passants. Comme on le voit, les conversations étaient effrayantes, mais fort agréables. Du dehors, les gens auxquels leur rang social ne permettait pas d'entrer regardaient par les fenêtres.
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-Je ne l'embrasse pas du tout, dit Akhineïev, gêné, qui t'a raconté ça, espèce d'idiot ? C'est juste que j'ai clappé des lèvres par rapport à...en signe de satisfaction...A la vue du poisson...
-Tu m'en diras tant !
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[...] ... Marfa s'approcha de l'un des bancs et souleva avec précaution un journal huileux. Sous le papier s'étalait sur un plat énorme un esturgeon imposant recouvert d'une gelée garnie de câpres, d'olives et de carottes. Akhinéïev regarda le poisson et poussa une exclamation admirative. Son visage s'illumina, il leva les yeux au ciel et fit avec ses lèvres un bruit qui rappelait celui d'une roue mal graissée. Après un moment de recueillement, il claqua des doigts et répéta le même bruit avec ses lèvres.

- "Tiens ! J'entends de tendres baisers ! ... Marfa, qui es-tu donc en train d'embrasser ?" dit une voix dans la pièce voisine, et la tête ronde, rasée de près, de Vankine, le surveillant du lycée, se montra dans l'entrebâillement de la porte. "Avec qui es-tu ? Ah - ah - ah ... Parfait ! Avec Akhinéïev ! C'est du joli ! Un grand-père ! Il n'y a pas à dire. En tête-à-tête avec une dame !

- Mais je n'embrasse personne !" bafouilla le maître de maison. "Qui t'a dit ça, espèce d'imbécile ? Je ... heu ... J'ai claqué des lèvres par rapport ... en prévision du plaisir ... En voyant le poisson ...

- Parle toujours !"

Vankine sourit jusqu'aux oreilles et sa tête disparut derrière la porte. Akhinéïev rougit :

- "Diable !" se dit-il. "Maintenant, le misérable ira faire des potins ... Il va me discréditer devant toute la ville, l'animal ! ..."

Akhinéiev rentra timidement au salon, le regard en coulisses, se demandant où pouvait être Vankine. Celui-ci se tenait dans une attitude avantageuse, près du piano, et murmurait quelque chose à l'oreille de la belle-sœur de l'inspecteur qui riait à gorge déployée.

- "Il parle de moi, la peste soit de lui !" pensa Akhinéev. "Et l'autre prend ce qu'il lui dit pour argent comptant ! ... Elle rit ... Seigneur Dieu ! ... Les choses ne doivent pas en rester là ... Non ... Il faut que je m'arrange pour qu'on ne le croie pas ... Je leur parlerai à tous et c'est lui qui passera pour un imbécile, avec ses cancans ! ..." ... [...]
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Je m'appelle .............?..........." je suis un jeune homme de dix-sept ans, laid, maladif et timide", je passe mes étés dans la "maison de campagne des Choumikhine", et je m'y ennuie.

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