Messieurs,
Ce Vendredi 13, vous m’avez touché en plein coeur.
Je ne m’attendais pas à souffrir autant.
Je ne me savais pas capable de souffrir autant.
Je suis un homme.
J’ai 36 ans.
je suis né aux Lilas, en France, près de Paris.
J’ai grandi à Issy-les-Moulineaux.
Une banlieue paisible, où la classe moyenne prolifère.
Quand j’étais mon meilleur ami s’appelait Karim.
Je vis aujourd’hui à Montréal.
Je suis marié à une femme de 44 ans.
Elle a un fils de 7 ans.
Je suis écrivain.
Et prof de théâtre.
J’aime le rock.
J’aime rouler en voiture.
J’aime la forêt québecoise, où j’ai construit une cabane.
J’aime manger.
J’aime regarder des films avec ma femme.
Je suis un gars simple.
Un Occidental.
Un homme impur.
Capable de souffrir.
Je souffrais beaucoup, en temps normal,
avant tout ça, mais pour des choses bénignes.
La souffrance était diluée.
Je ne me confrontais pas directement à elle.
Nos espaces sont neutralisés.
Se neutralisent eux-mêmes par la profusion des dires.
Nous rêvons un rêve concret.
Hors pixel.
Mais pas d’espace pour l’animer.
Nous sommes comme vous.
Orphelins du sens de la vie.
Mus par des énergies fossiles.
Nous ne voulons pas être vous.
Mais nous ne voulons pas être nous.
Nous nous contestons.
Nous détestons.
Le saviez-vous ?
Vous détestez-vous également ?
Parfois ?
Vous arrive-t-il de vous détester ?
Depuis ce Vendredi 13, c’en est devenu terrifiant.
Tout le monde professe.
Nous entendez-vous ?
Vous contemplez-vous sur nos écrans ?
Nos forums ?
Nos moteurs de recherche ?
Je crains que oui.
Il paraît que vous mangez des hamburgers.
Que vous tweetez compulsivement.
Que vous êtes les rois de l’image.
Les Fils de la Mondialisation.
Si vous passez autant de temps qu’on le dit à surveiller
où nous en sommes à propos de vous,
vous devez l’avoir remarqué :
ici, les porcs ont repris la parole.
Ils se servent des morts.
De la fréquences des catastrophes.
Ils brassent du vent mauvais.
Remplissent les urnes de crottin chaud.
Chaque matin, les porcs donnent leur avis sur le voile.
Les ceintures d’explosifs.
Les bateaux de migrants.
C’est ce que vous vouliez ?
C’est ce qui était prévu ?
Nous plonger dans l’ignorance obscène ?
Dans les films de cowboys (une grande part de notre amour-propre nous vient des films de cowboys), quelqu’un tire en l’air et tout le bétail se met à cavaler.
Immaîtrisable.
Aveuglé par sa panique unanime.
Le cowboy crie « Stampede ! » pour rameuter ses pairs et tenter de rattraper le troupeau.
Le guider.
Vers un cul-de-sac.
Où la panique diminue.
Où l’amnésie animale, la résilience des boeufs opère.
Un retour à la normale.
Aimez-vous les films de cowboys ?
Ici, nous sommes tous actuellement à la fois le bétail et le cowboy.
Nous paniquons et tentons de calmer nos paniqués.
Nous cherchons notre cul-de-sac adoré.
L’impasse géopolitique.
L’engourdissement.
D’où nous consultions le catalogue Ikea.