Il est parfois bien agréable de se pencher sur des
oeuvres poétiques que le temps, l'indifférence des hommes ou des conjonctures malheureuses ont précipitées dans une forme d'oubli.
Elles sont là pourtant, attendant qu'un lecteur les découvre ou les redécouvre comme le fit
Théophile Gautier pour les poèmes de Théophile de Viau.
Oublié à l'époque classique,
Théophile de Viau (1590-1626), dramaturge et poète baroque du XVIIe siècle, fut redécouvert par les romantiques, au XIXe siècle, notamment par l'auteur du « Capitaine Fracasse ».
La fatale erreur de ce brillant poète de la cour de Louis XIII fut sans doute d'avoir voulu chanter l'Amour, les corps qui s'unissent, les plaisirs de la chair avec toute la fougue, la ferveur et l'ardeur d'un esprit libertin.
Sans doute aussi que ses écrits satiriques, ses engagements amicaux et politiques, son dédain pour les nouvelles contraintes poétiques des auteurs classiques et son refus d'imiter les « Auteurs Anciens » ont largement prévalu à son abandon et son bannissement.
Théophile de Viau revendique liberté de ton et modernité des rimes :
« Je veux faire des vers qui ne soient pas contraints,
Promener mon esprit par de petits desseins,
Chercher des lieux secrets où rien ne me déplaise,
Méditer à loisir, rêver tout à mon aise,
Employer toute une heure à me mirer dans l'eau,
Ouïr comme en songeant la course d'un ruisseau,
Écrire dans les bois, m'interrompre, me taire,
Composer un quatrain, sans songer à le faire. »
Persécuté, accusé d'athéisme et d'homosexualité, il connut l'exil et la prison. Miné, accablé, il mourut très jeune, à 36 ans. Et sans doute sentait-il déjà la disgrâce dans laquelle son époque allait le projeter : « Ô mort, quand tu voudras je suis prêt à partir / Car je suis assuré que je mourrai martyr / Pour avoir adoré le plus bel oeil du monde. »
Théophile de Viau est un libertin ; ses poèmes le sont aussi. Mais de cette sorte de libertinage qui est avant tout une philosophie de vie, qui contemple et s'émerveille, qui célèbre une nature exubérante, étrange et fantaisiste, qui acclame le murmure d'une eau douce, qui magnifie le front d'albâtre d'une femme… « Toi seule est le trésor et l'objet précieux / Où veillent sans repos mon esprit et mes yeux ».
Ses odes glorifient la Beauté, ses poèmes lyriques exaltent un esthétisme précieux, ses sonnets, stances et élégies se parent d'allégories, de rêveries vagabondes…
Des rimes qui ne portent pas toujours au plus profond de l'âme mais qui babillent gentiment dans les coeurs, harmonieusement accordées, chantantes comme des gazouillis d'oiseaux, comme de petits cailloux bigarrés que l'on regarde un instant briller au fond de soi.
Des sonnets qui tintent comme les sons limpides d'un cristal de Bohême, purs, naturels, angéliques, argentins…Des vers libres et modernes désirant s'affranchir des règles imposées et des contraintes des auteurs classiques.
Il y a de la fraîcheur dans cette poésie claire, transparente, éthérée, une odeur de sous-bois, des danses de sylphides, des arabesques joyeuses et enthousiastes, des étreintes ferventes et exaltées.
« L'Amour qui ne va que nu / Ne souffre point qu'on se déguise / Les Nymphes au sortir des eaux / D'un peu de jonc et de roseaux / Se font la coiffure et la robe / Et les yeux du Satyre ont droit / de regretter encor l'endroit / Que le vêtement leur dérobe. »
Mais il y a aussi dans la poésie de Théophile de Viau une face sombre et torturée, celle du poète qui se sait maudit et incompris.
« J 'ai choisi loin de votre empire/ Un vieux désert où des serpents/ Boivent les pleurs que je répands/ Et soufflent l'air que je respire. »
C'est la triste colère d'un homme exilé, éreinté par les critiques acerbes. C'est le froid mépris affiché pour les calomniateurs qui s'accordent à donner de lui l'image d'un être vil, licencieux, sodomite.
Ce sont alors des vers qui disent l'affliction, la tristesse de la séparation, la douleur d'un coeur rejeté : « Justes cieux, qui voyez l'outrage / Que je souffre peu justement / Donnez à mon ressentiment / Moins de mal ou plus de courage. »
« Ce qu'on voit, ce qu'on peut ouïr/ Passera comme une peinture »
La poésie baroque de Théophile de Viau n'est pas comme ces peintures aux couleurs éteintes et délavées qu'infligent l'Histoire ou le temps ; elle n'est pas encore passée…