Vous connaissez ce proverbe chinois – niais comme la plupart des proverbes, et qu’on doit évidemment inverser lui aussi — qui dit : quand on lui montre la lune du doigt, l’imbécile regarde le doigt. C’est le contraire qui est vrai, effectivement : l’imbécile regarde immédiatement la lune, à laquelle il croit naïvement comme à une réalité absolue. Celui qui regarde le doigt, c’est le sémiologue, qui sait, lui, que la lune n’est jamais qu’un effet du signifiant, et que, selon la manière dont on l’indexe, précisément, elle pourra représenter aussi bien un objet astrophysique, un accessoire sentimental, la métaphore de la distraction ou de l’utopie, etc.
Or, l’instance du signifiant est particulièrement sensible dans le champ de l’interprétation de l’art, c’est-à-dire d’œuvres ouvertes s’il en est – je dirai de surcroît que l’instance du signifiant est hypersensible dans le domaine de l’« art des fous » (…), un domaine où les données esthétiques interfèrent avec des considérants pathologiques, idéologiques, éthiques, etc. Les productions issues du champ psychiatrique sont moins que toute autre garanties par leurs auteurs, puisqu’il n’y a généralement pas eu de leur part une volonté expresse de faire de l’art. (…) Rétorquer que, de toute manière, ce sont les regardeurs qui font les tableaux, ce serait encore préjuger de l’objet, puisque rien n’indique a priori que ce soient des tableaux plutôt que des déchets, des symptômes ou un matériel d’étude sociologique – l’auteur de l’œuvre est plus que jamais aphasique, et le critique plus que jamais ventriloque...