Le chef d'oeuvre du roman éponyme de
Vladimir Nabokov publié en 1955,
Lolita reste controversé par son héroïne, une jeune fille de 12 ans, subissant l'amour pédophile de son beau-père Humbert Humbert, récit d'une voix de cette relation par cet homme en prison , cristallisant cet amour unilatéral, de ce pervers, sous la plume anglaise formidable de ce russe naturalisé américain, une prose où l'amour masque les sentiments de cette jeune fille, Dolorès Haze, ne pouvant narrer sa version.
Christophe Tison à cette confession, fait parler
Lolita, de son journal intime retrouvé, et de cette voix, cette jeune fille.
Christophe Tison donne la parole à
Lolita, ce personnage de fiction, sorti de la plume de
Vladimir Nabokov pour explorer cette part d'ombre flottant dans les esprits, la petite
Lolita, Lo, Lou, cette petite fille de douze ans prisonnière à jamais de la mémoire de cet homme, lui volant sa virginité, ses espérances, cette enfance, ces repères, toute cette vie. Cette enfance racontée semble être un larsen de sa propre vie, narré dans un de ses romans autobiographique
Il m'aimait des éditions Grasset publié en 2004, subissant la férocité d'un pédophile, ami de ses parents, ne pouvant exorciser son mal par ce roman, il revient avec ce roman,
Journal de L. (1947-1952), écrire ce qu'à put ressentir Dolorès Haze, ayant pour sa part subit ce calvaire d'un amour pédophile.
Le récit est divisé en cinq parties,
Christophe Tison met en scène comme
Vladimir Nabokov, par un carnet intime, les révélations de la jeune Dolorès comme le roman
Lolita, d'Humbert. C'est un calque performant, une route sinueuse avec cette partie manquante où
Lolita s'enfuit avec Clare sera dévoilée par la main de
Christophe Tison.
Dès les premiers actes sexuels, Dolorès sait le mal subit et se tait ; la peur s'installe, les mensonges aussi, mais aussi son regard acerbe vers la société qui l'environne, cette jeune fille perçoit la perversité de son beau-père, derrière son beau sourire, cette politesse étrangère, ce don de charmer son environnement et aussi la manipulation, le chantage, cette petite fille devient la poupée sexuelle de cet homme, il va la façonner à cette image qui l'excite, la forçant à devenir une autre fille qu'elle ne saura jamais. Tout le long de ce récit, la solitude berce avec mélancolie cette petite fille, orpheline de ses parents, de ses amies, de sa vie d'enfant et d'elle-même. Elle va s'inventer une amie virtuelle, une jumelle à son image floue, c'est son reflet devant la glace dans la salle de bain, un visage déformé par la bué, elle est seule, dans l'intimité de son être, se laver le corps de l'odeur de son bureau sexuel qui la souille, ce sperme en elle, sur elle, puis ce monologue avec son image qu'elle fixe, recherchant à briser cette solitude, s'évaporant dans une diffusion d'âme, cette conversation schizophrène sera pour
Christophe Tison, cette liberté de donner vie à la pensée intime de cette jeune adolescente, à ses épanchements, ses désirs, sa solitude.
Dans cet écho au roman de
Vladimir Nabokov, Dolorès n'est pas cette fille aguicheuse, provocante,
Christophe Tison de son passé argumente avec beaucoup de justesse et d'élégance, la souffrance sourde de cette adolescence, privée de repaire, comme l'héroïne d'
Irène Némirovsky de son roman
L'ennemie, qui n'a pas appris le bien du mal. Comment une petite fille de douze ans, baiser par son beau-père peut espérer avoir une notion de bien et de mal, connaitre les codes des personnes de son âge, ayant comme seule référence cet homme qui dès la première nuit lui éjacule sur le visage pendant son sommeil, puis se fait tripoter les seins, recevant sur son sexe une langue, devant prendre le pénis entre sa main trop petite, puis s'introduisant dans son anus, cet endroit sale, elle devient un objet de désir, se comparant à sa poupée, juste là pour être caressée, habillée et déshabillée, attendant sur un lit, son sexe devient une tirelire, pour pouvoir s'échapper en gagnant de l‘argent , telle une prostituée, c'est de plus en plus frénétique, plus rude, elle écrira cette comparaison si cruel :
« J'avais l'échine d'un taureau sous les fesses ».
Même lorsqu'elle étudie, Hum la harcelle, lui lèche la chatte, assise sur une chaise, lui sous la table, elle jouit en silence sans lui montrer ses émotions, elle devient un morceau de viande, elle n'est plus personne, lui offre ses yeux de poissons morts, inerte, sans vie.
Ce beau-père lui vole son premier amour, ce jeune adolescent Stan, celui qui lui fera l'amour pour la première fois, la jeune collégienne est amoureuse, vit cet amour tous les jours en retrouvant ce garçon lui donnant l'amour recherché, mais le destin est cruel, tombant enceinte, se faisant avorter sauvagement avec son beau-père, surement le père de cet enfant, ou celui de Stan, son corps devient une pierre, cette absence et ce mensonge, Dolorès sera fui par ce garçon jaloux d'une absence, d'un amour sec, de cet avortement qu'il ne saura jamais, la honte de dire la vérité, Dolorès s'enferme un peu plus dans cette vie d'itinérance. Elle est maladroite avec les filles, avec les garçons de son âge, sera traité de Salope, ne voulant juste être aimé.
Sa rencontre avec Clare est un destin encore néfaste pour elle, l'ayant connu dans son enfance avec sa maman, le reconnaissant, Clare au premier contact, la perce au grand jour, Dolorès sent qu'il sait que Hum la baise, la jeune adolescence se trouve happée par cette force malsaine de cet homme qui la répugne, cette première rencontre scelle sa destinée, pour se faire baiser dès leur premier rendez-vous par cet affreux professeur de théâtre. Elle sa laisse faire, connaissant ces codes, elle ne joue pas avec cet homme, mais fustige le monde aveugle qui l'envoie à l'abattoir. Sa fuite avec Clare sera encore une chute, fuyant le diable de Hum, allant d'un pervers amoureux à un pervers diabolique paradant sa proie à ses amis en la présentant comme sa nouvelle petite nièce. Dès l'arrivée, elle rencontre dans la maison de Clare des serpents, symbole religieux de la perversité sexuelle, est-ce un signe, elle découvre un monde nouveau, aime faire sa crétine, mais reste dans la solitude.
Il y a dans ce récit, des passages forts sur les monologues de cette jeune fille, sur sa vision du monde qu'elle côtoie, et sa relation avec les hommes qu'elle rencontre. Hum l'emprisonne dans sa cage dorée, elle dit de lui au début
« Et c'est vrai qu'il est le seul être au monde à s'occuper de moi »
, ou bien à des moments de doute
« Mais à part lui, qui veut d'une petite princesse comme moi, une petite mendiante ? ».
Et ce constat fort et fataliste sur ces moments où Hum vient la pendre,
« C'est toujours un mauvais moment à passer, non ? Mais étrangement, je n'y pense jamais avant qu'il n'arrive, à ce moment-là…Jamais. Avant et après, il est gentil Hum qui prend soin de moi et qui me fait rire »
, et la force à se laver, la traitant de petite crasseuse,
« Alors, après m'avoir récuré l'âme avec des promesses et des menaces, ses gros doigts pleins de savons glissent maintenant entre mes fesses et s'introduisent là où c'est sale…et il me vide comme un poisson. »
Cette peur s'installe en elle, dès le début, elle a peur de réveiller les pensionnaires de l'hôtel, de trahir ce secret de son beau-père qui la baise, j'utilise ce mot car pour moi, c'est un acte de viol, même si dans l'esprit de Hum, c'est un acte d'amour, il lui posera cette question absurde à la fin si elle l'avait aimée, celle-ci ne répondra pas car elle ne s'était jamais posé la question. Cette peur la rend muette, devant la police lors d'un contrôle routier, elle a comme elle l'écrit le réflexe de sourire et de rien dire, se traitant de conne. Cette peur la rend actrice de sa vie, le mensonge devient son ami, elle a une réalité des choses assez brute, fort pessimiste, si vraie,
« Rien ne te retient plus à elle ni à ton enfance, c'est fini. Tu es jetée dans la vie. Les dés roulent … »
Au plus fort de sa peur, c'est cette hantise de l'effet cathédrale, ressentit la première fois lors de sa première ou deuxième nuit avec Hum, cette sensation se diffuse en elle pour revenir lors de sa fuite de chez Clare dans un parc, elle est seule dans la nuit dormant dehors ne pouvant faire la poupée, c'est une sensation de peur extrême où son corps se fige , son esprit s'échappe, une sorte de mort.
Elle va au fil du récit jouer avec ses partenaires, elle va prendre des cours de tennis , ce qui va lui donner la force de réussir et de comprendre les envies perverses de Hum, elle sait qu'il est excité de la regarder jouer, il aime la voir transpirer, courir, sauter, pour voir sa jupe se soulever et découvrir sa culotte, elle sent cet homme excité et bander au bord des cours. Elle joue de lui, se masturbe à côté de lui pour le rendre fou, à le diable au corps, par vengeance, Hum en devient fou, elle a ce pouvoir sur lui, mais elle se déprave, devient sale, elle le domine sur son propre pouvoir celui du sexe. Lui raconte un rêve érotique, inventé, des histoires sur ses amies du collège. Elle fera e même avec Clare lui racontant la perversité de Hum et un mensonge sur son camp, pour finir emporté dans les méandres de la spirale du sexe et devenir actrice de porno sous la domination de ce Clare.
La déchéance de Dolorès est comme
Justine ou les Malheurs de la vertu de
Sade, elle va de malheur en malheur et au moment où tout est calme, le destin en décide autrement, sa mort en accouchant.
Christophe Tison entraine le lecteur dans une chute inévitable, Dolorès glisse lentement vers la mort et nous sommes témoin de ce cheminement, du camp à cette maison de Rick celui qui l'aime, cette jeune femme enceinte, n'est plus seule, moins perdue dans les bras de Rick, il y a un lien entre leurs ventres, une communion.
Un roman riche et intense, une douleur froide frisonne votre chair à cette lecture.