Disons que les spaghettis sont comme nos lignes de vie. Dans la boîte, elles sont parallèles, bien alignées et protégées de la réalité. Dès que tu les sors, c'est la catastrophe et tout fout le camp.
Tu peux en faire ton excuse ou tu peux en faire ton histoire
Comme dirait Lara Fabian, je t'aime.
Mais t'as jamais voulu savoir. La seule chose qui compte, c'est le basket ! Le basket, le basket, le basket ! Le reste, t'en as jamais rien eu à faire, ni de moi, ni de Maman, et même pour Papa t'es pas foutue d'aller sur sa tombe. Et au passage, si tu pouvais éviter de péter un câble avec Maman ce soir, pour une fois, ce serait bien, parce que là, tout de suite, on a autre chose à gérer que tes conneries !
- Je bosse à la maison ce matin, Anaïs a rendez-vous à l'hôpital cet après-midi.
- Tu veux venir avec nous à Bichat ? demande Anaïs.
Je me demande quand l'hôpital Bichat-Claude-Bernard est devenu "Bichat", ça sonne comme le diminutif qu'on donne à un vieux pote qui fait partie intégrante de sa vie.
- Tu lui as posé quoi comme question ?
Anaïs s'appuie à la paroi de la douche et enroule le bout de sa natte blonde autour de son index.
- Je lui ai demandé si j'allais mourir.
La petite phrase, prononcée d'une voix tranquille, reste suspendue entre elle et moi. Une grenade dégoupillée qui met quelques secondes à exploser dans ma poitrine et d'un seul coup, l'air n'entre plus dans mes poumons. Je me déteste. Je me déteste de n'avoir pensé qu'à moi dans cette histoire. Je me déteste d'être tétanisée, de me taire une fois de plus, de ne pas être capable de la serrer dans mes bras et de lui dire, que, évidemment, elle ne va pas mourir, qu'elle ne doit pas avoir peur. Mais ce serait un mensonge de plus, parce que en réalité, je n'en sais rien. Je n'ai jamais rien voulu savoir sur Marfan et les risques réels. Alors, je reste là, muette et immobile, seule avec ma lâcheté face à ma petite sœur qui me dévisage derrière ses épaisses lunettes, et je me demande quand elle a hérité de la sagesse et de la maturité de maître Yoda.
Je pense à toi à peu près deux mille fois par jour. Je vois une feuille, une salière, une voiture, un savon, je pense à toi.
Quand on se retrouve côte à côte, un peu essoufflés, un peu sonnés, je comprends qu'il y a peu d'endroits au monde, en dehors d'un terrain de basket, où je me sentirais plus à ma place que blottie dans ses bras.
Disons que les spaghettis sont comme nos lignes de vie. Dans la boîte, elles sont bien parallèles, bien alignées et protégées de la réalité. Dès que tu les sors, c'c'est la catastrophe et tout fout le camp.
Le problème, c'est qu'on ne voit que ceux qui ont réussi, on ne parle jamais de ceux qui se sont blessés la veille du match qui aurait dû les propulser au sommet, ceux qui ont eu un coup de malchance le mauvais jour.