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Critiques filtrées sur 5 étoiles  
L'histoire des peuples a toujours progressé sous l'impulsion de femmes et d'hommes aux idéaux précurseurs, des combattants de la première heure au destin parfois tragique. Roger Casement fait partie de ceux-là.

Il est rare qu'un civil puisse mener des combats contre l'impérialisme destructeur dans des endroits aussi éloignés les uns des autres, tels Boma situé dans le Bas-Congo, Iquitos au fin fonds de l'Amazonie péruvienne, Dublin en Irlande.
Seul peut-être l'empire britannique, à l'apogée de l'ère victorienne, pouvait offrir à un de ses sujets un champ d'action aussi vaste.

« le rêve du Celte » est un roman biographique retraçant la vie de Roger Casement, écrit par Mario Vargas Llosa en 2010 l'année même où il a été récompensé du Prix Nobel de littérature.

L'écrivain péruvien choisit d'emblée de présenter Roger alors qu'il se trouve incarcéré en 1916 à Pentoville près de Londres. Il vient d'être condamné à mort pour haute trahison suite à un trafic d'armes en provenance d'Allemagne et destinées aux nationalistes irlandais de l'IRB. le gouvernement anglais doit se prononcer incessamment sur son recours en grâce.

En cellule individuelle, Roger se remémore les faits marquants de sa vie, ainsi le roman est-il découpé en trois grandes parties :

• Congo :
Roger est un idéaliste qui veut le bonheur des Africains. Il n'a pas une mentalité de colonisateur mais d'aventurier.
Il a vingt ans en 1884 et fait partie d'une expédition au Congo emmenée par le célèbre aventurier en terre africaine : Henry Morton Stanley.
Mais au fil des ans les désillusions s'accumulent. Les actes de barbarie perpétrés à l'encontre des indigènes par les colons, conduisent Roger à rédiger un Rapport qui fait grand bruit dans l'opinion anglaise.
.
• Amazonie :
Diplomate au Foreign Office, Roger accompagne une commission d'enquête péruvienne sur des crimes commis dans des plantations d'hévéas au Putumayo, région où opère une compagnie anglaise cotée à la bourse de Londres : la Peruvian Amazon Company.
Son livre bleu sur le Putumayo, publié en 1912, a un retentissement international. Roger y dénonce les atrocités de cette compagnie britannique pratiquant l'esclavage et la torture et exterminant les peuples indigènes.

• Irlande :
Contrairement à ses réussites diplomatiques dans la défense des opprimés, l'activisme clandestin de Roger pour la cause irlandaise semble empreint d'amateurisme voire de naïveté comme si le patriotisme aveuglait la lucidité. Les Services secrets anglais surveillaient depuis des années ses moindres faits et gestes et son arrestation en avril 1916, peu de temps avant l'insurrection irlandaise de Pâques, n'est pas le fruit du hasard.

Isolé du monde, Roger frissonne et pense aux femmes qui ont marqué sa vie :

• Sa mère qui le couvrait de baisers et de caresses lui le petit dernier de la famille. Une femme svelte qui semblait flotter plutôt que marcher et qui est morte alors qu'il avait neuf ans.
• Sa cousine préférée Gee dont les parents ont recueilli sa fratrie au décès de son père ; Roger avait onze ans.
• L'historienne irlandaise Alice Stopford Green qui lui a fait découvrir l'Irlande. C'est chez elle qu'il a rencontré des intellectuels, des artistes, des politiques, tous ardents défenseurs de la cause irlandaise.
Un jour Alice l'avait surnommé : « le Celte ».

Oui, les femmes appréciaient beaucoup la compagnie de cet homme sensible et généreux, au regard attiré par les corps musclés des garçons de Boma, d'Iquitos ou d'ailleurs…

L'incroyable activisme de Roger Casement et la fluidité du style de Mario Vargas Llosa font que le romanesque prime sur la biographie. Pourtant l'auteur ne donne jamais l'impression d'embellir le parcours de vie de cet homme courageux et les traits moins avenants de son caractère ne sont pas occultés.

« le rêve du Celte » est un livre instructif sur les dérives épouvantables du colonialisme.
Il donne l'opportunité de découvrir un des premiers réveilleurs de consciences du siècle dernier, Sir Roger Casement, un aventurier profondément dévoué à la défense des causes humanitaires, un homme à la personnalité complexe mais néanmoins attachante.
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C'est après une expédition avec Stanley dans des forêts d'hévéas congolaises, propriété personnelle du roi de Belgique, que Roger Casement consul anglais d'origine irlandaise va dénoncer la barbarie des hommes de Léopold II. Par la suite, diligenté par le gouvernement britannique en Amazonie péruvienne, chasse gardée des comptoirs anglais qui extraient aussi le caoutchouc, il fait le même constat : les sociétés exploitantes se comportent vis-à-vis de la population avec la même sauvagerie que les Belges au Congo.

De retour en Irlande, Roger Casement, qui est né à Dublin, mais dont le berceau familial paternel est en Ulster, réalise que son pays est colonisé par les Britanniques. Cette prise de conscience le rallie à la cause des nationalistes irlandais. Malheureusement, son engagement pour libérer L'Irlande le conduit, pendant la Première Guerre mondiale, à chercher l'aide de l'Allemagne. Et malgré l'intervention de nombreuses personnalités, il est pendu pour haute trahison.

Le combat de Roger Casement, pour alerter sur les exactions perpétrées par les colons européens en Afrique et en Amazonie, était un combat juste. Mais idéaliste, naïf, homosexuel, anticolonialiste, Roger Casement avait une personnalité qui dérangeait, ce qui explique peut-être que ses amis n'ont pu le sauver. Ce livre, qui témoigne de son destin extraordinaire, écrit avec le talent et la sensibilité du péruvien Mario Vargas Llosa, est passionnant et essentiel pour appréhender les méfaits de la colonisation.
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Mon intérêt pour Roger Casement remonte à bien des années, au détour d'une émission de radio j'ai entendu parler de cet homme, de sa lutte au Congo contre les abus de la colonisation mais je n'avais jamais rien lu à son propos.

A la parution du roman biographique de Mario Vargas Llosa c'était pour moi une évidence et un désir fort de lire ce livre, de retrouver la personne de Roger Casement et son destin tout à fait extraordinaire.
Cette biographie romancée commence dans les geôles anglaises à l'heure ou Roger Casement attend son recours en grâce après une condamnation à mort pour trahison.

Enfant de Dublin, il est marqué par la religion et l'aventure, protestant par l'éducation mais catholique par sa mère, il écoute avec passion les récits de son père qui a passé plusieurs années à combattre en Inde et en Afghanistan.
Il rêve enfant « l'Afrique, un continent dont la seule mention emplissait sa tête de forêts, de fauves, d'aventures et d'hommes intrépides ». Ses héros sont Stanley et Livingstone.
A vingt ans il s'embarque avec un âme de croisé, il va participer « à l'émancipation des africains et en finir avec leur retard, leurs maladies et leur ignorance » et quand il est retenu pour participer à une expédition au Congo avec Henry Morton Stanley, il touche au paradis...Il est aisé de comprendre pourquoi il deviendra ami avec Joseph Conrad.

Très vite il a des doutes sur la colonisation, il a du mal a accepter ce qu'il voit, le mépris, les droits bafoués, son héros est un coquin dénué de scrupules, on pille, on fusille, chicotte (fouet en peau d'hippopotame) dans une main l'évangile dans l'autre !
Les africains esclaves construisent des routes pour acheminer la sève d'hévéa, l'or noir. La situation va s'aggraver quand le roi Léopold II devient « propriétaire » du Congo et construit une fortune colossale en pillant le pays et décimant la population.
Le chemin est long entre le jeune idéaliste de 20 ans et le Consul de sa majesté envoyé au Congo en 1903 pour faire un rapport qui portera son nom. le gouvernement britannique s'inquiète des dénonciations faites par des associations, des missions, des églises quant aux conditions d'extraction du caoutchouc. C'est en homme intègre et déchiré qui va établir son rapport, il note tout, interroge tout le monde, promet protection aux africains qui acceptent de témoigner. le constat est effrayant « Des bourgs décimés, des chefs de tribu décapités, leurs femmes et leurs enfants fusillés. » Les raids sur les villages pour trouver de la main d'oeuvre, les corps mutilés par la chicotte, les mains coupées, les viols.
Son rapport au Foreign Office eu un retentissement important « La presse, les églises, les secteurs les plus avancés de la société anglaise » sont horrifiés par les révélations du rapport et le roi Léopold sera contraint de « faire don » du Congo à son pays.

C'est son intransigeance, son intégrité qui vont le mener sur un deuxième terrain d'observation au chez les indiens du Putumayo, cet épisode est nettement moins connu que son action en Afrique, là les intérêts et la responsabilité de la Grande-Bretagne sont patents, la Peruvian Amazon Company appartient à un Péruvien mais elle est côtée à la Bourse de Londres et de nombreux hommes d'affaire britanniques y ont des intérêts. Cruauté,exactions, esclavage des indiens, le tableau est identique, l'Amazonie présente un tableau similaire et Roger Casement parfois au péril de sa vie, va accomplir ici aussi son devoir : dénoncer et combattre cette barbarie au service des intérêts financiers de son pays.

Comment un homme de cette envergure, reconnu, admiré, devenu Sir Casement, peut finir dans une prison anglaise ? Je vous laisse découvrir la dernière partie de la vie de Roger Casement, son combat pour une Irlande libre qui va le porter vers des solutions extrêmes. Va être portée à la connaissance du public son penchant pour les jeunes garçons et livrer ainsi à l'opprobre et à l'oubli ce défenseur des droits de l'homme.
C'est un livre magnifique que je vous invite à ajouter à votre bibliothèque, le style ample de Mario Vargas Llosa est à la hauteur du personnage. le talent de conteur sert magnifiquement le combat de Roger Casement sans cacher ses faiblesses. La construction est certes classique mais le style est flamboyant, l'Afrique et l'Amazonie sont restituées de très belle façon grâce au souffle romanesque de Vargas Llosa.
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Une biographie étonnante d'un personnage peu ordinaire et peu connu en France, Sir Roger Casement (1864-1916). Il fut tour à tour explorateur aventurier dans l'Afrique de Livingstone et Stanley, diplomate en vue de l'Empire Britannique, rédacteur de rapports dénonçant les atrocités commises en Amazonie (région péruvienne d'Iquitos) et au Congo par les sociétés exploitant le caoutchouc.
Il fut l'un des grands combattants anticolonialistes et défenseurs des droits de l'homme et des cultures indigènes de son temps, et un ardent artisan de l'émancipation de l'Irlande.
C'est ce dernier combat, en tant que nationaliste irlandais, qui va causer sa perte.
C'est un livre magnifique dont on a du mal à se détacher même si le personnage principal de ce livre, sir Casement, a été l'objet de vives controverses du fait de sa vie privée et de son entêtement à chercher une alliance avec l'Allemagne, alors en guerre contre l'Angleterre, en vue de favoriser l'accession à l'Indépendance de l'Irlande.
C'est une somme de témoignages, de détails palpitants sur la vie politique, diplomatique et économique de l'Europe, de l'Afrique et de l'Amérique du Sud à ce tournant de l'Histoire : la fin du 19ème siècle et le début du 20 ème siècle marqué par cet affrontement terrible entre les grandes puissances coloniales.
Un grand moment d'Histoire… et de lecture… qui montre une fois de plus, si besoin est, le grand talent de Mario Vargas Llosa, prix Nobel de Littérature de 2010.

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Le rêve du Celte, c'est le titre d'un poème écrit en 1906, par Roger Casement, que Mario Vargas Llosa a fait sortir de l'oubli, et dont il fait le personnage de son dernier roman, pour faire partager ses propres valeurs, pour les droits de l'homme, contre le colonialisme, mais aussi probablement pour montrer la fragilité de l'homme engagé. Roger Casement, Irlandais, est diplomate de l'empire britannique au 19 ème siècle, passionné par les explorateurs de l'Afrique, il devient consul au Congo propriété privée de Léopold 2, roi des belges, il va révéler au monde l'ampleur des atrocités qui sont commises par les blancs sur les populations noires pour la récolte du caoutchouc, dont la consommation explose dans la seconde moitié du 19ème siècle. Lorsqu'il rentre en Angleterre son rapport fait sensation, il se voit alors confier une nouvelle mission en Amazonie ou des monstruosités sont également commises, toujours pour le caoutchouc, par une société, cotée à la bourse de Londres. Par son enquête, et son second rapport, il réussit à faire cesser les actes d'esclavage perpétrés sur les populations indiennes. Dans le début du 20 ème siècle, ses révélations, font de lui un des héros de l'humanisme et de la défense des droits de l'homme, il est anobli par la couronne. Mais, lors de ses séjours dans les pays colonisés, il prend conscience, que l'Irlande, est également sous le joug de l'empire britannique, sans que la population ne fasse l'objet de l'exploitation subie par les noirs et les indiens, il devient alors un militant pour l'indépendance, qu'il ne croit pas possible sans un combat armé. Alors que la guerre de 14-18 débute, il s'allie avec l'Allemagne, dans l'espoir d'une attaque de celle-ci pour chasser les Anglais d'Irlande, au minimum, pour la fourniture d'armes pour les insurgés. Son plan échoue, arrêté, il est condamné à mort pour haute trahison. Par la construction savante de son roman, Mario Vargas Llosa, nous plonge, en alternant les chapitres, à la fois dans les réflexions de Roger Casement en prison, qui espère une grâce, qui décrit le monde idéal dont il rêve, qui parle de religion, de la mort, de sa peur avec son confesseur, qui reçoit la visite de ses derniers soutiens, et dans le récit de sa vie en Afrique, en Amazonie, dans son combat d'indépendantiste, dans son intimité. A travers les rapports, au début tendus, puis fusionnels, entre Roger Casement et son geôlier, Mario Vargas Llosa, nous donne à lire des pages d'une grande intensité, notamment lorsque le "shériff " se confie sur la mort de son fils dans les tranchées. Ce roman nous montre la complexité de l'engagement et de l'action politique, qui élève le même homme du statut de héros, à celui de traître et de paria. J'avais été emballé par le roman sur Léonidas Trujillo " La fête au bouc ", qui décortiquait avec minutie la construction et la chute d'une dictature, je suis également ébloui par celui-ci qui rappelle ce que les empires européens ont fait subir à l'Afrique et l'Amazonie. Agressions, qui se sont poursuivies au 20 ème siècle pour l'exploitation de l'or, des diamants et de la forêt. (lire " le Massacre des indiens " de Lucien Bodard publié en 1969)
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Qui est Roger Casement? Né à Dublin en 1864, Roger Casement est une figure mystérieuse de l'histoire de l' Irlande et de la Grande Bretagne. Mario Vargas Llosa, l'auteur péruvien couronné en 2010 du Prix Nobel, s'attarde dans son nouveau livre sur la vie de ce diplomate, aventurier et révolutionnaire controversé.

Orphelin avant sa dixième année, Roger Casement deviendra diplomate pour la Couronne. Dépêché par la Foreign Office il part en Afrique pour une enquête sur le traitement des indigènes dans les compagnies qui exploitent du caoutchouc dans le Congo Belge avant de faire de même en Amazonie, au Pérou.

Toute sa vie, Roger Casement luttera pour trouver un juste équilibre entre utopie et combat. L'engagement, il le connaîtra dans les forêts du Congo. Là, lui qui avait grandit bercé, comme la majorité de l'Europe, dans le rêve de cette civilisation que les pays plus cultivés apportaient aux pays sauvages et barbares, se retrouve face à une réalité qui dépasse toutes ses conceptions de la barbarie. Mais la sauvagerie n'est pas le fait de ceux qu'il avait escompté.

En effet, si l'esclavage n'est plus de mise, les hommes triment sous la crainte du fouet, les familles sont séparés, les fuyards torturés. A mesure que les européens saignent les arbres pour leur précieux liquide, les indigènes tombent sous les coups et la cruauté de ceux qui sont finalement leurs maîtres, nullement leur employeur, et encore moins les porteurs de la lumière de la civilisation.

Dégoûté par ce qu'il estimera être réellement un « enfer » digne de celui dépeint par Dante, il rédigera un rapport qui créera un certain scandale sur le traitement des hommes au Congo. Fort de ce premier combat, Casement partira pour l'Amazonie, au Putumayo, où il découvrira une situation similaire.

Face à ces atrocités, au mépris de la liberté des hommes par d'autres hommes, Casement prendra pleinement conscience de sa nationalité irlandaise et de la situation de mise sous tutelle de son propre pays.

Mario Vargas Llosa narre donc les multiples existences de cet homme incroyable, aventurier honoré (il sera anoblit par le roi), homosexuel en secret, solitaire de toujours, qui sacrifiera tout à sa tâche et à ses convictions. S'il connaît une fin aussi dramatique que son envolé fut foudroyante, son parcours laisse néanmoins à réfléchir. Si c'est face aux atrocités des dérives du colonialisme qu'il prit conscience de son désir – de son besoin- d'indépendance pour son pays, il est notable que c'est suite à la guerre et à la menace de l'invasion germanique que la notion d' empires et de colonies qui prévalaient en Europe commencèrent à s'effriter. Comme s'il avait fallu un affrontement radical entre plusieurs conceptions du monde, entre deux altérités, pour prendre finalement conscience de son propre soi.

Mario Vargas Llosa suit donc la vie de Roger Casement, de sa mission au Congo à sa perte en Grande Bretagne. La vie de l'aventurier irlandais est celle d'un homme intègre, intransigeant et travailleur. Celle d'un homme, néanmoins. Loin des portraits des héros ou des saints, Casement était un homme solitaire et qui distribuait surtout mal sa confiance. Mais un homme capable de faire bouger l'opinion publique, de ceux qui tirent – pathologiquement ou pas- un trait sur leurs vie privée pour un intérêt plus grand.

Il est intéressant que l'écrivain au prix Nobel ait déterré sa mémoire et surtout son souvenir. Mort dans la polémique, on doit sa résurrection littéraire à la lecture par son auteur du récit de voyage au Congo de Joseph Conrad, où le romancier relate comment un certain irlandais lui aurait ouvert les yeux sur les méfaits du colonialisme…

Une lecture intéressante à tout point de vue.

Lien : http://madamedub.com/WordPre..
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Je découvre Mario Vargas Llosa avec ce titre, qui m'a complètement emballée.
Accusé de haute trahison, un homme attend, dans la cellule d'une prison britannique où il affronte chaque jour l'ostensible mépris de son gardien, le verdict définitif de sa condamnation. Cet homme, c'est l'irlandais Roger Casement. Dans la solitude de sa geôle, Il a tout le temps de revenir sur son incroyable parcours, sur ses erreurs et ses aveuglements, et sur la dernière et plus intense de ses passions, qui le consume et l'envoie à la mort…

En 1883, alors âgé de 19 ans, il part pour la première fois en Afrique, en tant que contremaître dans l'une des expéditions de Henry Stanley. C'est un jeune homme robuste et laconique, peu porté à la plaisanterie, sérieux et travailleur. L'argent lui importe peu, et ce n'est pas la quête de richesse qui le motive : il est porté par la conviction des bienfaits que les européens, en y introduisant le progrès et la civilisation, apportent à une Afrique stagnant dans la préhistoire, plongée dans le cannibalisme et la traite d'esclaves.

Désigné par la suite comme consul britannique dans l'Etat Indépendant du Congo, alors propriété du roi belge Léopold II, il prend peu à peu conscience de la terrible réalité du colonialisme, réalise que les causes principales de l'hécatombe du peuple congolais ne sont pas, contrairement à ce que prétend le discours officiel, les maladies, mais la cupidité et la cruauté, l'inhumanité du système implacable que représente l'exploitation du caoutchouc.

"Si j'ai appris une chose au Congo, c'est qu'il n'existe pas de pire animal sanguinaire que l'être humain."

Avec l'autorisation du Foreign Office, qui cherche depuis plusieurs années, à la suite de divers témoignages, à obtenir des preuves des exactions commises au Congo contre des "travailleurs" venus des colonies britanniques de l'Afrique occidentale, il s'engage dans une enquête de longue haleine, éprouvante, qui confirme et va même au-delà de ses premières constatations, et lui fait mesurer l'ampleur de sa naïveté quant aux intentions humanistes des colons européens.

Le rapport qu'il en tire, minutieux, étayé, confirme les atrocités systématiques commises non seulement sur les sujets britanniques, mais également sur l'ensemble de la population congolaise, hommes, femmes, enfants, et vieillards. Il a jusqu'au-delà des frontières anglaises un écho retentissant, et contraint le roi belge à accepter la nomination d'une commission d'enquête.

Ce succès incitera plus tard les autorités britanniques à confier à Roger, qui entretemps aura été consul au Brésil durant 4 ans, une mission similaire en Amazonie, où il découvre une autre horreur. La Peruvian Amazon Company, principale entreprise sud-américaine d'exploitation de ce caoutchouc dont l'Europe a un besoin croissant, règne sur des territoires dont l'éloignement et l'isolement renforce son impunité et sa toute-puissance. Les indiens sont capturés lors de raids violents afin de servir de main d'oeuvre, et sont maintenus sur les exploitations par la force et le chantage : leurs femmes sont gardées dans des bâtiments où elles subissent fréquemment des viols. Les enfants sont quant à eux vendus comme domestiques aux blancs qui résident dans les bourgades avoisinant les exploitations. Ils y travaillent jour et nuit, subissant coups et abus sexuels. La quasi-totalité des tribus indigènes s'éteint ainsi sans que personne ne bouge le petit doigt.

Là aussi, l'infatigable Roger Casement enquête, constate, rapporte, et fait éclater un scandale qui sonnera le glas de la compagnie péruvienne, dont les contremaitres ayant profité de leur pouvoir absolu pour laisser libre cours à leurs tendances sadiques s'en tireront néanmoins à bon compte…

Ces années de combat, de confrontation avec cette extrême violence, dans des conditions sanitaires et climatiques souvent épouvantables, épuiseront l'irlandais, moralement et physiquement.

Atteint de paludisme, perclus de douleurs arthritiques récurrentes et de terribles crises hémorroïdaires, il sent par ailleurs son équilibre mental chanceler à plusieurs reprises. Il ne baisse jamais les bras malgré sa désespérance et le vertige qu'il ressent à l'idée du nombre d'enclaves de sauvagerie dont on ne viendra jamais à bout, mais redoute, à force de côtoyer cette brutalité, de basculer lui aussi dans la folie et la cruauté.

C'est un autre combat qui est à l'origine de sa disgrâce aux yeux d'un gouvernement britannique qui l'a préalablement décoré pour son action au Congo puis en Amazonie. La découverte en Afrique du mensonge, de l'injustice et de la violence qu'est le colonialisme a fait naître la conscience de son identité irlandaise (citoyen d'un pays occupé et exploité par un Empire qui a vidé l'Irlande de son sang et de son âme) qu'il enveloppe de la nostalgie romantique et de rêveries poétiques qu'il associe au souvenir de sa mère morte quand il était enfant. Persuadé que seul le combat par les armes permettra aux irlandais de recouvrer liberté et indépendance, il acquiert par ailleurs la conviction que la guerre est l'occasion pour l'Irlande de tirer son épingle du jeu en se rapprochant de l'Allemagne. Choix qui lui vaudra non seulement d'échouer en prison, mais aussi de perdre la quasi-totalité de ses amis et soutiens.

C'est ainsi un bilan bien sombre qu'établit le prisonnier sur son existence. A la douleur qu'a ancrée en lui le spectacle incessant d'une barbarie qu'il en venu à considérer comme chevillée à l'âme humaine -certains contextes lui permettant de se montrer à visage découvert et d'aboutir aux pires monstruosités- et l'échec de sa tentative pour participer à la lutte indépendantiste irlandaise, s'ajoute la tristesse du vide de sa vie sentimentale. Roger a assouvi une homosexualité refoulée auprès d'amants d'occasion réels ou fantasmés, mais n'a jamais connu l'amour. Il finit par ailleurs ses jours pauvres, ayant utilisé tous ses revenus en dons aux organismes humanitaires luttant contre l'esclavage et le droit à la survie des peuples et cultures primitives, puis en faveur d'institutions défendant le gaélique et les traditions irlandaises.

Mario Vargas Llosa nous livre avec cette biographie romancée un texte profond et passionnant, réhabilitant la figure de ce juste quasiment relégué dans les oubliettes de l'Histoire et lui donnant corps, nous attachant irrémédiablement à ce héros complexe et faillible, mais profondément humaniste.

Indispensable.


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Sorte de roman biographique, le rêve du Celte de Mario Vargas Llosa nous conte les derniers jours de Roger Casement. Ils sont l'occasion d'aborder toute la vie et toute l'oeuvre du personnage, en insistant sur les expéditions de l'homme ainsi que ses combats. de l'Irlande et l'Angleterre au Congo et au Pérou en passant par les États-Unis et l'Allemagne, le lecteur est amené à voyager dans l'espace, mais aussi dans le temps. Au tournant du XXe siècle, Casement représente la dénonciation de l'asservissement de l'homme dans les colonies et aussi le rêve d'une Irlande indépendante.

Très romancée, cette histoire n'est pas moins biographique et l'on sent encore une fois tout le travail d'investigation de Vargas Llosa. L'auteur reste avant tout un écrivain et son ouvrage est rédigé dans un style fluide, plaisant et nous sommes captivés et intrigués par ce personnage. On sent, néanmoins, quelques longueurs, notamment sur la partie irlandaise.
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Un livre foisonnant de détails aussi passionnants qu'inquiétants sur la période coloniale au Congo, ainsi qu'au Pérou (Putumayo) ; sur l'exploitation des indigènes pour les seuls profits occidentaux ; se terminant sur le soulèvement irlandais de Pâques.

Basé sur une histoire absolument réelle, cet ouvrage se révèle particulièrement détaillé, grâce à la documentation et aux rapports réels de Roger Casement, alors diplomate pour le Foreign Office britannique.

Une alliance particulièrement réussie entre faits réels, ressentis des personnages, le tout au travers d'une plume particulièrement agréable à lire. Les quelques 500 pages ont été avalée en une petite dizaine de jours, tant la fluidité de l'écriture et l'intérêt historique incitait à ne plus lâcher ce Vargas Llosa...

Le volet relatif à l'homosexualité de ce diplomate est également intéressant et développé de manière relativement discrète, mais bien présente, dans un contexte et une époque où ce type d'orientation ne jouissait pas de la même "acceptation" qu'un siècle plus tard.

Très vivement et sincèrement recommandé... Une très belle découverte, bien que particulièrement macabre dans les faits détaillés et malheureusement bien réels.
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Une découverte totale de l'homme et de la condition des indigènes du Congo et d' Amazonie. C'est donc une lecture positive. En parallèle,la lecture des tortures infligées à ces indigènes est insupportable.
Et on se pose toujours la même question: "comment un être humain peut-il jouir de son sadisme et de sa cruauté ? "
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