Ce tome fait suite à
Boy Maximortal #1 (2017) qu'il faut avoir lu avant.
Il est paru sans prépublication, en 2020, écrit, dessiné, encré et lettré par
Rick Veitch. Il comprend un chapitre complet de Boy
Maximortal de 50 pages, numérotées de 54 à 103, à la suite de celles du tome 1. Il comprend également un récapitulatif en 1 page de 6 cases du premier chapitre, un mot de deux pages de l'auteur apportant un peu de contexte sur l'avancement de son récit, et sur la provenance des dessins et histoires dans les pages suivantes. En particulier
il explique que le modèle d'impression qu'il a choisi fait que le prix est le même que l'ouvrage comporte 50 ou 108 pages, c'est la raison pour laquelle il inclut d'autres de ses oeuvres en fin de tome.
Précédemment : l'obsession du sorcier (brujo) survit, un créateur de comics se cache, un enquêteur est la proie de cauchemars, un éditeur se voit aculé, un autre auteur de comics vit dans son imagination blessée, un héros vole à nouveau. le 15 septembre à Slumberg en Pennsylvanie, Sidney Wallace arrive devant un libraire vendant des comics et se fait bousculer par un groupe de gamins pressés d'acheter le dernier numéro de True-Man. Il y pénètre à son tour et se fait fouiller par un individu au fond de la boutique, puis il peut entrer dans la pièce où se tient un dénommé Jiggs. La discussion s'engage : Sid demande à Jiggs un petit coup de pouce pour l'aider à contrer
J. Edgar Hoover. Jiggs lui explique comment il a réussi à négocier avec le patron du FBI : il dispose de photographies compromettantes. Il suggère à Wallace de trouver son propre levier. En ressortant de l'arrière-boutique, il ajoute que le bureau de Wallace est sur écoute. Dans la boutique, il s'adresse aux enfants, leur indiquant que l'homme qui l'accompagne est Wallace, scénariste et dessinateur de True-Man. Ça les fait rire parce qu'il s'est représenté dans le comics avec une tête de belette, comme s'
il était un individu fourbe et veule.
De retour dans son bureau, Sydney Wallace convoque son adjoint Sitwell pour lui passer un savon. Il met la musique à fond afin que l'agent qui écoute les conversations n'entende pas ce qu'il dit. Il frappe Sitwell pour avoir laissé passer sa caricature infamante. Sitwell accuse les coups en demandant pardon, et en indiquant qu'il a fait une découverte étonnante : leur mystérieux auteur qui écrit les histoires de True-Man n'est autre que Jerry Spiegel l'un de ses cocréateurs. Wallace mesure tout de suite l'importance de ce que vient de lui révéler Sitwell. Il le fait sortir de la pièce, arrête la musique, parle tout haut pour demander à l'agent du FBI de le mettre en contact avec Hoover parce qu'il a une information qui l'intéresse. le 4 septembre 1963 à Bantam au Texas, la factrice Greta s'est assise sur les genoux de Newton S. Wisely en plaçant sa tête contre sa poitrine opulente. Elle commence à défaire son uniforme, alors que Newton lui demande de se calmer parce que son fils Wesley est juste dehors. Elle le rassure :
il est occupé à discuter avec une jolie donzelle Eva Evans. Cette dernière l'interroge sur le comics de True-Man, d'où vient ce superhéros, comment il vit, qui est sa copine.
Avec le premier chapitre,
Rick Veitch reprenait une histoire qu'il avait laissé en jachère pendant vingt-cinq ans, racontant l'histoire de ce superhéros improbable, sur fond d'histoire des comics et de spiritualité. Il commence par une page de rappel en 6 cases, conscient qu'il s'est écoulé deux ans et demi entre la parution des 2 chapitres. Les personnages reviennent tout de suite à l'esprit du lecteur : le sorcier dans sa mare de déjections de chauve-souris, les créateurs de True-Man (personnage équivalent à Superman), l'agent Dulles de la CIA, l'éditeur de comics Sydney Wallace, le créateur de comics Jacob Kurstman et Wesley Wiseman (Boy
Maximortal). Dans ce chapitre, seule la moitié de ces personnages apparaissent : Brujo, Dulles et Kurstman n'y figurent pas.
Il est donc question des volontés d'expansion des activités de Wallace qui se heurtent aux manigances de
J. Edgar Hoover, d'une autre enquête de Dulles cette fois-ci au Vietnam et de la prise d'autonomie de Wesley qui prend conscience de sa véritable nature. le lecteur suit avec intérêt chacun de ces fils narratifs : le plaisir de voir Wallace se heurter à beaucoup plus fort que lui, l'enquête de Dulles qui se mêle à
L Histoire, et bien sûr cette nouvelle incarnation du superhéros dans sa jeunesse. Ses dessins s'inscrivent dans un registre descriptif et réaliste, avec un bon niveau de détails, et des contours discrètement arrondis pas endroit, les rendant très agréables à l'oeil, sans pour autant les rendre tout public
Le lecteur se rend compte que Veitch sait capturer l'apparence des personnages historiques qui apparaissent dans ce chapitre : Mike Wallace (1918-2012),
Aldous Huxley (1894-1963),
J. Edgar Hoover (1895-1972), Thich Quang Duc (1897-1963). Comme dans le chapitre précédent, le récit s'inscrit dans son époque. Cela commence avec une version synthétique de l'interview donnée par
Aldous Huxley au journaliste Mike Wallace à la télévision, évoquant sa thèse selon laquelle les États-Unis risquent de devenir une véritable dictature du fait de la généralisation de technologies modernes comme la télévision, avec une société accordant de plus en plus d'importance au matérialisme, au rationalisme, à la science, réduisant d'autant la part accordée à la spiritualité. Ces 4 pages sont étonnantes : deux individus assis parlant face à la caméra sur fond noir, interrompus une à deux fois par page, par une pause commerciale. Pourtant, ce passage est passionnant, le lecteur buvant les paroles du romancier, prenant de plein fouet l'absurdité de le voir interrompu par des réclames crétines. L'élément historique suivant est tout aussi déstabilisant et encore plus effrayant. L'agent Dulles se rend dans le Vietnam du sud, à Bien-Ho en 1963, avec une connaissance partielle de ce que les États-Unis se préparent à entreprendre dans les semaines à venir. Ce savoir de la guerre à venir contraste avec les cases de la largeur de la page montrant un beau pays, puis la sérénité du monastère où il va rencontrer le vénérable Thich Quang Duc. Comme dans le chapitre précédent, l'auteur a choisi de prendre des libertés avec quelques dates ou noms. Ainsi l'auto-immolation du bonze bouddhiste ne se produit pas en juin 1963, mais en septembre de la même année. L'artiste ne se fait pas voyeuriste, s'en tenant au célèbre cliché de Malcolm Browne (1931-2012). Qu'il connaisse cette photographie ou non, le lecteur reste horrifié par cet acte terrible. Ce passage vient en écho de l'interview d'
Aldous Huxley sur l'importance de la spiritualité.
Le fil narratif relatif à Wesley Wiseman / Boy
Maximortal s'avère tout aussi intense. Il atteint l'âge adolescent et une magnifique jeune fille s'intéresse à lui. C'est le temps des premiers émois et des premières expériences sexuelles. le père comme le fils ont une relation sexuelle, mais pas en même temps. Cela donne lieu à des dessins explicites en termes de nudité frontale, mais pas pornographiques (pas de gros plan de pénétration), ni même érotiques. Visiblement
Rick Veitch s'amuse bien, que ce soit avec la pauvre Greta prise comme cible par le sperme de Boy
Maximortal, ou Eva effrayée par la taille de l'engin du même Boy
Maximortal. L'auteur sait donner de la légèreté à cet humour en dessous de la ceinture, sans réduire la femme à un objet, sans la dégrader, sans non plus montrer les hommes comme des bêtes en rut, en proie à leurs pulsions. Il s'agit d'un rite de passage normal, sans rien de dramatique. le lecteur sourit franchement en voyant le vol de spermatozoïdes de Boy
Maximortal, et le vol de Greta qui s'en suit. En toile de fond, Veitch continue de développer l'histoire des comics, avec cet auteur qui revient à ses amours, même après été traité comme un employé indésirable, avec le mépris de Sydney Wallace pour les jeunes lecteurs, avec le principe que les superhéros sont l'incarnation d'un archétype moral qui dépasse son apparence colorée et ses muscles, en étant en prise direct avec des principes universels de vie, ce que subodore l'agent Dulles en écoutant le moine bouddhiste définir le Tao.
Avec ce deuxième chapitre,
Rick Veitch ne fait pas du sur-place, ne ressasse pas les mêmes théories jungiennes que dans le premier. Il continue de dérouler une narration visuelle évidente et agréable à l'oe
il, en restant dans un registre réaliste, faisant preuve d'un certain recul, et d'un humour léger. Il montre au lecteur ce que devient Boy
Maximortal, ainsi que les principaux personnages qui lui sont associés, tout en ancrant ces développements dans l'actualité de leur période en 1963. Il choisit ces éléments historiques pour l'impact qu'ils ont eu sur l'inconscient collectif américain, parce qu'ils s'y sont inscrits durablement, marquant les esprits. D'un côté,
Aldous Huxley dépeint un peuple américain dont les libertés se retrouvent obérées par une technologie pernicieuse, régimentant le quotidien, asservissant l'individu dans sa routine, l'abrutissant par le biais de programmes télévisuels étudiés pour. D'un autre côté, il rappelle à quel point ce moine s'immolant a choqué, à la fois pour le désespoir des bouddhistes, à la fois par un acte que l'occidental ne parvient pas à rationnaliser, un vrai traumatisme pour la société occidentale. Un deuxième chapitre tout aussi extraordinaire que le premier par sa sophistication, son ambition et son accessibilité. Les suppléments sont sympathiques, entre une série de 15 illustrations pour un livre sur Sharon Tate, une courte nouvelle en prose de
Sherlock Holmes (très réussie), des histoires courtes et des illustrations en pleine page de superhéros.