"C'est lorsque le bien comprend qu'il ne viendra pas à bout du mal qu'il devient lui-même le mal absolu. Qu'il devient fanatique", a écrit
Grégoire Bouillier dans son livre :
le coeur ne cède pas.
Et pour l'historien il y a beau faire, quand presque tout est noir, comment échapper au manichéisme ?
Et pourtant...
Frère Girolamo Savonarola (Jérôme
Savonarole, né le 21 septembre 1452 à Ferrare) n'est pas que le moine dominicain austère, le Fou et le Bras Vengeur de Dieu ou le censeur moraliste décrit par tant et tant d'auteurs et de biographes. Influencé par le thomisme, parce qu'il avait tout lu de Thomas d'Aquin, il s'était senti attiré vers l'ordre dominicain dont il avait décidé de revêtir l'habit.
Marie Viallon a très bien repéré cet enracinement fondateur à l'origine d'un engagement sincère et fidèle et d'une obéissance à la lettre et sans faille à la règle de l'ordre. Mais voilà, ce littéralisme venait d'un esprit plein de raideur et sans concession. Son ordination sacerdotale en 1477 et un certain don oratoire lui donnèrent un grand pouvoir sur les âmes et il en abusa immédiatement dans ses sermons, ce qui bien sûr eut l'art de déplaire, surtout quand il fut envoyé en ministère dans la ville de Florence, qui vivait par et pour les succès commerciaux et financiers en même temps que par et pour les arts. Il tempêta contre les peintres, les sculpteurs, les lettrés, les philosophes qui s'affranchissaient alors, avec l'approbation des hommes de pouvoir, notamment des Médicis, des règles et des canons religieux pour peindre la beauté corporelle et vanter la liberté d'inspiration dans leurs oeuvres. Devenu prieur du couvent San Marco en 1491, il tenta d'attirer la sympathie d'humanistes, et c'est ainsi que l'on trouva bientôt parmi ceux qui acceptaient de frayer avec lui des hommes admirables comme
Pic de la Mirandole et
Marsile Ficin. Y avait-il, comme on l'a pensé un temps, un accommodement de Frère Jérôme avec la pensée néo-platonicienne ? L'autrice ne valide pas cette hypothèse, qui lui paraît fort hasardeuse au regard de l'intransigeance dogmatique de
Savonarole, très à cheval sur les principes chrétiens dans ce qu'ils avaient de plus tranchant. Se développait chez lui une tendance au prophétisme, qui ulcérait les uns mais semblait ravir ou subjuguer les autres, de sorte que deux camps s'étaient formés autour de cet homme, une partie étant irréductiblement hostile, mais le plus grand nombre croyant sérieusement qu'il exprimait bien dans ses sermons les volontés divines. Son message portait chez les plus influençables et chez les esprits inquiets, et il ambitionnait d'entraîner ses "fidèles" dans l'idée de créer bientôt dans la ville une république de la vertu et de la justice. Il condamnait la licence, la concupiscence, le luxe trop ostensible, mais il avait aussi, au fond de lui, au travers de cet idéal de pureté absolu, le souci de faire des Florentins un peuple d'élus divins, et souhaitait qu'ils pussent obtenir de leurs gouvernants la garantie de leur liberté, tout en assurant les autorités qu'il ne voulait pas remette en cause le pouvoir du Grand Conseil. Dans son esprit, les Florentins devaient être les pionniers d'une réforme de l'Église universelle. Il n'était pas le dictateur que l'on a trop souvent décrit, car il comptait plus sur l'adhésion consentie que sur une autorité imposée. Reste qu'il inspirait bien de la peur, et qu'il lui suffisait qu'il en fût ainsi pour réussir à convaincre qu'il agissait pour le bien. C'est ainsi qu'il faut comprendre l'autodafé du 7 février 1497, où les Florentins jetèrent de gaieté de coeur, dans un "Bûcher des Vanités" bijoux et oeuvres picturales, au cours d'un rassemblement pénitentiel qui avait pris la place du carnaval annuel jusqu'alors très prisé. Mais, on la vu,
Savonarole ne s'était pas fait que des amis à Florence. Certes, il avait pu impressionner les foules et abuser les esprits crédules en annonçant la venue prochaine, dans la botte italienne, d'un "nouveau Cyrus", et de fait, l'entrée en 1494 des troupes françaises en Toscane, avec le roi Charles VIII à leur tête, sembla lui donner raison. Il gagna en popularité en négociant en personne avec le souverain français un arrangement qui permit à la ville d'éviter un sac. Mais l'emprise de plus en plus grande du moine sur la République florentine et le fait qu'il vouait aux gémonies le pape Alexandre VI Borgia lui valurent peu à peu de perdre de son influence et de son aura. En février 1498, le Pontife romain exigea qu'on lui fît remettre celui qui osait défier son autorité. Les Florentins craignant de se voir condamnés avec lui, lâchèrent alors
Savonarole qui mourut pendu puis brûlé le 23 mai 1498, ses cendres étant jetées dans l'Arno.
François Sarindar