Je rêve l'Abbaye, — oh, sans abbé ! —
Je rêve l'Abbaye hospitalière
A tous épris d'art plus ou moins crottés
Parce que plus ou moins déshérités. . .
En telle Hellade très fleurie
Et pas pourvue d'académies
Bien loin, je rêve l'Abbaye
A la fois gaie et recueillie
Où vivre libres, en thélémites passionnés !
Où vivre quelques-uns et quelques-unes,
Artistes, artisans,. penseurs, buveurs de lune...
Nous nous aimerions mieux que des frères ;
Elles s'aimeraient mieux que des sœurs,
Et nous seraient douces comme des fleurs ;
Car tout n'est-il pas possible en rêve ?
Je rêve l'Abbaye ...
Être un peintre : Donner un peu
D'ivresse, enfin à ses pauvres yeux !
Car nos lampes, nos lampes,
Bien que douces et confidentes
De leur petit crépitement,
Bien que si blondes, nos lampes
Tueront nos yeux, sûrement,
Nos pauvres yeux saturés d'elles. . .
Dans le rets des mots captivant l'Idée,
Nous sommes ceux de la nuit,
Et nous avons désappris
Cette fraîcheur : la matinée. . .
Être un peintre. . . Quand le soleil quitte les formes,
Pareillement quitter son labeur ;
Et puis la nuit, dormir comme dorment
Les enfants, les animaux, les fleurs.
Goûter le logique repos
Que n'amoindrit pas la veillée,
Celui qui fait limpide les journées,
Et les matins, oh ! les matins dispos...
Être un peintre !... Prendre ses pinceaux le matin
Avoir besoin du bon, du généreux seigneur
Le Soleil, qui donne leur vie chaude aux couleurs,
Qui allume les doux cheveux et le satin,
Et qui caresse d'or les nuques et les mains. . .
Être un peintre
. . .Le clair atelier où du ciel pénètre.
La toile sonore au lieu du papier. ..
Plus le petit puits noir des encriers,
Mais large et rutilante, la palette ! . .
Les deux buveurs, Charles Vildrac