Cette histoire constitue le début d'une série indépendante de toute autre. Ce tome contient les épisodes 0 à 7, initialement parus en 2003/2004, écrits par
Mark Waid, dessinés par
Barry Kitson, encrés par James Pascoe, avec une mise en couleurs d'Alex Bleyaert et Chris Sotomayor. L'épisode zéro avait été publié sous la forme de 2 épisodes en 2000, par un label indépendant Gorilla Comics, fondé par
Mark Waid. Ils ont été republiés ensuite, ainsi que le reste de la série par DC Comics.
Mark Waid et
Barry Kitson ont donné une suite à ce récit en 2015 : Empire uprising (en VO).
Cette histoire se déroule quelques années dans le futur, alors qu'un supercriminel appelé Golgoth (revêtu d'un armure jaune et noire et enveloppé dans une grande cape rouge) a conquis la Terre. Il a levé une armée et s'est attaqué à une nation après l'autre, mettant à profit son avantage tactique, à savoir la téléportation. Au moment où commence le récit il ne reste que de rares poches de résistance sur Terre, et quelques nations qui doivent encore plier le genou devant lui, mais la domination totale est assurée. Il est assisté par une équipe de ministres à faire peur : Tumbril (ministre du renseignement, tortionnaire en chef), Lucullan (ministre des armées, et compagnon de la première heure de Golgoth), Kafra (ministre de l'information, immobilisé et encastré dans une machine, réécrivant sans cesse
L Histoire en faveur du vainqueur à savoir Golgoth), Xanna (ministre de…, juste la meilleure assassin de l'Empire), Rogent (Ministre du temps), Grieze (ministre des envois, surtout ad patrès), Valpurgis (Ministre du culte).
Golgoth exécute lui-même chaque opposant, chaque envoyé diplomatique qui ne fait pas acte de soumission sans condition, chaque traître ou plus simplement chaque individu coupable d'une erreur dans sa hiérarchie. Il veille à l'éducation de sa fille Delfi, protégée de son mode de vie, et dans l'ignorance de ses actions réelle. Il distribue lui-même l'Eucharist (une gélule au contenu mystérieux) à ses fidèles ministres à intervalle régulier. Malgré sa poigne de fer et sa gouvernance dictatoriale sans état d'âme, quelques détails lui échappent. Sa fille Delfi entretient une relation charnelle sans qu'il le sache. le Groenland semble disposer d'une arme secrète bien cachée. Quelques-uns de ses ministres ont leurs propres objectifs personnels.
Et si le méchant avait gagné ? Dans les récits de superhéros, c'est un sous-genre à part entière.
Mark Waid rentre dans le vif du sujet dès la première page : c'est chose faite, Golgoth (avec son costume de supercriminel) a gagné : il est déjà le maitre du monde, à peu de détails près. Il est vraiment méchant, tuant tous ceux qui prêtent pas allégeance, ou dont la soumission n'est pas pleine et entière. À plusieurs reprises, il se salit les mains en tuant froidement un individu soupçonné de quoi que ce soit (pas de besoin de preuve), ou en massacrant des troupes de soldats ennemis. À plusieurs reprises,
Barry Kitson le représente avec du sang sur les mains (enfin sur les gants) et sur le casque. D'ailleurs l'introduction de
Mark Waid et la postface de
Barry Kitson indiquent clairement que ce dernier a participé à la conception de l'intrigue, en effectuant régulièrement des propositions à
Mark Waid pour l'étoffer.
Barry Kitson s'est fait connaître en travaillant d'abord pour 2000 AD (en particulier pour les aventures de Psi-Judge Anderson), puis régulièrement pour Marvel (Amazing Spider-Man), et DC (LEGION avec
Keith Giffen, Legion of SuperHeroes également avec
Mark Waid). Il réalise des dessins de type réaliste avec un petit degré de simplification, très propres sur eux, très faciles et agréables à lire. Dans un premier temps, le lecteur apprécie ces images claires et immédiates. Pour donner un peu plus de crédibilité aux exactions de Golgoth et de ses ministres,
Barry Kitson insiste un peu plus sur les encrages épais et les aplats de noir que dans ses autres oeuvres. James Pascoe respecte les traits de Kitson, avec un encrage méticuleux, des traits fins, des aplats de noir aux contours nets et légèrement polis. de fait malgré le degré de détails des dessins, cette façon d'arrondir discrètement les contours a pour effet de minimiser l'intensité des images les plus violentes. Ainsi le dessin pleine page présentant Tumbril en pleine séance de torture d'un prisonnier, avec dépeçage à vif est choquant dans ce qu'il représente, mais n'agresse pas le lecteur faute d'être viscéral. de la même manière, les tâches de sang sont trop figées pour être écoeurantes. Cet effet dédramatisant se trouve un peu accentué par une mise en couleurs parfois un peu vive.
Cette neutralisation partielle de l'horreur graphique est sans nul doute un choix effectué sciemment. Par exemple, l'apparence de Golgoth repose sur le jaune brillant de son armure, et le rouge vif de sa cape. Cette représentation l'inscrit dans le registre des méchants affrontant les superhéros, avec costume voyant. le concept de l'armure évoque un mélange de Doctor Doom et d'Iron Man, pour une apparence originale, et quand même un peu sinistre, du fait que le lecteur ne voit jamais son visage. Les costumes des autres ministres évoquent également des costumes moulant de superhéros, un peu moins voyants, mais tout aussi près du corps. La narration visuelle reste à destination d'un large public, même si les actes montrés atteignent un niveau élevé de violence, teinté parfois de sadisme (exécution de sang-froid, torture physique).
Barry Kitson affectionne beaucoup les plans rapprochés et les plans poitrine pour les phases de dialogue. Néanmoins il sait rendre ces passages vivants, en montrant que les personnages sont dans l'action. Les expressions des visages ne sont pas très nuancées, mais elles suffisent pour faire comprendre l'état d'esprit du personnage, ou le sentiment principal qui l'habite. L'artiste adapte le degré de détails dans les arrière-plans en fonction de la séquence. Il peut être très minutieux : l'appareillage dans lequel Kafra est immergé et raccordé, l'ameublement de la chambre de Delfi, la serre au sommet du bâtiment du siège du gouvernement de Golgoth, la ville portuaire sur le Nil, les monceaux de cadavres lors de l'avancée de Golgoth. Ils peuvent être beaucoup plus sommaires une fois que Kitson les a détaillés en ouverture de séquence, ou lors des scènes de dialogues. le lecteur n'oublie quand même jamais où se déroule une action ; il apprécie quand l'environnement se fait visuellement plus dense.
La narration de
Mark Waid est en phase avec celle de
Barry Kitson : des personnages à la psychologie peu fouillée, des motivations très claires et souvent monolithiques (sauf pour Golgoth dont l'histoire personnelle n'est guère abordée), Un personnage principal avançant sans état d'âme, sans remords, sans empathie. L'intrigue est moins sommaire, puisqu'elle entremêle plusieurs fils narratifs, sur la trame globale du parachèvement de la domination mondiale de Golgoth. Il subsiste quelques rares poches de résistance, dont le Groenland qui semble disposer d'un allié inattendu et d'un armement capable de faire réfléchir Golgoth. Chaque ministre a fait serment d'allégeance inconditionnelle à leur maître Golgoth, mais ça ne les empêche pas de continuer à avoir des pensées indépendantes. le lecteur plonge dans une intrigue bien fournie, avec trahisons à la cour de l'empereur Golgoth.
Néanmoins
Mark Waid fait plus que simplement tricoter une intrigue mêlant suspense, manigances et conquêtes militaires. Les ministres Lucullan et Xanna sont introduits dans leur joli costume moulant comme des archétypes sans épaisseur. Il en va tout autrement de Kafra, le ministre de l'information, dont le corps est intégré dans un appareillage technologique qui le recouvre entièrement, sauf le visage, et dont il ne peut pas sortir. Sa première apparition se fait sous la forme d'un dessin pleine page dans lequel il est en train de corriger les flux d'information télévisuelle en temps réel (avant diffusion) pour les reformuler systématiquement à l'avantage de Golgoth et de son régime. le lecteur pense tout de suite à une version améliorée et plus efficace de Winston Smith dans
1984, le roman de
George Orwell paru en 1949. Il y a quelque chose de fascinant dans cette révision de l'Histoire en instantané.
Alors que le récit prend de l'ampleur, le lecteur découvre que les agissements d'autres ministres révèlent le sadisme insidieux du régime de Golgoth. Il n'y a pas à discuter : il exécute sommairement tous ceux qui s'opposent à lui, ou qu'il estime n'avoir pas été à la hauteur de ses attentes. Mais parmi ses sbires, chacun souhaite garder sa place, et intrigue à sa manière pour asseoir sa base de pouvoir. Dans sa position de ministre de l'information, Kafra engrange de nombreuses informations dont certaines lui mettant la puce à l'oreille et l'incitant à fouiller plus profond. Xanna a décidé de mener sa propre enquête sur la nature réelle de l'eucharist, cette drogue distribuée parcimonieusement par Golgoth lui-même à une poignée de fidèles lieutenants (essentiellement ses ministres). Golgoth se montre d'un machiavélisme exceptionnel avec ce dispositif, et d'une cruauté incroyable quant à sa source d'approvisionnement.
Waid continue de montrer les conséquences du comportement de Golgoth sur son entourage, avec Delfi sa propre fille. le scénariste montre l'influence que le comportement d'un individu peut avoir sur un autre, à commencer par son enfant. Finalement sous ses dehors un peu superhéros, le récit révèle une noirceur adulte, s'émancipant d'un simple manichéisme.
Dans les premières séquences, le lecteur éprouve l'impression que les auteurs se sont contentés de reprendre les codes d'un comics de superhéros pour raconter l'histoire d'un supercriminel qui a gagné et qui est devenu le maître du monde à un ou deux détails près. Il apprécie les dessins clairs et précis de
Barry Kitson et il se laisse porter par les intrigues de palais au sein de l'empire. Il constate que cette nature un peu adolescente de la narration ne constitue pas un obstacle à une noirceur plus adulte, avec des thèmes plus complexes.