Il y a quelques années, j'avais lu une interview de
James Ellroy dans laquelle il évoquait
Joseph Wambaugh comme une influence majeure, en particulier son roman "les nouveaux centurions". Ce roman, plus édité, étant difficile à trouver, je m'étais rabattue sur une autre oeuvre de
Wambaugh, "le" mort et le survivant" drame policier de très haut niveau mais très déprimant. J'avais également eu l'occasion de voir le flm adapté des "nouveaux centurions" à la cinémathèque (titre français du film : "les flics ne dorment pas la nuit"), très bon métrage réalisé par Richard Fleischer avec Stacy Keach et George C.Scott. Plus tard, j'étais enfin parvenue à me procurer "les nouveaux centurions" (une occasion à une trentaine d'euros tout de même) qui est allée dormir dans ma PAL pendant plusieurs années. J'ai bien fait de l'en sortir.
S'inspirant largement de sa propre expérience,
Wambaugh a été flic pendant plus de 10 ans, "les nouveaux centurions" suit pas à pas 3 jeunes policiers, depuis l'école de police jusqu'aux émeutes de 65. Il n'y a pas d'enquête fil rouge mais des tranches de vie de ces jeunes flics qu'on suit de patrouille en patrouille. D'ailleurs, en terme de narration, il est évident que "les nouveaux centurions" a eu une influence considérable sur le polar, que ce soit en littérature ou à la télévision. le roman de
Wambaugh préfigure nettement les séries créées par David Simon ("Homicide", "The wire") par un traitement réaliste et par sa façon d'accorder plus d'importance au flic qu'à l'affaire dont il est chargé.
L'influence sur
Ellroy est également très facile à voir, dans la description d'une Los Angeles décadente et séduisante à la fois, où se côtoient l'humanité la plus noble et la misère la plus terrible.
Certains aspects sociétaux paraîtront datés, voire pourront choquer. Par exemple, le passage évoquant les homosexuels aligne les clichés, les raccourcis et peut sans peine être qualifié d'homophobe. Mais il faut remettre le roman dans son contexte. "Les nouveaux centurions" est paru en 71 et à cette époque, la société considère encore largement l'homosexualité comme une déviance. Ce chapitre permet en outre de découvrir les méthodes de travail de la police des moeurs.
Le travail des policiers est dépeint dans toute sa réalité. Sergio, Roy et Gus, les 3 personnages principaux, sont confrontés à des situations révoltantes, poignantes ou absurdes.
Wambaugh ne se met pas d'oeillères et n'hésite pas à évoquer le caractère parfois complètement vain et vide de sens du travail de policier.
"Les nouveaux centurions" malgré un côté très réaliste n'est pas un documentaire mais bien un roman qui bénéficie de la plume vive, acérée et crue d'un auteur qui maîtrise parfaitement l'art de l'ellipse. le récit est habité par des personnages parfaitement campés, fouillés, qui ont de l'épaisseur. Les portraits de Serge, Gus et Roy sonnent juste. L'auteur ne fait pas d'eux des héros justiciers ni des salauds, juste des types simples et ordinaires faisant un boulot particulier. Faillibles, stressés, angoissés, ils encaissent comme ils peuvent. Ils souffrent, ils aiment, ils espèrent... et le lecteur est littéralement embarqué à leurs côtés. le lecteur s'attache intensément aux hommes derrière l'uniforme. Et je défie quiconque de rester de marbre à la lecture de ce dénouement qui est parmi les plus intenses que j'ai pu lire.
Ce roman remarquable, trop méconnu en France (il n'était même pas référencé sur Babelio), mériterait vraiment de sortir de l'oubli. Fans d'
Ellroy, amateurs de polars ou simplement amoureux de beaux personnages, courez lire "les nouveaux centurions".