Née d'un pelvis violacé par le froid et emportée plus tard au sud jusqu'aux verts pâturages des Midlands, d'un ton sensiblement plus soutenu, Annie Elizabeth Crook avait parfois entendu son nom prononcé Cook, sans qu'elle sût pourquoi, mais dans sa tête c'était parce que le vent changeait de nature quand on passait du nord au sud ; voilà ce qui arrivait quand on quittait l'Ecosse : le "r" sautait ; on ne le roulait plus alors, ce qui n'empêchait pas de continuer à manger ses mots, à parler avec ce fort accent antiseptique. (…) Ayant atterri au milieu de l'Angleterre, où il y avait moins de vent, car on n'était nullement près de la mer, au début elle ne songea pas à descendre plus au sud ; elle se contenta de faire des courses pour les autres et les jours (nombreux) où elle ne travaillait pas, d'avancer dans les bois des environs à travers d'énormes bancs de jacinthes sauvages dont elle ramassait des brassées presque trop lourdes à porter jusqu'à la petite masure près de l'église (deux pièces à l'étage, deux au rez-de-chaussée, onze personnes) ; quand elle avait rapporté trop de fleurs à la maison, elle reprenait le surplus, après s'être fait houspiller par ses parents pour excès de zèle et en jonchait sous elle la terre des latrines installées au sommet d'une pente raide surplombant la Ruthin. Dans cette cabane qui sentait la porcherie, elle faisait ses besoins par le trou ovale d'un couvercle en bois (…). Elle en détournait son esprit peu instruit et préférait songer à la façon dont chaque jour elle déposait sa prune au-dessus de la beauté et de l'odeur capiteuse des jacinthes qu'elle avait traînées jusque chez elle, pure comme une fée des bois…
Ouverture du roman, dans l'exceptionnelle traduction de Jean-Pierre Richard