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4,07

sur 389 notes

Critiques filtrées sur 4 étoiles  
Un mariage raté, une vie conjugale âpre, rance, un amour adultère lumineux, mais auquel il doit renoncer, une vie professionnelle peu flamboyante. Stoner vit sa vie de prof, «voûté dès son plus jeune âge» et meurt sans laisser grand souvenir.
Ça ne vous fait pas envie? Vous avez tort. L'art de John Williams est de nous faire sentir, sous cette apparence peu reluisante, une énergie vitale, une ardeur profonde. Stoner est un grand amoureux. Fils de paysan, il entre à l'université pour un cursus d'agronomie. le cours d'introduction à la littérature qu'il doit suivre le plonge d'abord dans un état de confusion très pénible. Mais un jour, il a une sorte d'illumination. Il va se mettre à ressentir, aux prises avec le pouvoir de la littérature, une mue intérieure très profonde, avec l'impression de se désincarcérer de son propre corps pour pénétrer le monde auquel il appartient, où il se tient auprès de Tristan et Iseult, Paolo et Francesca, Hélène et Pâris, dans une intimité impossible à connaître auprès des gens rencontrés dans la «vraie» vie.
Pourtant, dans la «vraie» vie aussi, William Stoner va connaître une belle et profonde histoire d'amour, à 43 ans, avec Katherine Driscoll, parvenant enfin à se sentir en parfaite confiance avec un être vivant, à mêler plaisir du corps et vie de l'esprit.
Mais, même derrière l'indifférence, le flegme, le repli qui semblent parfois caractériser Stoner, elle est toujours là dans sa vie, intense, inébranlable, la flamme, la passion, «d'une façon détournée, curieuse, il en avait fait don à chaque instant de sa vie et c'est probablement dans les moments où il en fut le moins conscient qu'il avait été le plus prodigue... À une femme ou à un poème, il avait simplement dit: Regarde! Je suis vivant.»
Une écriture «feutrée», comme indiqué sur la couverture, peut-être pas mon style d'écriture préféré, mais dans le genre, c'est réussi.
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William Stoner n'a rien du héros romanesque : toute sa vie il traversera les années tête baissée, se tiendra voûté sous le poids d'une vie sombre et ingrate, lourde de lassitude et de chagrin muet… et pourtant on se laisse prendre par la main de l'auteur qui nous promène sur le chemin d'un récit délicat et hors du temps, avec une voix particulière qui offre à cette vie passée sous silence une vibration unique.

Marié à une femme acrimonieuse, obligé de vivre dans un monde hostile, ce fils de fermier devenu professeur au sein de l'Université du Missouri mène une vie sans plaisir, mais sans heurt non plus. Doux et sensible, il apprivoise lentement les choses qu'il n'a pas apprises dans la ferme austère de son père lorsqu'il était enfant. Pour les choses et les comportements vulgaires qu'il ne peut appréhender, il trouve refuge auprès de ce qui l'a profondément révélé à lui-même : la littérature. Seul son amour des livres lui permet de conserver un air placide face aux mesquineries et aux rancunes tenaces qui le poursuivent toute sa vie durant.

C'est peut être cela qui rend ce personnage attachant. Un homme trop poli pour se plaindre, qui n'emploie jamais de phrases violentes ou implacables susceptibles de blesser autrui ou d'ébranler le cours de sa vie. Un homme qui a conservé la naïveté de sa jeunesse, la simplicité et la maladresse de sa pauvreté d'origine. Un homme digne qui refuse les querelles d'égo, l'arrogance du savoir et les manoeuvres de couloir. Bref, un homme animé par un profond « respect craintif et émerveillé ».

Mais c'est aussi la plume gracieuse et parfois naïve de John Williams qui magnifie ce destin fragile. On se laisse absorber par un texte coloré d'une tonalité profonde et grave qui saisit parfaitement les vicissitudes de la vie et les afflictions masquées. L'auteur se cache derrière une narration à l'empathie lointaine qui parvient à faire émerger de cette vie pleine de tristesse pudique quelques instants de bonheur et de tendresse lesquels apparaissent comme autant de séquences lumineuses et précieuses.


Le livre raconte un homme qui a vécu comme un étranger à sa propre vie, qui s'est parfois très (trop ?) rapidement abandonné à une impuissance silencieuse, une résignation discrète. Certains peuvent être tentés de considérer ce personnage comme lâche et faible. Et pourtant on s'émeut de la volonté de Stoner de s'accrocher à des valeurs humaines qui apparaissaient déjà au début du XXe dépassées.
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« Où qu'il fût, quoiqu'il fît et aussi longtemps qu'il vécut, la détresse de l'humanité lui servit de marque-page. »
1910 : William Stoner, fils unique d'un couple de fermiers du Missouri, se destine à prendre leur relève à la suite d'études en agronomie à l'Université de Columbia. Son professeur titulaire, sorte de figure paternelle, voit en lui le germe d'un futur pédagogue. Et c'est à l'enseignement que Stoner consacrera son existence. « Voilà, se disait-il, je deviens un enseignant, un passeur, un homme dont la parole est juste et auquel on accorde un respect et une légitimité qui n'ont rien à voir avec ses carences, ses défaillances et sa fragilité de simple mortel. »
Sa vie professionnelle le mettra à l'abri des deux grandes guerres du XXe siècle, mais ne le protégera pas des aléas d'un mariage raté, des vexations subies par un collègue envieux, de sa faiblesse envers sa fille Grace et de ses amours contrariées avec une jeune universitaire.
Stoner, c'est le déroulement d'une vie d'homme et de son siècle et aussi un vibrant hommage à la connaissance et à la bienveillance. Anna Gavalda, la traductrice, le dit ainsi : « (…) un roman qui ne s'adresse pas aux gens qui aiment lire, mais aux êtres humains qui ont besoin de lire. »

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J'avoue être assez déconcerté en refermant le livre de John Williams. Comme son personnage, Stoner, j'éprouve moi aussi une réelle difficulté à trouver les mots justes pour exprimer mes sentiments et, surtout, je ne le cache pas, l'ambivalence que m'a suscité cette lecture.

Il ne s'agit aucunement pour moi de remettre en cause les qualités très appréciables de ce roman. Au contraire, je trouve que cet ouvrage est un bel objet littéraire, assez joliment façonné. Réaliste et classique sur la forme, son style, agréable et fluide, se révèle particulièrement fin, touchant, restitué de surcroît avec soin et grâce ici par l'excellente traduction d'Anna Gavalda. On y trouve des descriptions empreintes d'une grande acuité. L''écriture donne à voir, par des touches et des nuances impressionnistes, un décor ou une ambiance, un paysage ou une saison, un détail anatomique révélateur ou bien l'éclat changeant d'une carnation, joliment, avec un lyrisme naturel, sans fioritures.

Le contraste a été pour moi d'autant plus saisissant -voire, en l'occurrence, déconcertant!-, entre, je dirais d'un côté, une plume inspirée, irisée, focalisant d'un oeil toujours bienveillant et délicat les tribulations du personnage qu'elle construit au fur et à mesure, et d'un autre, le récit d'une existence d'une platitude qui m'a paru par moments exaspérante. Dont le but essentiel semblerait se résumer à pouvoir traverser la vie, à l'image d'ailleurs évoquée par le patronyme «Stoner», comme un «roc» : immuable et placide, résistant passivement aux intempéries et aux modifications intervenant dans son environnement.

Excepté quelques élans passagers, restés néanmoins sans suite, ou bien quelques rares épisodes furtifs de fougue ou de transcendance durant lesquels les «armes de la lassitude et de l'indifférence» dont son s'était emparé sa vie, seront provisoirement déposées et où Stoner pourra momentanément l'habiter véritablement , ce frugal personnage semble avoir opté pour «l'indifférence comme un mode de survie». Stoner s' exile de lui-même derrière une carrière universitaire sans ambitions, le mettant toutefois «à l'abri de la tempête», dans un mariage raté, et manifeste dans toutes situations un flegme résigné, une endurance silencieuse, aussi bien face à l'adversité qu'à tout désir personnel de changement.

La découverte de sa passion pour la littérature s'était pourtant d'emblée imposée à lui avec la force d'une véritable révélation. Cette attirance irrépressible envers la «chose littéraire», et pour l'indispensable dimension imaginaire qui la sous-tend et la nourrit, avait amené Stoner à rejeter sans trop d'hésitations les injonctions parentales, à se libérer de l'assujettissement à un destin auquel son milieu et sa condition sociale le vouaient au départ, à savoir, dans le meilleur de cas, suivre des études agricoles avant de pouvoir rejoindre ses parents et continuer à les soutenir dans leurs efforts de modernisation nécessaire à la survie de la petite exploitation familiale.

C'est ainsi, au début de ses études universitaires et grâce à l'émergence d'une passion nouvelle pour la littérature, en un mouvement dans un premier temps riche en promesses d'individuation, que le jeune Stoner découvre une nouvelle image de lui-même, ou pour être plus précis, dans le miroir se voit pour la première fois «comme de l'extérieur», éprouve le sentiment d'être, d'exister de manière autonome.

Ayant vécu l'expérience d'un état d'«atemporalité et de dédoublement» qui lui permet de s'extraire du carcan de l'indifférenciation dans lequel il avait vécu jusqu'à ce moment-là, Stoner décide de prendre son destin en main, change de cursus universitaire et, au bout de quelques années, jeune diplômé, en vient à occuper lui-même un poste d'enseignant au sein de la Faculté de Lettres où il avait suivi ses études.

Par la suite néanmoins, et tout au long de son existence, Stoner manquera cruellement de ce que le philosophe allemand Paul Tillich avait appelé «le courage d'être».

En dehors de son rôle d'enseignant et de ses missions pédagogiques auprès de ses étudiants, vécus comme une sorte de véritable sacerdoce, des solides principes que ces dernières lui inspirent et auxquels il s'astreindra avec parfois un entêtement obstiné envers et contre tous, en dehors de ce terrain connu et suffisamment «protecteur» de l'université, Stoner se révélera par ailleurs incapable de s'engager à titre personne, voire même de défendre ses intérêts propres ou de faire valoir ses désirs.

Son corps se voûtera prématurément, l'échine se courbera face à la banalité d'une vie «sans trop d'émotions», toute aspiration au bonheur étant progressivement remplacée par une attitude stoïque face à l'existence, aspirant dans le meilleur des cas aux vertus d'une vie, sinon épanouie, «du moins tranquille dans son malheur»....

Ainsi par exemple, quand la perspective d'une communion amoureuse se présentera-t-elle, qu'il réalisera enfin que l'amour ne se résume pas à un port d'attache rassurant contre les tempêtes de l'existence, que le sentiment amoureux ne consiste guère en «une fin en soi, mais un cheminement», il lui sera malgré tout impossible de franchir le pas et d'envisager un nouveau départ. Ce ne sera pourtant pas le scandale, ou les dégâts affectifs et matériels que la rupture de son mariage risquerait certainement de provoquer autour, et en lui, qui le feront reculer. Ce qui lui fera renoncer à cette occasion, unique dans sa vie, d'être aimé intensément par une femme, d'être comblé à la fois en tant qu'individu, amant et homme de lettres, ce sera avant tout le fantasme terrifiant d'une «destruction de soi-même».

Ce qui aura le dernier mot dans cette affaire ressemble donc, à défaut de toute autre explication plausible, à une peur atavique face au changement, véritable frayeur existentielle, archaïque et paralysante chez Stoner, plus forte que toute promesse de bonheur, le condamnant systématiquement à chercher refuge dans ce qui pourrait s'apparenter, de mon point de vue et à un tout autre niveau d'analyse, à une sorte de forteresse et de «faux self» dont il ne réussira jamais à se dépêtrer complètement...

Tel cet autre curieux personnage de fiction, au nom à consonance tout aussi minérale de «Stein», Stoner m'a donné aussi le sentiment d'avoir subi une sorte de ravissement de son être profond, d'en avoir été irrémédiablement clivé et d'avoir vécu à côté de lui-même et de ses rêves, le seul exutoire possible et toléré à ces derniers étant constitué par les livres, situé dans le terrain imaginaire et inexpugnable de la littérature.

Il ne lui restera donc en fin de partie, en tout et pour tout, maigre et triste consolation à mes yeux et dans mon âme inquiète de lecteur, que cet amour des livres, seule passion à laquelle «il s'était donné sans compter».

Stone essayera tout de même, l'âge venant, d'apprivoiser un sentiment d'échec qui commence malgré tout à pointer le bout de son nez!
Il se complaît alors dans une jolie trouvaille, dans un compromis lui permettant de conclure qu'il aurait au moins réussi dans sa vie «à dire à une femme ou à un poème : Regarde ! Je suis vivant».

Outre la beauté et un caractère indéniablement poétique, cette formulation serait-elle toutefois suffisante pour justifier l'effacement méthodique de ce même élan vital qu'il commémore? Stoner réussit-il à l'orée du grand voyage, ce sentiment de «quiddité», d'adéquation à soi-même, que nous recherchons tous à un moment ou un autre de nos existences, par sa tendance à s'accommoder toujours de peu?
«Qu'espérait-il d'autre de sa vie?», se demandera en définitive un Stoner au bout du compte apaisé, après avoir déroulé le film de son existence.

«Ambivalence», disais-je au début de ce billet...

Et qu'espérais-je, moi le lecteur, à la fin? Il y va de quelque chose que je refuse à entendre ou à accepter dans cette histoire? En quoi exactement m'attriste et me perturbe-t-elle? Par le sentiment de pessimisme résigné qu'à mes yeux elle distille subtilement, et m'infuse en toute douceur? Essaierais-je peut-être d'effacer un arrière-goût désagréable qu'elle m'aurait laissé en m'évoquant, pourquoi pas, la banalité de mes propres jours?

On l'entend souvent, n'est-ce pas, qu'il faut pouvoir accepter sereinement et sans regrets le fait qu'on aura fait de son mieux et qu'on aura vécu comme on a pu. Banale platitude (!), me susurrerait-il sournoisement mon coeur tourmenté ?

Malgré toute la beauté de ce que mes yeux ont parcouru sur le papier, mon coeur serait-il, lui, agité par la sensation que ce que Nietzche avait appelé «amor fati», cet amour de sa destinée, mais empli toutefois de puissance élégiaque face au chaos auquel on se sait malgré tout voué?
Stoner le confondrait-il avec une résignation passive face à la vie et aux renoncements qu'elle ne cesse de vouloir nous imposer ?

En littérature, mon coeur, finis-je par me dire, préfère une mélancolie grandiloquente, voire quichottesque, à cet arrière-goût laissé donc par un pessimisme et une tristesse que John Williams réussit en même temps, cest indéniable, à teinter de poésie et de beauté.

Je finirai ce billet «intranquille» par ces verssublimes de Fernando Pessoa qui, d'une manière ou d'une autre, font parfaitement écho à mes sentiments contradictoires vis-à-vis de cette lecture :

«Mon maître, mon coeur n'a pas appris ta sérénité,
Mon coeur n'a rien appris,
Mon coeur n'est rien,
Mon coeur est perdu.
(..)
Et puis, pourquoi m'as-tu appris la clarté de la vue,
Si tu ne pouvais pas m'apprendre à avoir l'âme avec laquelle voir clair?
Pourquoi m'as-tu appelé au sommet des montagnes,
Si moi, enfant des villages de la vallée, je ne savais pas respirer ?»

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Pourvu d'une écriture soignée, ce livre raconte une vie, la vie de william Stoner, fils de paysans très pauvre il deviendra professeur de littérature à l'université de Columbia, Missouri. Un long cheminement pour un homme intègre. Confronté à divers obstacles, il restera ce qu'il a toujours été : un passeur de savoir.
Un bon livre qui amène de nombreuses réflexions sur le sens de la vie.
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La quatrième de couverture est parfaite pour résumer ce récit d'une vie, récit qui peut semble linéaire et sans surprise et qui pourtant, par la grâce d'une écriture sensible et toute en retenue, s'avère passionnant. le jeune garçon voué à reprendre la ferme familiale, n'ayant pour modèle familial qu'un labeur constant et sans joie, est envoyé à l'université du Missouri grâce à une bourse d'études. Il doit y étudier l'agronomie, s'inscrit un peu par hasard à un cours de littérature et découvre un monde qu'il ignorait complètement. « Il avait ressenti entre les murs de Columbia le même sentiment de chaleur et de sécurité qu'il aurait dû éprouver enfant dans la maison de ses parents et qu'il n'avait justement jamais connu. »
Il va former quelques amitiés, rester en tant que professeur dans l'école qui l'a accueilli, ne pas quitter ce cocon même quand l'appel de la première guerre mondiale le pressera à s'engager. L'université apparaît comme une sorte d'abri contre le monde extérieur, comme le dit l'un des amis de Stoner, ce monde qui semble un peu feutré, brouillé, tant est riche la vie des livres, et la joie de la faire partager. le parcours sentimental de William Stoner sera même un peu mis en veilleuse par rapport à ses recherches littéraires, jusqu'à un certain moment, du moins. La scène du mariage rappelle un peu celle de "Sur la plage de Chesil", symbole d'une époque, sans doute. Stoner aura pourtant une vie de famille dans laquelle il devra s'investir... Ce que vous découvrirez quand vous ne manquerez pas de lire ce beau roman !
Car, enfin, après quelques déconvenues et abandons, voici enfin un livre que j'ai eu plaisir à retrouver et un personnage qui semblerait pourtant falot, mais dont le destin m'a fascinée. Rien à redire à la traduction d'Anna Gavalda, je ne peux pas juger de sa fidélité, mais l'ensemble est cohérent, fluide et rend bien compte de l'amour de la littérature qui porte William Stoner. Une superbe idée que cette réédition !
Lien : http://lettresexpres.wordpre..
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Stoner est un roman que j'ai remarqué plusieurs fois en librairie. Malgré la mention accrocheuse "lu, aimé et librement traduit par Anna Gavalda", j'ai l'impression que ce récit est resté assez confidentiel ; j'en ai vu peu de critiques sur Livraddict et sur la blogosphère en général. Ce n'est pas un roman vers lequel je me serais dirigée spontanément car je trouve la couverture assez austère. Je reconnais qu'elle possède un certain charme, et qu'elle est même intrigante (impression renforcée par l'absence de résumé sur la 4° de couverture) mais que voulez-vous, je dois être habituée aux graphismes tapageurs des ouvrages jeunesse !

J'ai décidé pourtant de tenter l'expérience après que ma collègue Isabelle me l'a mis entre les mains avec cette petite phrase : "une lectrice très difficile vient de le rendre, elle l'a trouvé superbe". Sans savoir vraiment dans quoi je m'embarquais, j'ai attaqué la lecture... de prime abord, Stoner m'a fait pensé à Freedom, de Jonathan Franzen. J'ai en effet trouvé que ces deux récits présentaient plusieurs similarités (bien qu'ils soient au final très différents) : une chronique américaine de vie(s) envolée(s), les regrets, la tristesse et la mélancolie... Comme Freedom, Stoner est marquée par une certaine lenteur ; les descriptions y tiennent une place très importante, qui pourra en décourager plus d'un. J'ai trouvé en revanche la plume de John Williams beaucoup moins lourde que celle de Jonathan Franzen, à qui j'avais déjà reproché la longueur épuisante de son récit.

Plus j'avançais dans la lecture, et plus j'étais frappée par l'incroyable banalité de la vie de William Stoner. Comprenez bien que je dis cela sans une once de reproche, je ne me suis pas ennuyée un seul instant. Mâtiné de satire sociale et d'ode à la littérature, Stoner est avant tout le récit du temps qui passe, de la vie qui s'écoule. Loin d'être complètement ratée, celle de Stoner déroule néanmoins son cortège de petites erreurs, d'actes manqués, de volontés étouffées et de paroles regrettées. Cette existence est bien marquée par quelques coups d'éclat, que le narrateur chérit mais qu'il est incapable de maîtriser. Spectateur de sa propre existence, il s'y noie peu à peu, regarde sa jeunesse s'en aller avec une acuité terrible. Car voilà la vraie malédiction de ce paysan devenu enseignant : il est parfaitement lucide, y compris dans ses derniers instants, et est donc à même de saisir toute la cruelle l'ironie de son triste sort.

John Willams signe avec pudeur, style, inexorabilité et habileté un roman à la fois triste et beau, empli de la conscience du temps qui passe et de l'urgence de vivre. On ferme Stoner le coeur serré, profondément ému, plein d'une énergie renouvelée pour croquer la vie à pleine dent.

Lien : http://livr0ns-n0us.blogspot..
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RÉSUMÉ:"Fils de paysan, William Stoner débarque à l'université du Missouri en 1910 pour y étudier l'agronomie. Délaissant ses cours de traitement des sols, il découvre les auteurs, la poésie et décide de se vouer à la littérature, quitte à décevoir les siens. Devenu professeur alors que la Première Guerre mondiale éclate, cet homme solitaire et droit traversera le siècle et les tumultes de sa vie personnelle avec la confiance de celui qui a depuis longtemps trouvé son refuge : les livres."

MON AVIS: C'est l'histoire d'une vie qui aurait pu être belle, lumineuse . Celle de Will, jeune homme effacé, sans ambition, qui ne se sent vivant qu'à travers les livres et toutes ces merveilles qu'ils renferment.
Au fil des pages j'ai assisté impuissante à un immense gâchis et j'avoue que parfois j'ai eu envie de secouer Will pour qui se révolte et existe enfin face à sa femme, profondément perturbée, face à certains de ses collègues professeurs imbus d'eux même et tellement prétentieux.
Mais cela n'arrivera pas et Will perdra à cause de son inertie la complicité qu'il avait avec sa fille, son magnifique amour interdit avec une jeune professeure, et la possibilité de donner tellement plus encore que ce qu'il n'a offert à ses élèves universitaires.
C'est un bijou littéraire que nous offre John William, à la beauté si sombre et magique apportée par des mots simples mais tellement explicites.
C'est une histoire triste, vraiment triste d'une étoile qui naît et ne brille que d'un éclat terne.

Lu pour le poche du mois du Picabo River Book Club
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Une écriture tout en retenue, sans en rajouter, sans grossir le trait. Un registre doux amer. J'ai été scotchée par cette écriture blanche (*) sur les 70 premières pages. le personnage principal avance à petits pas : des choix qui vont marquer toute son existence.
La première moitié est à mes yeux un roman de formation. La deuxième moitié fait alterner des accents élégiaques avec quelques rares moments d'accomplissement. Au beau au milieu du récit, un épisode qui m'a fait redouter un virage vers le banal roman de campus. Heureusement non.
J'ai pensé aux Trois soeurs de Tchekhov. Des rêves qui s'étiolent, l'incapacité d'agir, le sentiment de passer à côté de la vie. J'ai pensé à Frédéric Moreau de l'Education sentimentale. Cependant, à mes yeux Stoner n'est pas un loser.
Chapeau pour la traduction – un régal. A plusieurs reprises j'ai abandonnée des livres anglophones en raison de la traduction minable. Un exemple, Howards End de E M Forster. Ou alors le Rocher de Brighton de G Greene.
Un autre lecteur écrit dans son compte rendu : Stoner n'a qu'une seule passion, le savoir. Pas d'accord, nous n'avons pas lu le même livre.
Et encore un autre lecteur note : Stoner ne livre quasiment aucun combat. Là non plus, pas d'accord.
Cela arrive parfois sur notre réseau préféré, je l'assume avec sagesse.
(*) Ecriture blanche = neutre, distanciée, minimaliste, on connaît très peu les ressorts intérieurs du personnage
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John Edward Williams (1922-1994), est un universitaire, poète et écrivain américain. Après des études supérieures à l'université de Denver, il poursuit ses études à l'université du Missouri et décroche un PhD en littérature anglaise en 1954. A partir de l'automne 1955, il enseigne la littérature et l'écriture créative à l'université de Denver. Son oeuvre est courte, deux recueils de poèmes ainsi que quatre romans et en laisse un inachevé. Deux romans sont traduits en français, Butcher's Crossing (1960) que j'ai déjà chroniqué et ce Stoner qui date de 1965.
Fils de paysans, William Stoner (1891-1956) intègre par un hasard inespéré l'université du Missouri à Columbia en 1910 pour y étudier l'agronomie. Délaissant cette voie suite à la découverte des textes d'écrivains, il décide de vouer sa vie à la littérature et devient professeur alors que la Première Guerre mondiale éclate…
La vie de Stoner se résume à l'Université, il y entrera comme étudiant, passera toute sa vie professionnelle comme professeur avant d'y mourir à l'heure de sa retraite. Entre temps il aura épousé Edith et eu une fille ; une relation particulièrement pénible avec cette femme un peu déséquilibrée qui lui rendra la vie difficile, réduisant Stoner à être un colocataire dans leur propre maison, le tenant à distance de leur enfant. Même à l'Université, il devra subir l'adversité de Lomax, le président du département littérature, avec qui il ne partage pas les mêmes conceptions de l'enseignement. Un temps il connaîtra des instants de bonheur, lors d'une courte liaison avec Katherine Driscoll, une jeune collègue.
Tout ce qui précède vous semble certainement assez banal et ce n'est pas complètement faux car Stoner n'est pas un héros de roman éblouissant : il ne s'engage pas dans l'armée pour partir faire la guerre en Europe comme plusieurs de ses amis, avec sa femme il ne cherche pas imposer ses vues, c'est d'ailleurs le trait principal de son caractère, ne pas faire de vagues. Mais tout comme le roseau, s'il plie il ne rompt pas (on le constatera face à Lomax). Stoner se regarde vivre (« Et une fois encore, il connut cette étrange impression d'absence à lui-même »), se consacrant entièrement à sa passion, la littérature, n'ayant comme arme à opposer au monde malveillant qui l'entoure que son indifférence « qui était devenue une manière de survivre. » Stoner, c'est la force tranquille qui suit son chemin, fort de son bon droit et n'ayant pour seule ambition que de vivre une vie ordinaire.
Ce roman s'avère finalement magnifique car plus on y entre, plus on lui trouve le poids des grands classiques de la littérature. L'écriture est remarquable, toute de délicatesse et de pudeur sans être mollassonne ou mièvre, sans effet de style notoire et le train est mené à un rythme parfait. Certains passages sont particulièrement touchants ou émouvants (sa liaison condamnée d'avance avec Katherine, ou les dernières heures de sa vie) et le ton général est à la mélancolie.
La question qu'on est en droit de se poser arrivé à la dernière ligne, William Stoner a-t-il eu une vie heureuse ? J'imagine que chacun en aura une version découlant de sa propre expérience de vie… Un roman à lire et même à relire, comme tous les classiques.

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