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Critiques filtrées sur 5 étoiles  
Recommandé chaudement par Mh17, j'ai eu le plaisir d'écouter ce court récit d'Evgueni Zamiatine sur France Culture. Un régal, le texte est non seulement narré par une femme qui a un timbre de voix et des intonations en totale osmose avec l'esprit du texte mais il est accompagné d'une musique de fonds parfaite, donnant à la tension dramatique du récit encore plus de profondeur.

« L'inondation » est un récit saisissant écrit en 1929, une métaphore de la haine, cette haine qui monte et qui va finir par déborder, par tout éclabousser, par faire rompre les digues de la raison d'un coeur pur, celui de Sofia, puis les digues du silence. L'inondation c'est le jaillissement du sang. le sang mensuel de femme, ce sang chaque fois craint, devenu verdict implacable quant à son incapacité à engendrer. Puis le sang de l'autre femme, abcès crevé qui se vide enfin. L'inondation c'est le jaillissement des mots. « L'inondation », le récit d'un trop plein, du lait de la raison qui déborde :

« Elle ne dit rien, ne leva pas les yeux, seules ses lèvres frémirent comme la peau du lait qui se fronce quand elle est bien prise ».

Nous sommes à Saint-Péterbourg, sur une rive de la Néva, dans les années 1920. Sofia et Trofim forme un couple qui, après treize ans de vie commune, n'a toujours pas d'enfant. Cette absence est vécue de plus en plus comme un malaise, un vide, qu'ils ne s'expliquent pas tout d'abord, malaise rendant la vie pesante et terne, menaçant le couple, jusqu'au moment où le mari comprend et lâche « tu ne fais pas d'enfant, voilà ce qu'il y a ».
A défaut d'avoir un enfant, ils recueillent la jeune Ganka, treize ans, leur voisine devenue orpheline. Très vite, si elle rend la vie de Trofim plus joyeuse, étant bavarde et gaie avec lui, elle reste silencieuse avec Sofia.
« Parfois, seulement, elle tournait lentement vers Sofia ses yeux verts et fixait sur elle un regard attentif en pensant clairement quelque chose – Mais quoi ? ».

Sofia comprend peu à peu que Genka l'a remplacée dans le coeur de Trofim et les nuits c'est avec la jeune femme qu'il les passe désormais. Cette vie à trois se transforme en un huit clos oppressant. le désespoir et la souffrance de Sofia vont croissants face à cette situation humiliante. Superbe la façon qu'a l'auteur de décrire le paysage à l'image du paysage intérieur de la femme bafouée :

« Front contre la fenêtre, le verre teintait, le vent hurlait, dans le ciel défilaient des nuages gris et bas, des nuages de pierre comme s'ils étaient revenus les nuages étouffants de l'été que pas un orage n'aurait crevé »…des nuages qui s'entassent en elle comme des pierres, les unes sur les autres depuis des mois, menaçant de l'étouffer.

Jusqu'au drame d'une grande sauvagerie. Jusqu'à l'inondation. Avec pour seule témoin une mouche, « une mouche aux pattes fines et noires comme du fil à coudre » qui reviendra sans arrêt la hanter et lui faire revivre le drame.

Zamiatine excelle avec ce récit à décortiquer le mécanisme de la haine montante…dégout, colère, exaspération, désespoir, sont les différentes facettes de cet engrenage fatal, présenté au moyen d'images saisissantes. le fantastique que revêt parfois le texte ainsi que la culpabilité qui ronge cette femme jusqu'à l'inondation de la parole fait penser immédiatement à « Crime et châtiment » de Fiodor Dostoïevski.
C'est superbe et je vous recommande à mon tour, comme l'a fait Mh que je remercie chaleureusement, de l'écouter sur le lien suivant :

https://www.franceculture.fr/emissions/fictions-samedi-noir/l-inondation-de-evgueni-zamiatine-en-direct

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C'est l'histoire d'une inondation. Les eaux de la Neva montent, debordent son lit et inondent un quartier pauvre de Saint Petersbourg, l'ile Vassilievski. Avec l'eau enfle et s'intensifie un drame d'infidelite, de jalousie, de non-dits et de haine.

Trofim Ivanytch est un ouvrier marie a Sophia, qu'il aime, mais le fait qu'elle n'arrive pas a tomber enceinte le travaille et mine leur relation. Quand des voisins meurent laissant une orpheline de douze ans, Ganka, ils decident de l'emmener chez eux, comme une adoption. Mais bientot la relation entre Trofim et Ganka se troque en amour charnel, au vu et su de Sophia. Et ce sera la crue de la Neva et l'inondation de leur maison qui va precipiter les evenements. L'inondation est ici la metaphore a laquelle l'auteur associe les sentiments in crescendo de Sophia, qui la submergent jusqu'a l'amener a un acte de destruction, au meurtre.

La capacite de Zamiatine a plonger dans la tete des personnages, surtout de Sophia, et transmettre le passage qui s'y opere, de la surprise et l'incredulite, a la honte, a l'humiliation et la jalousie puis a la haine destructrice qui s'empare d'elle, et enfin, apres l'acte, a la sensation de quietude, courte accalmie qui se mue peu a peu en un besoin interne de tout avouer, pulsion imperative meme quand sa relation avec Trofim s'ameliore et qu'elle tombe enceinte, est remarquable.

L'eau de la Neva qui monte est aussi le sang qui coule. L'inondation est physique dans le quartier et mentale dans la tete de l'infortunee Sophia. Tout cela s'entrelace et s'agglomere et permet au lecteur de saisir tout le malheur de ce drame, qui, comme la Neva, est imprevisible, incontrolable, irrepressible. Les personnages, tous tant qu'ils sont, ne peuvent que le subir.

J'ai lu ce livre dans la collection Les Inepuisables, d'Actes Sud, ou l'editeur veut presenter “des livres destines aux amateurs de joyaux litteraires”. Celui-ci l'est incontestablement. Un joyau litteraire.
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Les phrases sont courtes et les nombreuses métaphores sont belles. du début à la fin les faits sont à peine suggérés et pourtant, dès que l'on a les éléments de départ on se doute de ce qui va se passer.

C'est un peu ça « L'inondation ». Une tension qui monte, une histoire d'homme qui prend forme à pas feutrés, qui s'infiltre et déborde engloutissant tout sur son passage, et puis c'est la Neva, le fleuve qui coule à St Petersbourg, et qui déborde aussi, ravageur et inattendu faisant rompre les digues et ployer tout sur son passage.

Cette histoire dramatique m'a émue.
Trois personnages essentiels nous envahissent tout au long du récit :
Trofim Ivanytch, un macho sordide, Sophia une femme soumise et rongée par la culpabilité et Ganka un petit oiseau sans scrupules .Sordide si je les épingle de cette manière brutale non? Mes mots ont fini de salir ce que l'histoire avait déjà souillé.

C'est sans compter sur le talent d'Evgueni Zamiatine qui par la construction du récit, son sobre dépouillement, son rythme lent au départ bien sûr mais qui s'emballe très vite et la force des mots savamment maitrisés nous ôte tout envie de juger. C'est un peu comme si des phrases sublimes servaient de contrepoids aux actes les plus regrettables. Les mots sont animés par un souffle, une vie intérieure, une mission. ….je les ai aimés ces mots, j'ai suivi leur cadence et j'ai offert à cette lecture tout ce que je pouvais pour me glisser dans les pas de l'auteur.

Au début du récit « Pourtant il y avait quelque chose qui clochait. Quoi au juste, ce n'était pas encore bien clair, cela n'avait pas encore pris la consistance des mots ». Et ainsi nous progressons le souffle court : « Elle n'avait plus rien, ni bras, ni jambes, rien que son coeur qui tournoyait comme un oiseau, tombait, tombait, tombait » nous relisons certains passages tel un chien conduisant son troupeau…… « Ses lèvres frémissaient comme la peau du lait lorsqu'elle est tout à fait prise » ……… Cest beau non ?

J'ai assez parlé. Je partage encore le bruit de la pendule qui « frappait bruyamment du bec dans le mur » Vous l'entendez cette grosse pendule ? et avant de terminer ce billet je vous laisse imaginer un personnage du livre qui « avec difficulté, par degrés, se mit à inspirer de l'air, remontant avec son souffle, comme avec une corde, une pierre qui était au fond ». C'est moi qui manque de souffle quand je lis des phrases comme ça ! Que c'est beau ! Je crois l'avoir déjà dit!

Ce récit écrit en 1929 est un condensé de richesse. Je le classe dans la catégorie "Chef-d'oeuvres"

Vite lu ? Non car les retours sont fréquents. Nous ressassons, relisons, pour vivre un peu plus longtemps avec ces mots là.

Vite oublié ? Certainement pas. Une centaine de pages soulève des montagnes de questions sur la condition des femmes à cette époque.

Vite rangé? Non plus. Ce petit livre va circuler et inonder quelques amateurs, comme le ferait la Neva

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L'inondation est un petit roman qui est pour moi un véritable chef d'oeuvre.
C'est un texte d'un auteur russe qui m'était jusqu'ici totalement inconnu, - un certain Evgueni Zamiatine.
C'est presque un huis clos étouffant, si ce n'est le fleuve à côté qui irrigue les pages.
C'est comme un thriller, la tension monte, grandissante comme une crue, comme ces eaux qui montent ici, la Neva, ce fleuve qui traverse Saint-Pétersbourg, ville qui à l'époque du récit s'appelle Petrograd.
Nous sommes à l'automne 1920. La révolution russe semble déjà loin. Trofim Ivanytch est marié à Sofia, ils forment un couple sans histoire, un couple presque ordinaire. Ils s'aiment, du moins semble-t-il.
Sofia et Trofim n'ont pas d'enfant, ou plutôt n'ont toujours pas d'enfant après treize ans de vie commune. Rien n'est dit dans le couple à ce sujet, mais Sofia comprend peu à peu, par des signes à peine perceptibles de la part de Trofim, - et nous ausi dès lors, que si elle ne conçoit pas d'enfant, celui-ci la quittera un jour ou l'autre. Pourquoi ce reproche à demi-mots ? Peut-être sans les mots d'ailleurs ? Pourquoi à elle et pourquoi pas à lui ?
C'est alors que leur voisin le plus proche, le menuisier déjà veuf, meurt du typhus, laissant derrière lui une fille orpheline, Ganka, elle doit avoir une douzaine d'années. C'est une tragédie.
Sofia a le coeur sur la main, mais son désir d'être mère l'emporte aussi dans cet élan... Elle propose à Trofim de recueillir la jeune fille et il l'accepte.
Avec le temps, une relation s'installe, harmonieuse au début, dans cette union qui ressemblerait presque à un amour filial. C'est le bonheur d'une petite famille qui se construit comme cela. Mais peu à peu, le désir de Trofim s'exprime envers la gamine qui a grandi, devenue adolescente, qui continue de grandir effrontément sous les yeux de Sofia...
La suite, je ne sais pas si vous l'imaginez... Moi non, Evgueni Zamiatine oui. Et c'est là que les digues, qui retenaient jusqu'alors les eaux de la Neva, s'éventrent et envahissent les pages du récit.
J'ai été sensible à cette manière de l'auteur de décrire avec des phrases ténues ce basculement des rivages intérieurs avec ceux d'une crue qui envahissent au même moment les berges de la Neva.
Que reste-t-il alors dans le ventre déjà vide de Sofia ? de la honte ? de l'humiliation ? de la résignation ? de l'oubli ? Des pierres qui pèsent lourdes comme le poids de la culpabilité et de l'abandon ? Des pierres à jeter ? Mais à jeter sur qui ?
Les eaux montent au fil des pages. La beauté du monde est peu à peu envahie et effacée par la jalousie et la haine comme une mer qui monte sur le sable d'une plage.
J'ai adoré ce texte abrupt, écrit à l'os, qui permet justement cette tension qui se déploie jusqu'à l'extrême.
C'est une douleur retenue jusqu'à l'asphyxie, comme des digues retenant tant bien que mal des eaux plus fortes que la raison. C'est un texte qui fait mal, qui dit le désespoir jusqu'au point ultime où il peut encore être accepté. Après... Après ? C'est seulement ce qui est arrivé.
Les livres sont des remous, des tangages, les mots sont des ponts, mais les ponts s'effondrent parfois aussi sous la montée des eaux...
Comment ne pas songer ici à Crime et Châtiment, comment ne pas songer à Raskolnikov ? Je ne vous en dis pas plus et je m'empresse de terminer cette chronique avant de me laisser emporter par les flots de la Neva...
C'est un texte superbe.
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Ce court roman m'a vraiment impressionnée par ses images saisissantes. Je l'ai écouté sur le podcast de France Culture que je vous recommande chaudement (58 mn). Il se réfère à l'édition Sillages.
Nous sommes sur l' île de Vassilevski au milieu de la Néva dans les années 20. la guerre puis la révolution semblent loin. le charbon de Donesk a remplacé celui de Cardiff voilà tout. Trofim le machiniste inspecte l'usine, le manomètre indique toujours neuf atmosphères, la chaudière continue de vrombir comme d'habitude. Pourtant, sa poussière s'insinue partout et enveloppe la maison. Sofia et Trofim n'ont toujours pas d'enfant. A l'automne les eaux de de la Neva ont monté, un conduit d'eau a éclaté. Trofim se rend dans l'atelier de mécanique qui ressemble d'habitude à une vaste forêt d'acier, personne, l'atelier est presque désert, les courroies tournent à vide. Trofim éprouve, un malaise, il manque quelque chose, une clé mais de quoi ? Il revient à la chaufferie. Il ne dort pas. Les eaux continuent de monter et comme reliées à elle par des veines souterraines le sang de Sofia monte lui aussi. Sofia ne dort pas. Trofim ne dort pas. Quelque chose ne va pas. Soudain cela lui revient, la rondelle manquante, la courroie qui tourne à vide , il lui dit : "tu ne fais pas d'enfant, voilà ce qu'il y a ".Sofia comprend aussitôt que si elle ne conçoit pas d'enfant Trofim la quittera.
Sofia ramène à la maison Ganka la petite voisine dont le père vient de mourir du typhus. Mais loin de faire leur bonheur, le désir de Trofim se déplace vers la gamine . Et Sofia se retrouve seule avec sa honte, son humiliation , des pierres s'amoncellent dans son ventre qui menacent de l'étouffer...
Zamiatine construit un fleuve puissant d'images avec ce drame. Il reflète la lutte intime et tellurique d'une femme humiliée, ravagée par l'indifférence bestiale de son mari , dégoutée par les odeurs corporelles des amants. le dégoût, la colère, la haine emportent son coeur et inondent son âme au point de se détacher d'elle et de lui donner des ordres, pour crever l'abcès qu'elle sent en elle et se sentir enfin délivrée...



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Je retrouve dans l'inondation tout ce que j'aime de la littérature russe. Il y a vraiment quelque chose que l'on ne trouve que dans cette littérature.
Dès les premiers mots, on ressent un vent de drame, chaque mot transpire un drame sous-jacent.
L'écriture est magique dans le sens où le lecteur est suspendu aux mots et oublie tout le reste.
Sofia et Trofin sont mari et femme, ils souhaitent ardemment un enfant mais celui-ci ne vient pas. Ganka, petite jeune fille de 13 ans, voisine de ce couple va se retrouver orpheline et Sofia décide en accord avec Trofin de l'adopter...
Il y a quelque chose de Dostoïevski et principalement de Crime et Châtiment. Ce livre qui se déroule lui aussi à Saint-Pétersbourg ,ne fait pas 100 pages mais il en dit tout autant que s'il y en avait quatre fois plus, chaque mot est lourd de sens et le lecteur est tellement pris dans l'histoire qu'il en devient lui-même Sofia.
Ce livre est pour moi la définition même d'un chef-d'oeuvre...
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L'oeuvre la plus connue de Zamiatine est incontestablement « Nous autres », à raison d'ailleurs tant ce roman dystopique est matriciel, il a beaucoup inspiré Orwell qui s'en est inspiré pour son « 1984 ». C'est avec « Nous autres » que j'avais découvert Zamiatine et je m'étais promis de m'intéresser à d'autres ouvrages de l'auteur. C'est enfin chose faite avec ma lecture de la nouvelle « l'inondation ». A la lecture de ce texte, je me dis qu'il serait vraiment dommage de réduire Zamiatine à son roman culte « Nous autres ».

Ce récit est très éloigné de « Nous autres ». Il s'agit ici d'un drame conjugal qu'on peut tout de même rattacher un brin à la littérature de genre avec ses ingrédients de roman noir. Cet aspect noir, surtout présent dans la dernière partie de la nouvelle, peut faire penser à « Crime et châtiment ». J'avoue, honte sur moi, que je n'ai pas encore lu le roman de Dostoïevski mais, bien sûr, j'en connais l'argument et il est impossible à la lecture de « l'inondation » de ne pas y déceler un voisinage. Comme je ne connais pas le Dostoïevski, je ne peux pas faire de comparaisons et ne peux pas juger de l'éventuelle supériorité de l'un sur l'autre. Quoi qu'il en soit, la nouvelle de Zamiatine est une très belle réussite. Les personnages sont vivants, bien brossés, tout particulièrement Sophia dont on suit plus particulièrement les états d'âme. le récit est très bien mené et parfaitement construit. L'auteur a l'excellente idée de faire correspondre le rythme de sa narration au rythme de la Neva, le fleuve qui tantôt coule lentement, tantôt se met en colère et déborde. Grâce à ces changements de rythme pertinents et bien amenés, la nouvelle est très immersive. Cette impression est également renforcée par le style de Zamiatine qui semble toujours trouver l'image appropriée, le mot juste.

J'ai donc été totalement séduite par cette nouvelle avec laquelle je découvre que Zamiatine est un auteur à l'aise dans différents registres. Je compte bien poursuivre ma découverte de son oeuvre.

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« L'inondation » est un véritable chef d'oeuvre. Je classe son auteur, Evgueni Zamiatine, dans la catégorie des écrivains de l'âme humaine aux côtés de Georges Simenon, mon auteur fétiche. Il réussit avec ce récit d'un drame terrible et banal à extraire le coeur d'une femme et à mettre à nu ses sentiments les plus puissants : la jalousie et la culpabilité. En voici la trame : Trofim et son épouse Sofia mènent une vie modeste et laborieuse que vient gêner un seul manque : Sofia ne parvient pas à tomber enceinte. Leur voisin décède laissant une orpheline, Ganka ; ils décident de l'adopter. le ménage retrouve sa joie de vivre mais progressivement la jeune fille va s'émanciper et séduire Trofim. Sofia ne parvient pas à s'opposer à cette liaison ; son ressentiment refoulé va croître et bientôt déborder. le drame peut débuter.
Le récit mené par un style concis est d'une grande densité. le roman se déroule sur une île de la ville de Saint-Pétersbourg et se trouve donc symboliquement coupé du monde et de l'histoire. L'inondation amplifie cette impression de confinement. le huis clos se tient dans l'intimité d'un ménage, entre les murs d'un appartement exigu. le texte comprend de nombreuses analogies implicites. L'inondation de l'île par le fleuve accompagne le débordement des passions sur l'âme. L'enfantement est une délivrance physique puis morale, lorsque la culpabilité pèse trop sur la conscience. le récit est jalonné de thèmes répétés qui se répondent : l'eau, le champs voisin dit de Smolensk, la chaudière, les cris des enfants, le chat, la canonnade… Tout est distillé avec rigueur, finesse et légèreté. J'ai commencé cette critique en parlant de chef d'oeuvre. Je la conclus en qualifiant ce livre de coup de coeur. le bonheur du lecteur n'est autre que de trouver de temps à autre ce genre de pépite. Je vais recroiser très vite ce Monsieur Zamiatine !
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Ce court récit de 60 pages s'apparente plutôt à une nouvelle. C'est un bijou, un chef d'oeuvre de la littérature russe !
Nous sommes à Saint-Pétersbourg, sur une rive de la Neva, dans les années 1920. le couple Sofia et Trofim n'a pas d'enfants. Une situation qui pèse et menace chaque jour un peu plus de disloquer cette union. L'espoir renaît en Sofia lorsqu'ils décident d'adopter une jeune orpheline du voisinage, Ganka. Trofim retrouve de l'entrain en instruisant Ganka toute heureuse…mais un jour, Sofia les surprend dans une situation compromettante…Sofia est dévastée, mais intériorise cette blessure. Rien n'est pourtant résolu, les trois vivent ensemble, dans une atmosphère de plus en plus pesante, taiseuse, chargée de sous-entendus…Sofia bouillonne, sa colère monte, comme les eaux de la Neva…Elle ne pourra bientôt plus la retenir et commettra un geste meurtrier, d'une sauvagerie inouïe. Pour un temps libérée, comme apaisée, elle tombe enceinte et semble retrouver l'amour de Trofim…Mais sa conscience revient la tourmenter…
C'est un livre d'une densité exceptionnelle. Au fil des pages, l'auteur parvient à tisser autour du trio un cocon, qui s'avère bientôt oppressant. Ils deviennent comme prisonniers d'un huis-clos auquel la Neva s'invite dans sa menace de tout emporter dans l'inondation qui s'avance…Le lecteur comprend que le drame est inévitable dans cette ambiance de plus en plus poisseuse.
La qualité narrative est remarquable. La concision ne cède en rien à la qualité d'écriture, le style est superbe. L'auteur ne présente pas ses personnages, n'en décrit pas la personnalité, guère les sentiments, il nous laisse le soin de les capter au travers justement des non-dits, des regards, des actes. Et ils sont complexes ! Sofia la femme en apparence douce et naïve, encore jeune mais désespérée de ne pas enfanter, bascule dans la folie meurtrière et l'illumination. Trofim est-il un séducteur brutal ou un homme manipulé, falot et indécis ? La jeune Ganka, est-elle victime ou calculatrice et perverse ? Sans doute tout cela à la fois pour chacun.
Sofia est la figure centrale. Son crime est le point d'orgue du livre, le geste et ceux qui s'ensuivent sont décrits avec une précision clinique et glaçante, voire écoeurante. Sofia est alors un zombie qui ne s'appartient plus (Cela m'a fait penser au Meursault de l'Etranger de Camus). le Destin a pris la main...

Un auteur injustement un peu oublié, qu'on redécouvre avec plaisir depuis peu, et un livre à dévorer de toute urgence !
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Nouvelle écrite en 1929, le récit a pour cadre la ville de Petersburg.
C'est l'histoire douloureuse d'un couple sans enfant, Trophim Ivanytch et Sophia. Un drame qui ronge la femme dans son corps et son esprit, tandis que Trophim devient amer et méchant, finalement ils s'épient et se déchirent. L'arrivée dans le foyer de Ganka, la petite voisine maintenant orpheline, va briser ce couple fragilisé. Comme en écho à ce drame intime, dehors, il fait un sale temps, le vent souffle avec rage, les eaux de la Neva montent dangereusement et menacent la ville d'inondation.
le suspens est ouvert, le récit s'engouffre dans ce décor.
En lisant cette nouvelle de 70 pages on halète, on a le souffle coupé et un noeud à la gorge. C'est une histoire universelle mais pas seulement, en effet, nous sommes au début des années Staline le peuple russe souffre et Zamiatine, visionnaire, voit la Russie pris au piège, comme ce couple.
Zamiatime trouve une cadence dramatique. Son écriture symbolique est rythmée par des phrases courtes, et des mots puissants dont la force évoque des images et des sons mêlant furie des éléments et des sentiments, paysages et objets s'animent. Ce langage imagé crée une tension psychologique, une ambiance irréelle proche de virer à la folie.
Ce récit, ce double drame dégage une force inouïe ! J'ai lu et relu ce texte et je vous y invite fortement.

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