AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
3,45

sur 57 notes
5
2 avis
4
6 avis
3
2 avis
2
2 avis
1
0 avis
Pour son second ouvrage en territoire science-fictif après Corpus delicti en 2010, la romancière (et juriste) allemande Juli Zeh imagine une histoire qui mêle uchronie et dystopie sur fond de thriller politique. Coeurs Vides, traduit par Rose Labourie, est un livre court mais passionnant publié cette année par les éditions Actes Sud dans leur collection ExoFictions. Si l'actualité semble actuellement davantage à l'action qu'à l'attentisme, le roman de Juli Zeh reste quant à lui tout à fait pertinent sur l'état de la démocratie en 2022.

Un terrorisme sous contrôle
Pour mieux comprendre de quoi l'on parle, plongeons dans l'univers de Coeurs Vides. Nous sommes en Allemagne en 2025 et Angela Merkel a perdu les élections au profit d'un mouvement nouveau appelé CCC (pour Comité des Citoyens Concernés) dirigée par une certaine Regula Freyer. Sous cette appellation, un parti autoritaire et extrémiste qui réduit petit à petit toutes les libertés et les acquis fondamentaux des citoyens allemands à coup de « packs d'efficience ».
De la réduction du seuil démocratique à l'interdiction des bières étrangères, le CCC cadenasse la société allemande « pour son propre bien ».
L'Allemagne n'est d'ailleurs pas la seule dans cette étrange situation puisque l'on apprendra au détour d'une phrase que le Frexit a suivi le Brexit, que Donald Trump et Vladimir Poutine ont redoré leur image publique en parvenant à exiler Bachar al-Assad et à mettre fin à la guerre en Syrie.
Un vent autocratique souffle sur le monde et l'Europe n'y fait pas exception.
Dans ces conditions, on imagine déjà des révoltes un peu partout…mais Coeurs Vides nous prend à contre-pied en débutant son action par un repas entre amis tout ce qu'il y a de plus banal. Alors que les enfants des deux couples s'amusent, la politique n'est abordée que du bout des lèvres, de façon un peu honteuse, comme si un ras-le-bol silencieux s'était emparé des convives.
Il faut dire aussi que l'hôte de la soirée, Britta Söldner, profite largement de la situation actuelle en Allemagne puisqu'elle dirige une organisation d'un genre très particulier appelée le Pont avec son ami et collègue Babak Hamwi. Sous ses dehors d'organisation thérapeutique pour les suicidaires allemands, le Pont repère les éléments les plus à risques de la société pour les passer à travers un programme en douze étapes visant à tester leur volonté suicidaire.
Et si rien n'y fait, ni les cliniques, ni les médicaments, ni la torture, ni la mise en conditions réelles, Britta leur propose de donner une utilité à leur suicide en les rencardant avec des organisations terroristes, des écologistes de Green Power aux islamistes de Daech, tout en fixant un nombre de victimes et un montant de dégâts acceptables. Une façon comme une autre de garder le contrôle et d'être cyniquement utile à la société apathique dans laquelle vit Britta. Sauf que lors de ce repas entre amis, un attentat est déjoué à Leipzig…et Britta n'y est pour rien ! Un concurrent mystérieux vient rebattre toutes les cartes et menace l'équilibre de la terreur savamment entretenu par l'organisation.
Voilà, en somme ce qui va occuper notre « héroïne » Britta Söldner pendant les 285 pages de Coeurs Vides. Les guillemets sont de rigueur puisque Britta est loin d'être une personne recommandable. Au contraire, elle constitue certainement une synthèse parfaite de la situation politique de son pays pris dans la tourmente post-démocratique des années 2010–2020.
Juli Zeh, au-delà du thriller mené de main de maître, s'interroge sur ce qui pourrit nos démocraties et les mènent à l'échec.

En quête de sens
La dystopie dans Coeurs Vides restent toujours en sourdine, au détour d'une discussion entre amis, après l'annonce d'une nouvelle mesure restrictive par le CCC, en croisant des terrains aménagés pour des programmes spéciaux autour du sport, en scrutant le déplacement de Regula Freyer à l'étranger…
Et si le noeud uchronique du roman, en l'occurrence la victoire mondiale du populisme et de l'autoritarisme, se fait vite discret, c'est parce que le roman de Juli Zeh n'est pas tant un roman d'anticipation qu'un roman de politique-fiction où l'autrice démêle les fils enchevêtrés d'une démocratie qui a perdu la face. Son héroïne, Britta, est un parfait reflet du glissement d'une partie de la population, ni trop pauvre ni trop aisé, qui trouve dans la situation une zone grise lui permettant de vivre plus ou moins confortablement.
Britta profite du cynisme ambiant et de la perte de l'élan vitale chez ses concitoyens pour les utiliser à des fins politiques et populistes, prenant le terrorisme pour une monnaie d'échange, un business, transformant le message politique en stratégie marketing. Britta, au fond, a conscience que ce qu'elle manigance n'a rien d'innocent, mais elle préfère ignorer ce fait et mettre en sourdine sa propre conscience pour profiter des bénéfices générés par cette entreprise peu recommandable.
Elle est donc à l'image de la société dans laquelle elle vit, une société où l'on troquerait volontiers ses droits démocratiques contre un lave-linge, au diable les grands principes et vive le confort moderne capitaliste. Juli Zeh constate l'échec du système démocratique parce qu'il repose sur un investissement minimum de la part du socle, c'est-à-dire du citoyen. Que se passe-t-il quand celui-ci n'a plus l'envie, dégoûté par un système qui tourne à vide et qui joue avant tout sur la peur de son prochain pour fonctionner ? Que se passe-t-il lorsque l'électeur, rassuré par la stabilité de son petit confort moderne n'a plus l'impulsion de se renseigner, de s'informer et, finalement, de s'indigner ?
Que se passe-t-il quand même les actes terroristes deviennent des petits arrangements entre amis quasi-inoffensifs ?
La démocratie meurt, le vote n'a plus d'utilité et les opportunistes (du CCC) s'engouffrent dans la brèche. Dès lors, la démocratie d'hier devient le terreau fertile des dictatures de demain.

De la violence en politique
Il y a dans Coeurs Vides un constant sentiment de gâchis qui entre en collision avec l'utilisation du suicide comme d'une arme politique. Il est d'ailleurs édifiant que Juli Zeh ait choisi ce sujet tabou dans les sociétés occidentales pour construire son intrigue, nous mettant aux côtés de personnes particulièrement déterminés à mourir et qui, sans en avoir conscience, sont bien plus vivantes que la plus grande part d'une population rivée à son écran de smartphone ou à son fil Twitter.
Là où l'autrice allemande surprend, c'est par son refus cependant de faire tomber un régime totalitaire par des méthodes tout aussi expéditives.
Elle a l'intelligence de comprendre, et de nous faire comprendre, que de forcer un changement de régime quand la population n'a pas pris la mesure du mal qui règne dans le pays, c'est toujours et encore décider pour ladite population et la renforcer dans son apathie. C'est remplacer une dictature par une autre forme de dictature, c'est oublier de réveiller le monde et approuver la léthargie de l'électeur moyen qui regarde les changements comme un spectateur regarde les rebondissements d'un blockbuster au cinéma.
Dans le fond, tout le cheminement de ce roman plus malin qu'il n'en a l'air, c'est de chercher à réveiller les consciences, par l'extrême, par un chat gris et une pierre, et pas en caressent son lecteur dans le sens du poil. Car si l'on ne réagit plus devant ce qui est fondamentalement mal, peut-être ne mérite-t-on pas autre chose à la fin ? Derrière la mécanique de la terreur, Juli Zeh réfléchit sur l'impact de la violence et les conséquences de la radicalité idéologique pour mieux capter l'immobilisme de notre siècle, consacrant sans le dire Julietta comme la véritable héroïne de cette histoire à la place d'une Britta complice et opportuniste.

Mêlant dystopie, uchronie et surtout politique-fiction, Coeurs vides parvient à questionner le lecteur sur son engagement démocratique et à réfléchir sur les limites d'un système qui repose sur la volonté de ses électeurs. Ajoutez-y un thriller efficace et un sous-texte dérangeant sur l'utilité de la violence pour changer les choses et vous obtenez un roman engagé et dérangeant qui refuse les effets de manche.
Lien : https://justaword.fr/c%C5%93..
Commenter  J’apprécie          353
Nous y sommes. ..Presque.. Peut-être. Déjà à ce point de rupture, de bascule. Moments historiques de perte, de renoncement. Tous ces instants silencieux où peu à peu nous avons laissé faire, laissé interdire, laissé dire et commettre. Complices d'un laisser taire, laisser aller. Libertés amoindries, écornées, étouffées, concédées. Un tranquille asservissement. Un tout sécuritaire, un hygiénisme mental. Une imbécile docilité létale. le récit est juste, dérangeant parfois. On voudrait penser « anticipation » et la « réalité » nous assaille. Comment ne pas reconnaître entre ces pages le récit de ce que notre vieux monde traverse. Les mots sont justes. Terrifiants. «  Repose en paix, débat public, ton hospitalité était sans égale. Tu avais toujours toujours de la place à table, fidèle compagnons des dîners animés et sorties au bistrot, tu étais un combat et un jeu, notre refuge et notre horizon. Nous restons orphelins, inconsolables, dispersés, ébranlés. » Les mots sont aussi colère contre ceux qui applaudissent devant un possible désastre et qui avaient confié, à maintes reprises, à d'autres le choix d'une politique aussi bien locale que générale.
Abrutissement d'un grand nombre. Voilà le sage public du désastre.
Les mots sont aussi rebondissement, réveil, espoir.
« Coeurs vides », roman de l'auteure allemande Juli Zeh est un effectivement un roman extrêmement contemporain. Traduit par Rose Laborit, pour les éditions Aces sud ( collection Exofictions), ce roman interroge frontalement et sans détour les ordres et désordres des forces de résistance de nos sociétés. Une auteure qui mérite toute notre attention et nos remerciements.
Opération Masse critique Babelio/ Editions Aces Sud
Astrid Shriqui Garain
Commenter  J’apprécie          170
Allemagne 2025. Angela Merkel a cédé le pouvoir au CCC, un parti populiste qui saborde peu à peu les fondements de la démocratie sous couvert d'améliorer la vie des citoyens. L'ONU est en passe d'être dissoute, Trump et Poutine ont réussi à rétablir la paix en Syrie et à mettre Bachar al-Assad en fuite. Tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes pour Britta et son associé, Babak, fondateurs d'un cabinet de psychologie pas tout à fait comme les autres qui détecte les candidats au suicide et met en contact ceux qui sont sûrs de vouloir aller jusqu'au bout avec des organisations en quête de kamikazes. Mais qui sont donc ces 2 terroristes se réclamant du groupe Empty Hearts qui viennent de commettre une tentative d'attentat complètement ratée ?

Coeurs vides est présenté comme une dystopie mais à la lecture celle-ci paraît légère, ô si légère, au vu des événements politiques mondiaux récents : certes le livre a été écrit avant la guerre en Ukraine mais les événements qu'il décrit semblent si proches de notre réalité qu'on ne réalise que quelque chose cloche qu'à de petits détails. le CCC (Comité des Citoyens Concernés) impose petit à petit la dissolution de la démocratie et du débat politique via des "packs d'efficience" visant à répondre aux attentes des citoyens en supprimant tous ces vieux machins inutiles (un parlement ? un état fédéral ? pour quoi faire ?). Dans un pays où un récent sondage a révélé que plus de 70% de la population, sommés de choisir entre renoncer à son lave-linge ou au droit de vote, préfère garder son lave-linge, quoi de plus normal ? La vie paraît finalement bien douce pour Britta et sa famille, habitant une maison moderne et fonctionnelle dans une ville moyenne visant elle aussi à l'efficience au détriment de la beauté. Et le fait que le Pont le cabinet de conseil de Britta accompagne des candidats au suicide et aille jusqu'à mettre en relation les plus déterminés avec des organisations terroristes souhaitant commettre des attentats bien organisé et avec un nombre de morts savamment étudié n'est-il pas finalement aussi une preuve d'efficience et de rationalité ?

Vous l'aurez compris Coeurs vides est un roman glaçant qui imagine un des futurs possibles pour nos démocraties à bout de souffle où les citoyens se désintéressent peu à peu du débat public et de la politique. L'écriture de l'auteure est détachée, froide mais très efficace. Elle nous embarque rapidement dans son récit et arrive à nous rendre attachant le personnage ambigüe de Britta, cette femme qui a peut être tout compris avant les autres et dont le cynisme et l'égoïsme complet sont finalement sans doute la seule solution pour survivre à un monde où toute conviction paraît obsolète. C'est aussi un roman plein d'une ironie jubilatoire et grinçante, l'auteure glisse au fil des pages soit des petites distorsions de la réalité qui font froid dans le dos (imaginer Trump et Poutine alliés pour rétablir la paix dans le monde !) soit des réflexions sur la politique et le débat public qui appuient précisément là où ça fait mal.

Le livre est construit autour d'une intrigue qui nous tient en haleine, le passé et la vie des personnages et la réalité de cette société nous sont révélés petit à petit et les 100 dernières pages s'accélèrent quand les Empty Hearts passent réellement à l'action et menacent les activités de Britta et Babak. On ne peut pas dire que ce soit une lecture agréable, tant ce roman nous questionne et nous malmène, nous fait prendre conscience de ce que nous ne souhaitons peut être pas voir, mais c'est clairement très efficace et cela dit plein de choses sur nos démocraties européennes. Un livre magnifiquement original où l'auteure arrive à aller au bout de ses idées et de son scenario de manière complètement cohérente et aboutie, un roman que j'ai eu plaisir à découvrir et qui me donne envie de lire les autres titres de cette auteure (mais plutôt après une petite pause lecture plus facile car il y a ici beaucoup de noirceur !). A recommander !
Commenter  J’apprécie          140
Dans le cadre de la Masse Critique: Mauvais Genre de Mars 2022, j'ai reçu ce roman. Remerciement à Babelio pour cette opportunité.

Je découvre donc l'autrice avec ce roman uchronique. L'idée de départ est pleine de promesse, cette vision critique et pleine de sarcasmes de notre société est un angle d'attaque qui me plait. Les sujets traités sont variés Politique, Démocratie, Capitalisme, féminisme, fanatisme, Santé mentale... L'idée même, d'une entreprise qui analyse, déniche, teste et vend le désespoir comme chaire à canon me semblait si noir, si cynique que j'avais une folle envie de lire ce livre.

En revanche, à l'usage, l'histoire en elle même aura manqué de rythme. L'action n'est pas le coeur du roman, et en 280 pages je me suis entendu dire à plusieurs reprises : "Oui c'est bon, on a compris l'idée...". Je n'ai pas ressenti d'attachement aux personnages, qui sont de véritables caricatures au service du sens profond du roman. La plume n'est pas désagréable en soi mais ne m'a pas charmé pour autant, il reste difficile d'avoir une idée tranchée avec seulement un roman de lu de l'autrice.

Tout ça reste très personnel évidemment mais je me suis ennuyé durant ma lecture. le sujet extrêmement prometteur n'a pas su me convaincre sur le papier et j'en suis le premier surpris.
Commenter  J’apprécie          140
Coeurs vides n'est pas le dernier livre de Juli Zeh, puisque publié en 2017 en Allemagne et ceci explique que sa dystopie puisse sembler à la traîne de l'actualité internationale récente. Il n'empêche, sa vision d'une Allemagne élisant une candidate nationaliste tandis que l'Europe se dissout (imaginez le Frexit !) reste plausible. de même que la petite entreprise de coaching fondée par l'héroïne du livre, destinée aux suicidaires qui, soit sortent guéris de leur thérapie, soit, incurables, sont vendus à des terroristes. le cocktail explosif de la romancière allemande, sous forme de thriller, dénonce surtout l'apathie de citoyens démissionnaires face à la montée d'un fascisme déguisé sous les oripeaux d'un patriotisme malsain qui n'est pas sans rappeler certaines dérives actuelles dans plusieurs pays européens. le message est clair, dissimulé sous une intrigue haletante qui se résout en un dénouement pour le moins ambigu. L'ouvrage est présenté comme une forme de réponse au Soumission de Houellebecq. Cela peut s'entendre, même si la forme est assez dissemblable, mais ce qui est certain c'est que la puissance noire du texte de Juli Zeh s'avère d'une grande efficacité sur le plan littéraire et idéologique.
Lien : https://cinephile-m-etait-co..
Commenter  J’apprécie          140
Je ferme cette lecture pleine d'interrogations.
Juli Zeh plante son décor dans un futur proche, 2025, (Parution en 2017) alors que l'Allemagne est passée sous le joug d'un parti nationaliste multipliant les « packs d'efficience » visant tous à renforcer le pouvoir de l'État et au repli du pays sur lui-même.
Ses personnages évoluent toutefois dans un décor très middle class propret et prospère. Britta, a monté une entreprise de thérapie comportementale dont le but non avoué est de recruter parmi les nombreux suicidaires les candidats jusqu'au-boutistes afin de les vendre à des organisations terroristes. Les dégâts collatéraux sont millimétrés, les causes rémunérées, toutes les parties trouvent leur compte dans ce business bien rôdé.
S'ensuit un scénario tendant au thriller mêlant de possibles concurrents moins scrupuleux, les services secrets, et la possibilité d'un putsch politique auquel je ne suis jamais parvenue à adhérer.
Les fulgurances de ce livre se cachent dans les détails. le regard lucide de l'auteur sur ses contemporains et leur abdication citoyenne ; sa prescience d'une capitulation de la presse et des intellectuels ; sa capacité à décrypter la dissonance cognitive d'un monde construit en paradoxes où les contradictions étouffent toute capacité à réflexion. « La morale est le devoir des faibles. Aux forts la liberté. »
En ce sens l'analyse de Juli Zeh est fascinante et courageuse, et le cynisme qu'elle déploie salutaire.
Toutefois, ces sibyllines évocations engrenées au fil des pages ne suffisent pas à marquer un réel engagement du propos. Souvent la mélodie se suffit à elle-même, et j'ai regretté tout au long de cette lecture un environnement sonore bien trop bruyant. C'est mon impression en fermant le livre. Il aurait suffit de presque rien pour que je sois conquise.
Commenter  J’apprécie          84
La satire sociale est un exercice que j'aime beaucoup, car elle fait écho à ma vision parfois cynique du monde, donc j'ai toujours du plaisir à me plonger dans ce type d'ouvrage, surtout quand cela porte le label « Science-Fiction ». A l'inverse de Quality Land, lu récemment et publié chez le même éditeur, Coeurs Vides propose une toile située dans un futur bien plus proche, et plus sombre : 2025.

En 2025, Angela Merkel a été démise du pouvoir par l'opinion publique, renversée par le Comité des Citoyens Concernés (CCC), un groupe politique extrémiste, autoritaire, et abolissant petit à petit les libertés du peuple allemand.

La politique de l'autruche
C'est le désintérêt du peuple, et probablement sa lassitude qui a pu mener à une telle situation politique. Car il est plus simple de ne pas chercher à comprendre, dans un monde où l'information est tellement dense. Car il est plus simple de voter pour le candidat qui nous apparaît le plus sympathique. Car il est plus simple de ne pas voter, simplement. En effet, une majorité du peuple allemand préférerait être démis de son droit de vote que de son lave-linge.

L'Allemagne n'est pas seule non plus. Après le Brexit, la France (avec le Frexit) a suivi le même chemin, et nombreuses sont les nations qui sont en passe de suivre cette voie. La désunion est maîtresse dans le contexte géopolitique actuel.

Ces constatations font froid dans le dos. 2025, c'est demain, et Coeurs vides s'annonce presque comme une mauvaise prophétie. Ce n'est pas un secret, la polarisation des extrêmes politiques grandit de jour en jour, et le taux d'abstention lors d'élections ou votations atteint des records.


For the greater good, questionnements éthiques
A l'instar des questionnements politiques, ceux relatifs à l'éthique font également preuve d'une importance majeure dans ce récit. On les retrouve dans le propos général de l'autrice, mais également incarnés par son personnage principal Britta, qui a son tour les soumet à sa meilleure amie (Janina) en quête de validation.

Britta sait, au plus profond d'elle, que son activité est fondamentalement douteuse, et que le secret qu'elle entretient auprès de ses proches la ronge. En effet, le Pont est une entreprise de psychothérapie. En deçà de ce pignon sur rue, le Pont est un intermédiaire entre des hommes suicidaires, éprouvés par le Pont, et des organismes terroristes (et qu'importe la cause) qui les emploieront comme kamikazes.

Finalement, ne serait-ce pas offrir une mort digne à des hommes persuadés de cette décision, en leur offrant d'aboutir à leur désir par le service d'une cause ? Ne serait-ce pas leur offrir une plus belle dernière action que celle qu'ils auraient eu sans rencontrer le Pont ? D'avoir l'opportunité d'avoir une dernière fois des paillettes dans les yeux avec une mort infaillible ? Mais ne serait-ce pas non plus cautionner le terrorisme, qui, d'un point de vue objectif, est intrinsèquement mauvaise ?

Nihilisme
Le roman revêt aussi une dimension presque philosophique, avec de nombreuses références au nihilisme que l'on peut retrouver dans les descriptions de Nietzsche, Cioran ou encore les sceptiques du XIX. le courant proclame, notamment, l'amoralisme, le scepticisme moral, l'effondrement des croyances, un rejet de l'idéalisme. Ce nihilisme est démontré tant dans les découvertes propres au déroulement du récit, que dans le déclin psychologique de Britta.

Autres menus détails
Dans l'ensemble, le récit est plutôt lent, dans une sorte de contemplation presque morbide. le récit et l'intrigue sont là pour servir le propos que défend l'autrice. Ce n'est pas un livre vraiment plot-based, peut-être un peu plus character-based, bien qu'ils soient froids – à l'image du roman. J'admets que celui que j'ai préféré, c'est Babak, que j'ai trouvé attachant.

De plus, à quel point ce livre fait-il vraiment partie du genre de la science-fiction ? Les éléments présentés sont tellement crédibles que le titre paraît presque être plus une prémonition, une anticipation qu'une dystopie.

Finalement, j'ai envie de conclure en disant que même si le roman est sombre et déprimant, il se conclut sur une sorte de résolution teintée d'une lueur d'espoir, ténue.

En résumé : Coeurs vides est un bon roman d'anticipation dystopique, mais surtout de critique sociale, politique, crédibles. le rythme est plutôt lent, et je pense que ce titre n'est donc pas fait pour tous. Beaucoup risquent de ne pas y trouver du plaisir et de la compréhension, mais ça n'a pas été mon cas !
Lien : https://navigatricedelimagin..
Commenter  J’apprécie          50
Si on veut.
Quatrième de couverture, je passe sur : un roman effroyablement contemporain, que ne faut il pas écrire pour capter l'attention, mais je retiens le : dystopie post démocratique en forme de thriller haletant.
Oh la la la phrase.
Thriller, si on veut,
haletant, on repassera,
dystopie m'interpelle. Que veut dire ce mot là. Cherchons : récit de fiction qui décrit une utopie sombre.
Ok, ça colle.

Donc.
Une idée on ne peut plus cynique à la base du livre. Une structure sensée venir en aide à des dépressifs suicidaires, sélectionne les plus irrécupérables d'entre eux pour les monnayer auprès d'entreprises terroristes afin qu'ils servent de bombes humaines.
Sympathique.

Tout roule mais ne voilà t il pas qu'une entreprise concurrente essaie de leur faucher de précieux fichiers. S'en suit une enquête, divers événements que je vous laisse découvrir, thriller si on veut.

Autre son de cloche.
Nous sommes dans un futur proche. 5 à 10 ans ou un peu plus par rapport à maintenant.
Allemagne, Leipzig ou Brunswick pour être précis.
Utopie sombre ou dystopie pour les plus cultivés d'entre vous.
Le vote n'ayant plus la côte, les abstentionnistes étant les rois et des parangons d'égoïsme, la société n'a plus que ce qu'elle mérite, un gouvernement démocratiquement élu mais où seuls ne se bougent que les militants extrémistes. Suivez mon regard et gardez vos yeux pour pleurer.

Britta, un des personnages principaux au coeur vide est tout de même prise d'un remord démocratique et nouvelle Jeanne d'Arc, s'en va bouter les fachos hors de nos frontières de l'utopie, pardon de l'inadmissible.
Merci Juli Zeh.

En résumé :

une idée des plus cyniques exploitée jusqu'à la moelle.
Un roman qui vire thriller si on veut.
Un mot dystopie à garder effroyablement en mémoire ou pas.
Une fin en soi qui déçoit un peu à la James Bond,
mais qui rassurera les démocrates en mal de démocratie.
Livre un peu long à lire sauf par ceux qui seront captés par cette histoire contemporaine.

Positivons.

Juli a peut être voulu nous mettre en garde. Si on regarde l'histoire combien effectivement de sociétés arrivées à un bon niveau, ne sont elles pas devenues décadentes.
C'est peut être la leçon à retenir de ces coeurs vides.
Si on veut.
Commenter  J’apprécie          30
Allemagne. Futur proche.
Britta et Babak sont associés dans un cabinet florissant appelé « Le Pont » qui, sous couvert d'apporter de l'aide aux suicidaires, recherchent et recrutent des personnes volontaires pour mourir au nom d'une cause quelconque. Leurs clients : des terroristes de toutes sortes ayant besoin de chair à canon.
Lors d'un attentat, ils s'aperçoivent que leur commerce est peut-être mis en péril.

Cette « dystopie post-démocratique » (4e de couverture) m'a prise au dépourvu. J'ai trouvé l'idée de rendre « légale » la fourniture de main d'oeuvre kamikaze pour défendre une cause (politique, animale, écologique ou autre) originale, nouvelle et pleine de promesses.

Mais je suis restée à la frontière du roman. Je n'ai pas réussi à m'imprégner du contexte politique, familial et amical, ni à m'attacher aux personnages. Je ne suis pas entrée dans l'univers de Julie Zeh : il m'a manqué de la fluidité et du concret. Certains traits de caractère sont trop caricaturaux, l'intrigue est floue et l'ambiance politico-thriller m'a paru très fabriquée et peu crédible. En plus, je n'ai pas vraiment tout compris.

Pourtant, ce roman contient un quelque chose qui malgré tout, me donnait envie de poursuivre, de comprendre, de savoir ce qui allait se passer. Il existe donc bien un fil directeur qui tient en haleine et attise ce petit côté si plaisant de lecture : la curiosité et l'envie, page après page, d'en savoir plus.
Commenter  J’apprécie          20
Dommage, dans ce roman toutes les idées sont présentes pour avoir un super bouquin.
Hélas je reste sur ma faim. Je n'ai peut être pas compris le sens profond du roman mais les descriptions traînent en longueur sans rien apporter à l'histoire. Au lieu d'avoir un roman vif, on assiste en spectateur aux états d'âmes d'une héroïne trop centrale...
Bref je me suis forcé à finir le livre.....Enfin la critique est facile, ( je ne suis pas capable d'écrire et je suis en admiration devant les auteurs et autrices) respect tout de même pour JULI ZEH, il aurait suffi d'un rien pour avoir un bouquin sensationnel.
Commenter  J’apprécie          20




Lecteurs (127) Voir plus



Quiz Voir plus

Quiz: l'Allemagne et la Littérature

Les deux frères Jacob et Whilhelm sont les auteurs de contes célèbres, quel est leur nom ?

Hoffmann
Gordon
Grimm
Marx

10 questions
415 lecteurs ont répondu
Thèmes : littérature allemande , guerre mondiale , allemagneCréer un quiz sur ce livre

{* *}