Je reconnais qu’il n’était pas simple d’être une fille. En tant que garçons, nous n’étions pas touchés par les carcans liberticides du qu’en-dira-t-on. Le constat était le même dans la grande majorité des familles du quartier. Les filles s’amusaient entre elles, à l’écart des garçons qui jouaient au football. Elles n’avaient pas leur place parmi nous. Si des garçons osaient s’approcher d’elles pour partager leurs jeux, leur réputation était faite sans appel.
Pour les Maghrébines, seules les filles de mauvaises mœurs se comportent ainsi, notamment dans les cabarets. Les voisines de Drancy et Bobigny pourraient l’apercevoir et colporter ces faits à toutes les femmes du marché. Maman cherchait le juste équilibre pour ne pas perturber sa fille en pleine crise et éviter autant que possible la colère de mon père. Elle tentait de protéger Samia. La tâche n’était pas simple, car le basculement était radical et maman n’avait pas été préparée à cette situation.
Défier papa en soutenant mordicus qu’on ne partageait pas son point de vue était un acte suicidaire. S’il regardait une photo de sa sœur et nous demandait notre avis, nous répondions avec déférence qu’elle était très belle et n’avions nul besoin de nous arranger avec notre conscience : il importait avant tout de lui apporter la réponse qu’il souhaitait entendre, fût-elle lâche et hypocrite. Cette attitude avait un avantage : la vie poursuivait ensuite son cours normal.
Je me sens comme un animal en cage. Je tourne en rond dans ma chambre sans savoir ce que je peux, ni ce que je veux faire. Il manque des choses dans cette pièce, c’est certain. Il y a bien ce tableau accroché au mur que Nour a peint pour moi. Je regarde longuement cette scène typique d’une médina de Fès où un homme en djellaba assis sur son âne déambule dans une ruelle ombragée parmi les commerçants et autres flâneurs.
Les humains ont cette fâcheuse tendance à décrier ce qu’ils ne comprennent pas. Mais mon corps est lourd, une fatigue insurmontable pèse sur mes épaules et un essaim de frelons s’agite dans mon cerveau. Soudain un rêve me revient. Je viens de rencontrer Nour. Ma mère prend ma main et la pose sur celle de Nour, d’un sourire entendu supposant sa bénédiction et son désir de nous voir unis.
À l'occasion de la parution du livre , Mustapha Zem et son éditeur, Mahir Guven, se sont livrés pour notre caméra. Ils reviennent notamment sur l'origine du projet, et nous racontent leur relation auteur-éditeur.
Découvrez vite l'histoire de Mustapha Zem et de son accident.
Des années 1970 à nos jours, de Drancy à Casablanca, Mustapha Zem brosse une fresque familiale tendre et chatoyante. Avec humour et autodérision, il raconte le destin d'un enfant obéissant, d'un adolescent qui se cherche et d'un adulte qui va, enfin, se poser les bonnes questions. La révélation d'un écrivain.