Pourquoi les musulmans, qui furent indubitablement victimes d'exploitation, de domination et de divers autres aspects destructeurs et humiliants du colonialisme, réagissent-ils en prenant pour cible ce qu'il y a de meilleur (du moins pour nous) dans l'héritage occidental, à savoir notre système égalitaire et nos libertés individuelles, avec à la clé une dose salutaire d'ironie et de dérision à l'égard de toute forme d'autorité ? La réponse qui vient à l'esprit est que leur cible est bien choisie : ce qui rend l'Occident libéral si insupportable, c'est que non seulement il est coupable d'exploitation et de domination brutale, mais qu'en plus, comble d'insulte, il déguise cette réalité cruelle pour la présenter comme l'incarnation de la liberté, de l'égalité et de la démocratie.
C'est maintenant, alors que nous sommes tous sous le choc du massacre qui a eu lieu dans les bureaux de Charlie Hebdo, qu'il nous faut avoir le courage de penser. C'est maintenant, et non plus tard, quand les choses se seront apaisées, comme essaient de nous en convaincre les adeptes de la sagesse bon marché : ce qui est difficile à concilier, c'est justement la réaction à chaud et l'acte de penser. Penser la tête froide, une fois que tout est fini, ne produit pas de vérité plus équilibrée, ça ne fait que normaliser la situation en nous permettant d'éviter tout ce que la vérité a de tranchant.
Penser signifie dépasser la Pathos de la solidarité universelle qui a éclaté dans les journées qui ont suivi la tuerie, pour culminer le dimanche 11 janvier avec le spectacle des grandes figures de la politique de la planète se donnant la main, de Cameron à Lavrov, de Netanyahou à Abbas – une parfaite illustration de ce qu'est l'hypocrisie.
En réalité, le vrai geste Charlie Hebdo aurait été de publier en une du journal une caricature de mauvais goût qui, sans détours, aurait tourné cet événement en ridicule, avec des dessins de Netanyahou et Abbas, Lavrov et Cameron, et d'autre couples encore s'enlaçant et s'embrassant passionément tout en aiguisant des couteaux dans leur dos.