L'auteur de
Mars,
Fritz Zorn est en colère, pas de doute on l'apprend dès la couverture : il adopte pour son nom le pseudo « Zorn » qui signifie colère en allemand.
En colère contre qui, contre quoi ? Contre ses parents d'abord qui l'ont élevé « comme il faut », dans un milieu très bourgeois, dans une grande villa sur la « rive dorée » du lac de Zurich, où il s'est senti « castré » de la capacité à dire « non », d'avoir son propre avis, sa propre personnalité.
Ce fut un enfant bien sage et obéissant, cultivé, mais frustré à l'adolescence et bien davantage encore pendant sa courte vie d'adulte.
Le résultat, c'est cet ouvrage de révolte et ce cancer « une boule au cou » qu'il dit avoir « attrapé » en raison de toutes ces années de dépression et de frustration.
En lisant l'ouvrage on comprend que l'absence de relation sexuelle et d'intimité avec les femmes ont beaucoup joué dans son malheur et sa frustration. Il n'a jamais été amoureux et n'a pas l'air de s'être senti aimé.
Au début de l'ouvrage il nous parle d'un frère dont on regrette que l'auteur n'en parle plus ensuite. Qu'est-il devenu ?
Lucide, l'auteur remarque que fort heureusement, tous les fils de bourgeois ne finisse pas dépressif comme lui. Il dit bien que c'est lié à son caractère, sa sensibilité.
Néanmoins il est en colère, révolté contre la bourgeoisie et la religion chrétienne qui nie la vie, ce sont ses mots. A le lire, il aurait sûrement préféré naître pauvre et vivre. En le suivant, sans doute la pauvreté l'aurait-elle obligé à travailler, gagner de l'argent, comme d'autres, alors que lui au lycée ou plus tard à l'Université n'en avait pas besoin. Cela peut expliquer une partie de sa marginalité même s'il reconnaît à plusieurs reprises qu'il n'a pas toujours manqué d'ami. Il s'est malgré tout toujours senti seul, même entouré. Peut-être incompris, sans ami intime avec qui s'épancher de ses soucis. Diplômé d'un doctorat en langues il deviendra professeur d'Espagnol, il dit aimer son travail car cela lui permet surtout de voir du monde, de moins être dans la solitude. Il a l'esprit, la culture latine, mais c'est comme si son coeur était « froid ».
Faute d'ami intime, ou sans doute parce que le mal était trop profond, c'est donc auprès d'un psychanalyste qu'il se livre. Mais aussi à travers l'écriture de son ouvrage – en espérant peut être un effet catharsis ?
Le ton de l'ouvrage est très pudique, on apprendra rien de bien personnel sur la façon de vivre des bourgeois qu'il critique ou ses relations avec les autres. Pourtant il est prêt à faire la révolution pour que les choses changent. Métaphoriquement il se voit comme le cancer au sein de la bourgeois, révélatrice de ses travers, prête à éclater selon lui. Quelque part, paradoxalement, il souhaite dépasser sa condition de bourgeois, être en dehors. Mais le peut-il vraiment lui qui en a tous les codes et qui a grandit dans ce milieu ?
Il dit se sentir mieux depuis qu'il a appris qu'il était malade, et qu'il a mis un nom sur la maladie. Il se sent maintenant moins dépressif et souhaite vaincre son cancer. Il a un but.
C'est l'histoire d'un homme en manque d'amour, mal dans sa peau, jamais à sa place, qui a oublié de vivre, d'exister.
Très cultivé, s'autoanalysant, l'auteur est un plaisir à suivre, l'écriture est fluide, clair. On se demande dans quel mesure
Fritz Zorn était condamné par son milieu social et son caractère. N'a t-il pas eu de chance ou est ce lui qui n'a pas su saisir les opportunités, les rencontres qu'il évoque dans l'ouvrage ?
Mal à l'aise avec son corps au lycée il aura réussi après quelques années à se dépasser dans plusieurs domaines, gymnastique, danse, pourtant on a le sentiment qu'il ne prend pas de plaisir de ses succès. Est-il un frustré-né, incapable de jouir ?
Il ne suffit pas de dire à un ami – qu'il semble n'avoir jamais eu – « va s'y, parle à cette fille », « invite la à boire un verre, à danser, à sortir...», « déclare lui tes sentiments, dis lui que tu l'aimes » – pour que cela se réalise, que l'on passe à l'acte. Vivre c'est agir, prendre des risques – souvent mesuré.
Ainsi c'est comme si il n'avait pas eu suffisamment cette volonté de vivre, de se battre, pour que la vie continue. «
Mars » ce titre fait référence mythologiquement à l'esprit combatif. L'auteur n'en aura pas manqué pour achever son ouvrage et lutter par les mots contre son milieu social. Mais ne se bat-il pas trop tard, à 30 ans, lorsqu'il est déjà, sans le savoir, condamné par la maladie ?
Malgré tout la vie manquée de
Fritz Zorn n'aura pas été vaine. N'aura t-il pas vécu pour que son histoire nous parvienne, nous montrant s'il fallait encore s'en convaincre, que décidément l'argent ne fait pas le bonheur, et qu'il vaut mieux parfois vider son compte en banque, comme il le dit « faire sauter le crédit suisse » et devenir pauvre comme job. Mais qui fait ça, qui se met à nu lorsqu'il est riche pour vivre une nouvelle vie et se passer de certains « plaisirs » ou dirons nous certaines « facilités » ?
Je ne suis pas sûr à la lecture de l'ouvrage que
Fritz Zorn aurait été mieux préparé à affronter la vie en ayant vécu dans un milieu populaire. Peut-être aurait-il été encore davantage brimé par sa sensibilité. A aucun moment il ne parle de timidité, pourtant sa pudeur traduit bien une forme de timidité, comme une peur de déranger.
Dans la dernière partie l'auteur va plus mal du fait de sa maladie, son écriture prend alors l'allure d'un procès ou la société, la religion et ses parents sont jugés. Sans être manichéen, il critique la bourgeoisie mais sans vanter non plus le communisme. S'il en veut à ses parents pour leur éducation, il leur pardonne aussi, leur accordant magnanimement des circonstances atténuantes.
Ce qui aura manqué le plus à la vie de
Fritz Zorn c'est l'amour, la joie, ce sentiment d'être vivant, d'être aimé, de partager. Ce qu'on peut reprocher à Fritz c'est d'avoir attendu d'être malade pour se battre, pour exprimer sa colère, se révolter. La leçon de l'ouvrage est la selon moi : vivons avant d'être malade ou d'être trop vieux, n'attendons pas un hypothétique alignement des planètes pour vivre. Vivre c'est aussi ne pas toujours faire ce que la société nous demande de faire selon les conventions morales en vigueur. Alors vivons, sachons nous faire plaisir en écoutant nos désirs, ici et maintenant !