Mes vacances ont été illuminées par une sortie aux Salines royales d'Arc-et-Senans où j'ai découvert le peintre
Charles Belle. Je conseille la découverte du site internet de celui-ci.
Cette « rétrospective » sous forme de catalogue bilingue français-anglais me semble très réussie (malgré quelques coquilles). En effet, le livre est structuré en fonction les expositions qui ont lieu depuis mai 2022 et jusqu'au février 2023 dans sept institutions de cinq grandes villes de la région Bourgogne Franche-Comté.
À noter d'emblée que ce qui caractérise ce peintre c'est notamment le très grand format.
Comme indiqué sur le site « la peinture de
Charles Belle explore les territoires de l'intime, de l'existentiel, avec sensualité, intensité et profondeur. Forêts, herbes sauvages, fleurs, cours d'eau, portraits expriment autre chose que ce qui est donné à voir ».
Les titres, très poétiques, sont aussi des invitations à transcender l'objet premier pour un voyage au delà des apparences. Il en est ainsi notamment du tableau que j'affectionne tout particulièrement et intitulé « mon doux désir d'illusions méandres démesurées » de 1999 (huile sur toile, 203 x 237 cm) où l'on aperçoit, dans ce fond jaune-orange, selon un regard plus attentif, une femme en train de refaire son chignon. le violet est très utilisé par l'artiste. Dans « palingénésie au coeur des nuages » de 2021 (acrylique sur toile, 237 x 237 cm) j'ai cru apercevoir un sexe féminin discrètement (ou pas) dissimulé dans une fleur. Je retiens quelques autres tableaux qui m'ont marquée : « la lumière des origines » (p. 25), « outrages » (pp. 26-27), « hominien dont je me souviens, auto-posthume-portrait », « autoportrait avec sablier » (p. 121), « le peu que nous savons » (p. 187), « égards, Dürer » (p. 197).
Je vous propose ci-dessous quelques extraits choisis par mes soins des beaux textes de ce catalogue merveilleux :
Charles Belle à la Saline [Arc-et-Senans], ce n'est pas qu'un écrin majestueux à la hauteur de son talent, c'est la rencontre avec la pensée du créateur de la Cité idéale de Chaux qui écrivait : « Vous qui voulez devenir Architecte, commencez par être peintre. »
Charles Belle est un architecte de la nature, celui qui écrit « sur ces écorces enrubannées, dans ces fleurs diversement émaillées, dans les ondulations de l'air dans les agitations des feuilles » (p. 18, Hubert Tassy, Directeur général de la Saline royale).
Je peins, je dessine c'est le même geste. On a enfermé le dessin comme une sorte de pré-peinture. Mais je ne vois pas pourquoi on les opposerait, pourquoi il y en a un qui serait préparatoire (p. 59,
Charles Belle, dans un entretien avec
Samuel Cordier)
Il faut trouver,[...], le juste milieu entre les signaux de la peinture complètement abstraits et l'action de la peinture qui est une action presque physique sur le corps. (p. 62,
Charles Belle, idem)
[…] la question du hors format suppose la maîtrise technique pour maintenir le figuratif ou le motif encore perceptible à une telle échelle, il pourrait se perdre ou se sentir perdu dans les effets des différentes couches successives qui protègent le signifié et décuple le signifiant (p. 63,
Nicolas Surlapierre)
Et si ce n'était pas les poésies d'
Yves Bonnefoy qui sous-titraient la peinture de
Charles Belle, celle des « Planches courbes » aux sonorités d'un lieu-dit d'un plateau du Jura ou alors du Haut-Doubs, alors deux essais autobiographiques et poétiques viendraient nimber de leur nuance la proposition que constitue tous les reliefs d'une nuit où les problèmes d'envers et d'avers de la peinture auraient trouvé une de leurs modalités dans « le recourbement du visible » (p.65, idem).
Charles Belle excarne, il faut sortir de la nature son indissociable potentiel humain et sait pertinemment que la carnation est un mot de peintre ou alors de génial embaumeur (p. 66, idem).
Dans sa préface du catalogue « sources »,
Yves Michaud soulignait déjà la parenté de
Charles Belle avec plusieurs de ses devanciers, et plus particulièrement, Gustave Courbet. Il s'agissait, selon lui, d'une « parenté de sensibilité : parenté de sentiment de la nature, parenté dans la représentation de ce qui est changeant, parenté aussi dans un enracinement rustique, terrestre et terrien » (p. 100,
Benjamin Foudral, Directeur-conservateur du musée et pôle Courbet).
Près de cinquante ans après avoir travaillé quelques mois comme photographe dans l'ancien musée d'Histoire [de Besançon],
Charles Belle revient en palais Granvelle, désormais musée du Temps. Il y déploie ses autoportraits, portraits et natures mortes qui nous offrent, en contrepoint aux garde-temps du musée, une immersion dans des instants immenses (p. 118, Laurence
Riebel)
Quand [
Charles Belle] propose de présenter à Belfort sa série dite des « égards », relative à sa prédilection pour certains de ses devanciers parmi les plus illustres (Vinci, Greco, Vermeer, Zurbarán…), il apparaît que l'accent sera résolument porté sur les questions posées par la peinture et par l'aura des maîtres de l'histoire de l'art. Comme Picasso avant lui, mais exclusivement dans le domaine pictural,
Charles Belle interroge les thèmes de la virtuosité, de la représentation, de la copie ou même de l'iconographie à travers le prisme des artistes qui l'ont précédé. Avec cette série des « égards », l'imitation ou mimèsis est au coeur du projet : en copiant ouvertement et sans malice d'illustres tableaux, Belle ne vise ni à provoquer le visiteur, ni à moquer son devancier, ni même à décortiquer son travail à la manière picassienne ; l'attention du visiteur n'est pas non plus appelée vers la reconnaissance du sujet, ou vers l'identification de la signature car les tableaux copiés figurent parmi les plus célèbres de l'histoire de l'art (p. 190, Marc Verdure, Directeur du Musée de la Citadelle de Belfort).
En conclusion, un très beau livre que je conserverai précieusement et que ma fille, artiste en herbe, consulte régulièrement.