Première chose qui m'a frappée, c'est qu'il a fallu rajouter un bandeau pour préciser que le titre ne désigne pas le président russe, mais celui qui fut l'un de ses plus efficaces subordonnés pendant de longues années.
Derrière le prête-nom de Vadim Baranov se cache Vladislav Iourevitch Sourkov, Владислав Юрьевич Сурков. Rien ne nous le précise, il suffit juste de farfouiller un peu, on a vite fait de tomber sur un article de presse qui s'enorgueillit de cette révélation, à commencer par
Le Figaro ou Télérama. Vladislav Surkov est, si l'on croit les articles à son sujet, le principal idéologue, au moins des premières années de la gouvernance Poutine, puisque depuis, il est tombé en disgrâce, et a soudainement disparu de la circulation. Il a été limogé et assigné à résidence ad vitam eternam, la rédemption ne faisant pas vraiment pas partie du vocabulaire et du programme habituels du président russe. Tour à tour assistant du président, vice-président du gouvernement, chef du bureau du gouvernement, il a gravité autour de Poutine pendant les deux dernières décennies.
Le roman est principalement tenu par le monologue de Vadim Baranov, qui relate sa vie au journaliste venu à Moscou dans l'unique but de le voir. Rencontrer un homme répudié par le gouvernement russe n'est pas une chose évidente, Vadim Baranov est confiné chez lui, étroitement surveillé, on le devine, par quelques paires d'yeux dévolus au Tsar de
Russie : c'est donc par le biais de Twitter, de la littérature et de
Evgueni Zamiatine, que cette rencontre a finalement lieu, le journaliste ayant répondu à un tweet sibyllin de l'excommunié russe, féru de littérature depuis toujours, et de Ziamatine. Si le journaliste nous donne les premières bribes de la vie de Baranov, il nous permet de cerner la stature de l'homme qui a largement contribué à ce que Poutine accède à son poste actuel.
La figure de Vadim Baranov qui apparaît peu à peu s'éloigne de cette image de l'oligarque perverti, accro aux yachts sur les bords de Yalta, de la Mer Noire, ou de la Côte d'Azur, accro aux meilleurs restaurants, aux clubs privatisés et boites de nuits, aux jéroboams de champagnes millésimés, à la poudre blanche dans le nez, dans le bras. le personnage politique est clairement détestable, comment ne pas l'être quand on fait partie de l'entourage proche de Poutine et l'une de ses influences. L'auteur ne dément pas son appartenance à ce cercle d'initiés, totalement désabusé, qui trahissent et menacent, leurs amis aussi, qui ont totalement effacé toute espèce de frontière entre bien et mal, pour réinventer les leurs : celles de l'argent, du pouvoir. Mais Vadim Baranov ne colle pas au profil du parfait oligarque russe : il se délecte davantage de la lecture de
Zamiatine plutôt que de la dernière soirée dantesque chez un collègue, il n'a aucune volonté de se frayer une amitié avec Poutine.
Si les premières dizaines de pages sont effectivement consacrées à Vadim Baranov, la suite est largement dévolue à Poutine, un peu trop à mon goût, j'ai eu quelquefois l'impression de lire une biographie du tsar. Comme si l'homme, ici aussi, réussissait à éclipser tous ses subordonnés, et le personnage éponyme y compris. Cette curiosité et volonté de cerner l'homme qu'est Poutine éclipse le personnage de Vadim Baranov, qui se complaît d'ailleurs dans cette discrétion obscure. Mis à part cela, le roman se lit parfaitement bien, le machiavélisme des deux hommes tiennent le récit en haleine, d'un récit à l'autre sur Poutine, on peut comparer la différence de traitement du Président. le monologue de Baranov offre également une perspective un peu plus nuancée sur la nature de ces Russes, qui n'ont finalement même pas franchi la dizaine d'année de régime démocratique. J'avais beaucoup d'attentes pour ce titre, j'en ressors mitigée pour la raison que j'ai évoquée ci-dessus. On ne sait plus vraiment si
le mage du Kremlin, c'est Baranov ou Poutine, même si à l'évidence Poutine n'offre certainement pas l'image romantique que cette dénomination de Mage dénote. Je n'y ai pas retrouvé cette magie éponyme, au contraire tout y est désenchanté, la cour du Tsar est au mieux aveugle et indifférente, au pire imperturbable, dur et imperméable à tout.
Il n'en reste pas moins que le roman de
Giuliano Da Empoli permet de s'approcher d'un peu plus celui que chaque journaliste essaie de décoder à travers les quelques images où il apparaît, de cerner sa personnalité à travers le prisme d'une collaboration aussi fructueuse pour l'un comme pour l'autre. J'ai également bien apprécié cette introduction qui précède le récit de l'homme, et met en scène Evgueni Ziamatine, en particulier sa dystopie
Nous autres, que le premier narrateur, notre journaliste, considère comme visionnaire grâce à son récit qui s'apparente à une prophétie de tous les systèmes dictatoriaux, politique, économiques, culturels, à l'oeuvre en ce moment même. Si l'on parle aujourd'hui de
George Orwell et de son
1984 pour prouver tout et son contraire, Ziamatine serait peut-être l'une des références littéraires à relire.
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