J'aime inviter dans ma cuisine des livres de recettes qui retracent l'histoire d'une famille. Je me projette facilement dans leurs lignées, sensible à la transmission, à l'héritage des valeurs ancestrales, aux traditions, à l'unité. Je découvre aussi d'autres lieux, d'autres temps, d'autres racines que les miennes.
Ce livre écrit par un frère et une soeur, raconte « un don, une identité culturelle, un trait d'union… et le bien-vivre, le savoir recevoir, le respects des produits, le plaisir de partager… ».
Leur nom Zarzavatdjian évoque un métier qui travaille la terre. Des produits récoltés à la cuisine, il n'y a au final qu'un tout petit pas à franchir. A une époque, « Arméniens, Grecs, Kurdes, Turcs, chrétiens, musulmans et athées » se croisaient sur les marchés dans une ambiance vive, chaleureuse, et dans une atmosphère aux senteurs exacerbées par les épices. « On achète, on troque, on crie, on danse, on mange, on boit sans compter… » ; ce sont les sucs d'une vie qui pétille, généreux, riches, exubérants, d'une mixité venue des pays voisins et de la méditerranée.
Des racines, 1915, le génocide, un peuple en souffrance, des exodes aux quatre coins du monde, une diaspora… s'intégrer et transmettre ; « Être français, mais rester Arméniens »…
Corinne et Richard sont les petits-enfants d'un grand-père venu s'installer en France. Par le biais de la cuisine, ils retrouvent leur terre, les essences de leur civilisation, et c'est avec un classeur de recettes, qui appartient à leur mère et qui fut découvert dans une valise dite « à souvenirs », que l'idée de rassembler ces recettes dans un livre s'est développée. Comme le dit André Manoukian dans la préface, cette cuisine est riche en tout et surtout en amour. Elle est un lien à la mère, elle est « mayring ».
Hammous, beuregs, tchi keufté, moussaka, haygagan printz pilaw, kavourma, tcheureg, kadaïf, paklavas… pour les non initiés, la musicalité de ces noms ont des résonances lointaines, suaves et pleines des mystères de l'orient. Dans la famille, ils ont tous un plat préféré qu'ils aiment retrouver à la table, familiale et festive. Les grandes tablées regorgent de mets traditionnels. Corinne aime les keuftés, des boulettes de viande, et Richard, un grand gourmand, aime tout !
Vieilles photos, anecdotes, des consignes de la mère, des conseils du grand-père, des menus de fêtes, des menus dans le respect des saisons, on trinque, on mange, on joue de la musique, on rit, on s'aime, on se rappelle, et on partage. Lorsqu'ils reçoivent, l'hospitalité et la générosité ne sont pas de vains mots. La table se doit d'être belle, abondante, variée, bigarrée et parfumée. Les épices embaument les entrées (boulgour, potage, tarama, feuilles de vigne farcies…), les plats à base de viande (agneau, mouton, poulet), de poisson (moules) et les desserts (brioche, sablés, dattes, confiture de rose….). Le café, sourdj, est doux, sucré, épais, il doit délivrer des formes dans le fond de la tasse, des formes qui deviennent des histoires.
Authenticité, rusticité, cette cuisine séculaire est une des bases du patrimoine arménien.
Près d'une centaine de recettes nous sont offertes, toutes illustrées avec de belles photos et expliquées avec des mots simples ; pédagogiques, initiatiques. On retrouve dans le design du livre et les compositions photographiques, les notes rustiques, abondantes et anciennes que les mots ont précédées. La couverture a les veinures du bois et leurs reliefs, les pages sont bistrées, les plats sont mis en valeur avec des gros plans, il y a de la lumière, de la couleur, c'est gourmand et très tentant, ça titille l'esprit. Cuisiner et voyager.
Les auteurs nous souhaitent pari ahrordjag… bon appétit !… et de profiter pleinement de « la joie de l'instant présent »…
Ce livre précieux, riche de son patrimoine, riche en émotion, riche en lignage et en fratrie, est à conserver, à recommander et à offrir.
Commenter  J’apprécie         00