Combien de temps encore
Combien de temps dis-moi
Faut-il pour pardonner
Aux monstres d'autrefois ?
Bienvenue en Zaramestrie, un des pays les plus pauvres d'Europe, pluriel et multiculturel depuis que les Yassimils, autrefois persécutés en Europe de l'Est, y ont trouvé refuge et cohabitent avec les Zaratiens. Jusqu'à ce que la guerre détruise tous les équilibres. Puis que la vie reprenne. Enfin la vie…
Dans les pas de Lelial Alaman, jeune chercheuse et violoniste française venue à la demande de son grand-père défunt sur ses terres d'origine, et dans ceux de Tim Volker, photographe de guerre de retour en Zaramestrie après avoir baroudé au fil des guerres africaines,
Alizée Gau nous entraîne dans une exploration des ravages de la guerre après la guerre.
Dans
Minuit au bord du monde, elle conte ce qui se passe après les conflits et juste avant la paix. Chimère illusoire que de croire que l'une succèderait automatiquement à l'autre. Sans transition comme on dit dans le poste. Ce serait bien trop simple ; mais ça ne l'est pas.
Et cette phase d'entre-deux pendant laquelle il faut apprendre à revivre ensemble, celle que d'aucuns appellent résilience,
Alizée Gau la raconte joliment, dans un mélange équilibré de gravité et d'émotion, de scènes chocs et de réflexions plus distanciées, voire poétiques quand la métaphore des « ruptures du Grand Filet » vient expliquer le chaos et la souffrance.
Elle ne cache rien des scènes chocs de charniers, de murs de la honte ou de déplacements massifs de population ; elle dit le poids des ethnies et l'impasse des Triskas, cette troisième voie neutre qui ne résout rien dans le court terme ; elle dit le combat politique des femmes pour reconstruire, rappelant utilement que « les premières victimes de la guerre, ce sont les femmes, Yassimiles ou Zaratiennes. On l'oublie trop souvent ». Elle dit surtout les traumatismes humains et indélébiles que laisse la guerre sur les hommes, en Zaramestrie ou au Soudan. Et ailleurs aussi…
Mais elle dit enfin et surtout comment de simples petites choses et actions peuvent contribuer à faire renaître l'espoir, à l'image de la musique et de ce concert préparé dans la Plavitza Rock School, école mixte où de jeunes Zaratiens et Yassimils font, sans en avoir totalement conscience, oeuvre de réconciliation.
Dans ce pays imaginaire - très similaire à l'ex-Yougoslavie meurtrie et en totale résonnance avec le martyr ukrainien actuel -, flotte la belle âme de Nermin, le grand-père de Lelial, l'absent omniprésent : « Je ne fais que me transformer. Je suis le souffle de ton violon, la pluie à ta fenêtre, le crépitement du feu où tu tendras tes mains pour te réchauffer ». Et celui qui insuffle aux jeunes générations, la force de pardonner pour enfin avancer…