Récit à hauteur d'enfant puisqu'il débute lors de l'enfance de la narratrice. Sa famille n'est pas aimante : une mère violente et qui la repousse et un père distant et résigné.
Tous ont des surnoms assez singuliers. Quand le père se nomme, Swayze, la mère est Novatchok, et la maison est une praison, car le foyer prend parfois des allures carcérales. Son grand frère Grandoux ma protège tandis qu'elle rassure le plus jeune appelé Petit Prince.
Les autres, ce sont les Spartiates et leur vie est différente de celle de la narratrice.
« Les spartiates sont des humains comme Novatchok, Swayze, Grandoux, Petit Prince et moi, sauf qu'eux, ils habitent dehors. Ils se déplacent à plusieurs dans un groupe appelé leur famille. »
Elle imagine la vie de ces autres puisqu'elle ne peut aller chez eux.
Son existence à elle tourne autour de ses parents, elle vit au rythme des crises de sa mère. Son mal être est permanent et personne ne peut la protéger de cette « monstre horrifiante » qui sévit dans le blanc de sa tête.
L'originalité de ce roman réside dans le langage, singulier et original, qui invente un vocabulaire très personnel pour raconter cette vie d'enfermement, et cette peur qui lui noue le ventre. Les mots, toujours les mots, comme un mantra contre la violence maternelle
« Novatchok me force à me tordre au-dessus de la chaise, m'emmène par la queue de cheval jusqu'à la porte de ma chambre. Je tente de contrebraquer, elle frappe mes doigts, lâche mes cheveux, je me redresse, elle me cogne violement l'omoplate. On va faire un petit point entre quatre yeux. »
Ce langage inventé et inventif se mêle à l'autre, et on perçoit la singularité de la narratrice qui se sert des mots, les siens, pour exprimer son malaise.
Un jour vient où elle quitte la praison pour vivre sa vie, mais la monstre est toujours là, tapie, et le mal-être persiste.
« Quelque chose de semi-rigide qui dévore tout ce qui traîne, qui engloutit mes globules dans son réservoir comme un bras d'aspirateur infini. »
Pourtant, grâce aux mathématiques, un équilibre précaire se construit et cette « langue faite de symboles essentiels » rassure.
Il y aura l'alcool pour apaise rla souffrance à l'intérieur.
Il y aura des rencontres et des amours, qui se termineront mal. Car la vie en société, la vie avec les autres est rendue difficile avec cette violence vécue dans l'enfance qui surgit sans cesse.
Les chapitres, très courts, déclinent cette existence morcelée, difficile après le traumatisme de l'enfance. Ce n'est jamais triste ou dramatique, non, grâce à l'inventivité de la langue qui garde un pied dans l'enfance jamais terminée.
J'ai beaucoup aimé la première partie du roman, qui décrit l'enfance de la narratrice et ses rapports avec sa mère. Beaucoup moins le passage à l'âge adulte où l'on perd un peu de vue la mère.
Un premier roman surprenant.
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Dans "Tumeur ou tutu", la romancière parvient avec une poésie rageuse à nommer les angles morts du langage, faisant de lui, par un subtil retournement, la seule promesse de libération possible.
Lire la critique sur le site : LeMonde
Léna Ghar réussit à retranscrire une voix d’enfant avec une précision infinie et nous plonge dans l’horreur des violences intrafamiliales.
Lire la critique sur le site : LesInrocks
Léna Ghar s’arme d’une écriture très inventive et de nombreuses trouvailles formelles pour raconter les violences intra-familiales du côté des victimes. Sans tabous et sans clichés, avec force et colère.
Lire la critique sur le site : LesInrocks
98. Le probable, c'est ce qui est considéré comme plus certain qu'aléatoire. On peut utiliser des synonymes, prévisible, réalisable, plausible, croyable, admissible, mais on ne sait pas définir le probable autrement que par son degré de vérité potentielle. Pour analyser au plus juste un événement, on peut même avoir recours aux probabilités conditionnelles, qui vont encore plus loin, en déterminant la probabilité que quelque chose ait lieu sachant que quelque chose d'autre a déjà eu lieu.
55. Depuis le jour de la cafetière, je crois pourtant qu'il sait comment ça fait d'avoir tellement tellement tellement mal que c'est impossible de le dire avec un seul mot, qu'il nen existe aucun d'assez gigantesque pour traduire à la fois la terreur, les flammes et le gouffre.
Comment peut-elle remplir à elle seule la crypte sous mon cou.
En maths, il n'y a pas de heurts, pas de gâchis, pas de portes qui claquent, pas de boulets de canon dans la gueule, pas de méfiance, pas d'inquiétude, pas de reflux, pas de provocation. À quelqu'un qui ne parvient pas à dérouler sa démonstration, on ne dit pas : qu'est-ce que tu t'obstine à saccager ?, ni Tu te trompes de colère, ni Laisse-moi t'aimer paisiblement. On dit : tu as mal posé l’équation.
Alors seulement, sans préavis, sans frémir d’un cil, Yaku se met à hurler. Un AAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAA stratosphérique, fendant le mur du son jusqu’à faire vaciller toute la plaine. Yaku n’est plus que ce A dans cette bouche devenue immense, elle barrit au chêne le torrent de sa rage, l’océan de sa frustration, elle feule du fond des entrailles l’ouragan de son impuissance, le gouffre de son incapacité à dire autrement qu’en mugissant. Même l’herbe n’ose plus frémir sous ses pieds. Elle tient sa note magnifiquement assourdissante pendant douze ans, trois vies, et puis d’un coup, encore, rassemble ses lèvres, aussi brutalement qu’elle les écartelait pour conjurer une seconde plus tôt. Elle ne pleure même pas ni rien. Le démon est parti avec le vent. Elle plante sévèrement son glaive dans le pied du chêne et fait volte-face vers la maison en snobant tout le monde. Libérée.
Tous les humains possèdent trois formes de voix : le langage, le chant et le cri. Même ceux comme Yaku qui ne connaissent pas encore les mots arrivent à se faire comprendre. Je dois avoir un problème de faisceau arqué, une hernie labiale, une rétrognathie non diagnostiquée, une aphasie de conduction, une altération des cordes vocales, ou peut-être juste d’humanité. Rien de ce qui sort de ma tranchée ne m’exprime.
VLEEL 302 Rencontre littéraire avec Léna Ghar, Éric Chacour et Isabelle Garreau