Livre reçu dans le cadre de l'opération Masse Critique.
La question, sans doute, est provocante. Comme si la santé avait un prix, alors que l'adage populaire veut qu'elle n'en ait pas, que rien ne vaut, justement, d'en avoir une bonne. Pourtant, la santé a un coût. L'absence de santé aussi, d'ailleurs. La santé, de manière générale, est un marché économique, sur lequel des acheteurs et des vendeurs se côtoient, des investisseurs investissent et des actionnaires attendent des dividendes. L'irruption de cette vérité, à la fois crue et banale, entre naturellement en collision avec l'idée que l'on a de la santé, à savoir que ce domaine très particulier présente un intérêt général qu'aucune fluctuation économique ne devrait, a priori, pouvoir bouleverser. A travers ce court essai, les auteurs,
Pauline Londeix et
Jérôme Martin, présentent un état des lieux de la santé mondiale, dévoilant les mécanismes d'un marché économique très particulier où entrent en relation des États et des multinationales. Les auteurs présentent les risques inhérents à cette structuration actuelle de la santé mondiale, et proposent en fin d'essai quelques pistes qui permettraient, enfin, de faire de la santé un objet d'intérêt général qui puisse enfin répondre, au coeur d'un vingt-et-unième siècle du progrès et des technologies, à l'exigence d'une santé pour toutes et tous.
Sans aucun doute, la question de la santé publique a pris une dimension majeure depuis la récente pandémie de Covid-19. Cette période, qui n'est d'ailleurs pas encore terminée, a montré les fragilités multiples des systèmes de santé des pays riches, particulièrement ceux d'Europe et d'Amérique du Nord. Conditions de travail détériorées pour les agents médicaux, conditions financières inadéquates relativement à l'investissement de ces personnels, pénuries de médicaments et de matériels médicaux ont conduit à choisir les confinements généraux des populations comme seule arme de défense contre le virus. Évidemment, la pandémie n'a pas causé cela - en France, les personnels médicaux alertaient les pouvoirs publics depuis quelques années déjà - mais sa puissance, son caractère total, l'obnibulation médiatique pour ce sujet a mis les problèmes de la santé publique sous les projecteurs. Trois ans après le début de la pandémie, le livre fait donc le point sur la situation. Et les conclusions ne sont pas rassurantes. Des problèmes structurels demeurent toujours : les axes de la recherche pharmaceutique obéissent à des logiques de marché et le prix des médicaments est fixé par des acteurs en situation de toute-puissance. de ce fait, la santé ne répond pas à une logique d'intérêt général, qui voudrait que chacun puisse avoir accès aux soins dont il a besoin, mais à une logique financière, qui favorise certaines populations au détriment d'autres, et ne conduit pas forcément les industriels à axer leurs recherches sur les médicaments qui, dans les années à venir, pourraient grandement servir à l'ensemble de l'humanité.
Le constat est alarmant : maladies négligées, comme certaines maladies tropicales qui pourtant peuvent toucher de nombreuses personnes de par le monde, problématiques de santé publique mondiale négligées de la même façon : ainsi la recherche n'avance pas dans le domaine de la quête de nouveaux antibiotiques censés répondre à la résistance croissante des bactéries et virus aux traitements actuels. Pour faire face aux problématiques de santé publique, les États ont, face à eux, des multinationales pesant des milliards de dollars sur les marchés financiers, et la négociation paraît ainsi biaisée dès le départ : comment un Etat pourrait-il assumer de ne pas accéder aux demandes d'un laboratoire, et ainsi risquer, pour sa population, de voir apparaître un problème de santé public majeur ? Les États semblent donc en position de faiblesse par rapport aux grands laboratoires. Pourtant, les secteurs publics contribuent - dans quelle mesure ? Il est impossible de le dire - à la recherche, grâce à des instituts nationaux (l'INSERM en France). Mais les traitements découverts échappent souvent au domaine public, notamment parce que des start-ups biomédicales s'en emparent afin de les développer - que l'on songe seulement à Moderna -, avant d'être rachetées - avec leurs brevets - par de grandes firmes biomédicales. Ainsi celles-ci s'assurent-elles, par le brevet, un monopole sur la commercialisation de certaines molécules, tout en n'ayant jamais eu à prendre le risque de développer un traitement inefficace. Certains pays - l'Égypte, par exemple - ont réussi, pourtant, à contrer ces logiques financières - qui ont pour base le brevet - afin de permettre à leurs populations d'accéder à des soins vitaux pour elles. Car les firmes, non contentes de privatiser des molécules et des traitements qu'elles n'ont contribué qu'en partie à financer, se permettent également de fixer des prix parfois exorbitants à ces médicaments, et ce dans une logique de rentabilité. Parmi les autres constats, tout aussi alarmant, apparaît la forte dépendance des Etats occidentaux, et notamment ceux d'Europe, à des zones de production de médicaments - la Chine ou l'Inde, par exemple -, conduisant, comme c'est le cas depuis 2020, à des situations de pénuries qui paraîtront totalement absurdes pour des pays aussi riches que la France, le Royaume-Uni ou les États-Unis.
L'essai est, de façon évidente, extrêmement intéressant à lire. Écrit dans un langage accessible, il vise à éclairer un lectorat qui a été, est ou sera impacté par ces problématiques. L'exemple du confinement de 2020 en est un exemple : il pourrait ne pas être le seul au cours du vingt-et-unième siècle. Quelques limites à cet essai doivent toutefois être soulignées. D'abord, sur la question des données utilisées, il apparaît parfois qu'elles sont soit absentes (ainsi les auteurs admettent que les données concernant la répartition du financement entre le privé et le public ne sont pas connues clairement), soit partielles, et livrées sans point de comparaison permettant de mesurer l'impact réel de ces chiffres. Mais la sincérité de cet appel que lancent les deux auteurs à une nouvelle gouvernance de la santé publique mondiale ne doit pas être mise en doute. La transparence est une nécessité, autant pour diriger au mieux les politiques de recherche que pour maîtriser, de la façon la plus efficace, les dépenses en matière de santé. Les États doivent donc reprendre en main, de façon volontaire et experte, les politiques de santé publique, et notamment du médicament. Cela est une question tout à la fois sanitaire, politique et éthique. Car certains discours sont tout à fait inaudibles, qu'ils concernent une perte d'accès aux soins à cause du prix d'un médicament, ou une absence de recherche à cause d'une absence de débouchés économiques suffisamment intéressant (il suffit de songer simplement à l'endométriose, par exemple, qui n'intéresse absolument pas les grands laboratoires). Réquisitoire contre un système inique, appel à une nouvelle politique sanitaire volontariste,
Combien coûtent nos vies ? est un essai d'utilité publique qui, comme le dit le bon mot populaire, devrait être remboursé par la Sécu.